Tu te reconnaîtras

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne débute dans mes souvenirs et, là-bas les jours se ressemblent. Difficile de vous la conter en suivant une ligne chronologique parfaite ou même une simple logique. Les faits se ressemblent, s’entremêlent et s’opposent. Même s’ils peuvent être flous quelque fois, certains évènements sont collés à ma mémoire comme une cicatrice bien vivante qui s’ouvre à chaque faux pas. Comme ce fameux soir où j’avais cru devenir folle.
Je me regardai pour la troisième fois dans le miroir. Je ne me reconnu pas, pire que cela, l’image projetée par le miroir ne fut pas la mienne. Je poussai un cri d’effroi lorsque je m’en rendis compte. Je ne compris pas ce qui m’arriva. Je m’assis sur le rebord du lit, la tête entre les deux mains essayant de contenir le flot de pensées qui m’assaillirent. Je me levai et me dirigea vers la salle de bain, pensant qu’une bonne douche froide aurait put m’aider. Peine perdu, je passai toute la nuit à me rassurer en me disant que mon imagination me jouait des tours. Je ne fus pourtant pas assez convaincue pour oser me regarder encore une fois dans le miroir.
Je me réveillai avec un mal de crane insupportable. Les rayons du soleil balayèrent les quatre coins de la chambre. Il était surement midi mais je ne saurai jamais l’heure exacte car, le malheur avait voulu que mon téléphone ne fut pas à sa place habituelle. Je ne sus pas non plus à quel moment j’avais pu m’endormir. Il était pourtant clair que la nuit avait cédé place au jour lorsque je m’endormis. Je me levai non sans peine pour chercher mon téléphone et la scène du miroir me revint à l’esprit. Je décidai de prendre mon courage à deux mains. Je me forçai de diriger mon regard vers le miroir, mon reflet me rassura. Je m’aventurai donc, et m’approcha un peu plus près...
Je ne sais pas ce que j’y avais vu mais, je m’étais réveillée avec une bosse à la tête, face contre terre, deux heures ou peut-être cinq minutes plus tard. Je ne sais pas à quel moment je m’étais coupée du monde, mais j’avais perdu la notion du temps. Mon téléphone était mon seul repère après le soleil. J’entendis la sonnerie d’un téléphone, je me retournai dans la direction où j’avais entendu le son. L’appareil se trouvait au pied du lit, plutôt en dessous. Je ne sais pas exactement, j’avais perdu la notion d’espace aussi, je n’arrivais pas à me situer et du coup je ne pouvais rien situer. Lorsque je le ramassai, je compris que le son n’était pas celui d’un appel mais plutôt un cri d’adieu. Je n’avais plus de batterie.
Il se rechargeait et soudain plus rien. Pas d’électricité du moins, panne d’électricité. C’était courant. Tout le quartier pouvait être éclairé et moi je demeurais dans le noir. Il y avait toujours un problème avec un fusible ou quelque chose du genre. Un peu comme moi à l’époque. Je pouvais péter un câble à n’importe quel moment. J’avais la sensibilité à fleur de peau, je m’énervais pour un rien et au moindre petit bruit j’étais sur mes gardes. J’étais sûre que quelque chose n’allait pas sur le plan psychique et émotionnel, je ne pouvais pourtant pas me résigner à aller voir un spécialiste ou même en parler à un/e ami/e. De toute façon j’en n’avais pas, j’étais seule, parfaitement seule. Peut-être pas tout à fait, va savoir !
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J’avais des amis/es, j’avais même beaucoup d’amis /es, mais vous savez ‘’celui qui a beaucoup d’amis/es les a pour son malheur’’ et ce fut bien mon cas. Je sortais assez souvent et je faisais parties de plusieurs associations et organisations. Les cérémonies, les concerts, les conférences, les ateliers etc. Je m’arrangeais toujours pour être présente, la plupart du temps je faisais parti du comité organisateur. J’étais active, engagée et plein de bonne volonté pour participer à la vie communautaire et ainsi apporter mon support là où il manquait de bras ou de tête, que sais-je ? J’avais des connaissances un peu partout et des amis/es aussi bien sûr. Je ne m’ennuyais presque jamais tant j’avais des choses à faire. Je n’étais jamais fatiguée non plus, car je prenais plaisir à les faire.
A quel moment je m’étais retrouvée seule ? Je crois que je m’étais éloignée de mon cercle d’amis/es et qu’ils/elles n’avaient rien fait pour m’en empêcher et je leur en avais voulu amèrement. A mesure que je m’en éloignais, ma haine augmentait et je ne me détestais pas moins. Un dimanche soir, après une soirée arrosée entre amis/es j’étais rentrée chez moi au bord des larmes, j’avais le spleen dirait-on, mais je pense que c’était quelque chose de différent. Seule face à moi-même ce soir là, je me découvrais une autre identité : vulnérable et peureuse. Le voile s’était déchiré, mon sourire s’était transformé en un rictus grimaçant. La nuit fut longue et j’avais failli me noyer dans mes larmes, au sens littéral du terme. A plusieurs reprises, j’ai dû m’asseoir pour reprendre mon souffle, j’avais l’impression de couler à chaque fois que je fermais les yeux.
Les semaines qui suivirent cet évènement étaient des plus habituelles sauf que le soir je ne m’endormais pas aussi facilement qu’avant. Je pouvais imaginer dix scénarios avant de pouvoir m’endormir, par moment je me réveillais en sueur et essoufflée sans aucune raison apparente. Je prenais du poids alors que je n’avais plus d’appétit. Les gens faisaient souvent des commentaires sur mon poids, me proposaient des recettes amaigrissantes. Je les écoutais avec le sourire et hochais la tête comme si leur opinion m’intéressait alors que je n’en avais cure. Il y en a une qui m’avait demandé quelle pilule avait pu faire autant de miracles en si peu de temps ? La pilule de l’amour avais-je répondu automatiquement, je voulais l’insulter pourtant.
J’évitais les endroits où je pouvais rencontrer des gens que je connaissais. Je m’étais déconnectée de tout et de tout le monde. Je m’étais un peu cloitrée et j’étais devenu une chauve souris, je ne sortais que la nuit. J’avais envie de disparaitre ou à défaut de partir loin, quelque part où je pourrais recommencer à ma manière. Pour beaucoup de gens, spécialement mes proches, j’étais le symbole de la réussite, l’exemple à suivre moi. Pourtant j’avais le sentiment d’avoir échoué. C’était comme si j’avais traversé de grands océans pour ne récolter que des applaudissements et une certaine notoriété qui n’arrivaient pas à me combler. Malgré mes diplômes et toutes mes réalisations personnelles, j’étais vide.
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Il est interdit d’enlever les masques au risque d’être mis en quarantaine. Une fois j’avais tenté d’afficher ma tristesse mais on m’avait traitée de bienheureuse. Je n’avais pas le droit d’être triste parce qu’apparemment j’avais tout pour être heureuse, je m’étais convertie en clown. Je m’étais retrouvée une fois entre quatre murs parce que des Psy m’avaient diagnostiquée un trouble de personnalité ou de bipolarité. Je n’étais pas sure de qui j’étais, je n’avais pas confiance en moi. Je ne savais pas quel comportement adopté en compagnie des autres. Mon sourire n’était pas naturel, j’étais devenu une sorte de robot calculateur. Chaque geste, mêmes mes émotions étaient étudiées et calculées avant de faire surface. J’avais peur d’être moi-même.

Personne n’était au courant de mon mal être. Evidemment ceux et celles qui n’avaient plus de mes nouvelles pensaient que j’étais trop occupée ou que je les snobais. Lorsque j’étais obligée de sortir et de rencontrer des gens, j’avais un sourire calqué sur mes lèvres et à la moindre niaiserie j’éclatais de rire. Mais, toutes ces fois c’était un morceau de moi qui partait en éclat, c’était aussi une larme avalée que je tentais de cracher. J’étais capable de jouer au clown durant toute une journée, mais le soir venu face à mon miroir le masque s’enlevait tout seul et j’étais obligé de me regarder telle que j’étais. Se pourrait-il que les autres fussent aussi des clowns? C’était la question que je posais tous les soirs à mon miroir.
Mon costume de clown s’usait à force d’être utilisé tous les soirs comme mouchoir pour sécher mes larmes. J’avais le choix entre être un clown pitoyable et être moi-même. J’avais décidé d’être moi-même parce que je m’épuisais à faire semblant d’être bien. J’avais cessé d’être gentille et de répondre à toutes les sollicitations. Je ne souriais plus machinalement et je replaçais ceux et celles qui s’immisçaient dans ma vie sans ma permission. Tout le monde disait ne pas me reconnaitre, que je n’étais plus moi-même, et prenait leur distance. Je m’habituais à ma solitude, j’arrivais à écouter et entendre les silences, j’étais presque satisfaite de mon reflet dans le miroir. J’étais même convaincue que je pouvais atteindre pour de vrai le bonheur que je prétendais avoir.
J’avais fini par comprendre que ce n’était pas le jugement des autres qui dérangeait tellement mais plutôt, leur tendance à exhiber avec acharnement ce que nous tentons si difficilement de cacher derrières nos masques. Les gens n’appréciaient pas le vrai, l’authenticité, s’oubliaient dans leur déni. Ils/elles ne s’aimaient pas et ce désamour se traduisait souvent par la haine des autres qui osaient s’afficher et se montrer avec toutes leurs différences. L’homme est un être qui se nie comme disait l’autre. Je m’étais persuadée que l’enfer c’était bien les autres, mais les autres avec cette part de nous même qu’ils/elles refusaient de masquer.