Triste réalité

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne a commencé dans une
petite ville appelée Kowa. Comme la plupart des jeunes de mon âge, je me débrouille
dans un atelier de couture du matin jusqu'au soir pour trouver de quoi à manger. Ma
maman souffre de l'une des maladies africaines que la médecine des blancs n'arrive
pas à diagnostiquer. Nous sommes en Afrique et à chacun sa culture et sa croyance.
Chez nous il y a des sorts qu'on lance à un adversaire que la technologie n'arrive pas
à détecter. C'est ainsi depuis des siècles.
J'ai perdu mon père dès mon jeune âge. Mon unique espoir est ma maman, Hajia
Zainab. Elle m'a élevé toute seule car, après le décès de papa personne ne voulait
d'elle parce qu'elle a refusé d'épouser son beau frère, un jeune homme qu'elle a
élevé. Oui épouser la femme de son frère après son décès c'est l'une des pratiques
encore en vigueur en Afrique en plein 21ème siècle et contre le gré de la veuve. Elle
a le choix entre accepter et avoir sa part de l'héritage et renoncer pour se fait renier
par sa belle famille.
Hajia Zainab est l'une de ces femmes qui veulent leur indépendance, leur autonomie.
Elle a donc refusé et la famille s'est soulevée contre elle. On lui a tout pris, les
champs, les véhicules et même les maisons. La seule maison qui nous reste est le
fruit d'un long procès que maman a gagné contre sa belle famille. Cette famille de
gens pervers sans foi ni loi. Une famille qui n'a d'yeux que pour l'argent. Une famille
qui ne veut que profiter de la souffrance des autres. Allah, éloigne de moi cette
perversité de ma famille.
Un jeudi matin j'ai fait la toilette quotidienne à maman, lui lire quelques versets du
Saint Coran pour implorer un prompt rétablissement et filer vers l'atelier de couture.
Depuis quelques jours j'ai des idées qui me traversent l'esprit. Je ne fais que penser
à la santé de maman. Depuis qu'elle a perdu l'usage de ses jambes, je suis devenu
son unique compagnon. Elle a perdu ses amies et ses proches.
La nature humaine est très effrayante. On est entouré quand on a à offrir. Mais du
moment où notre poche devient vide, on devient solitaire. Chacun cherche un
prétexte pour s'éloigner. J'ai retenu grande leçon de cette vie malgré mon jeune âge.
Mon plus grand souhait est de voir maman recouvrir sa santé. Et pour cela, je
donnerai tout. Je suis prêt à parcourir des kilomètres et à prendre des risques pour
maman. J'ai espoir qu'un jour elle ira bien. Mais j'ai peur, j'ai peur de cette vie. Ce
monde remplit de monstres, de pervers et de gens sans pitiés. Je ne veux pas perdre
ma foi, je ne veux pas tomber dans les filets des guérisseurs et charlatans qui
pratiquent la magie noire. L'iman a toujours répété le versé 116 du chapitre 4 du
Saint Coran < pardonne à qui Il veut.>>. Il faut donc être vigilant pour ne pas rencontrer la colère
divine. Mais je me suis toujours dit que je suis assez grand et intelligent pour repérer
ces genres de charlatans. J'ai donc pris l'initiative de me lancer dans une aventure
dans l'espoir de ramener le sourire aux lèvres de celle qui m'a donné naissance.
J'ai entendu parler de Boka, le grand charlatan de l'autre côté de du fleuve dans la


brousse. J'ai donc décidé de commencer par lui. Après quelques heures de voyage,
nous sommes arrivés au bord du fleuve. J'ai pris maman au dos à l'aide d'un grand
pagne durant la traversée du fleuve. Nous nous sommes reposés, faire la prière et
repris le chemin à pieds. A peine deux kilomètres et nous voici en face de deux
fétiches maculés de sang. Juste après ceux-ci se trouve un arbre aux pieds duquel
on pouvait voir des amulettes et beaucoup d'autres gris-gris. J'ai immédiatement fait
volte-face dans l'intention de rebrousser chemin. Mais comme personne ne peut aller
en travers du chemin tracé par son destin,maman m'a convaincu d'y aller.
Dès notre entrée dans la cour, Boka a fait l'arbre généalogique de maman. J'étais
stupéfait et restais bouche bée. Après une longue consultation et des incantations
auxquelles je ne comprenais rien, il m'a donné une poudre que je devais passer sur
les jambes de maman." Mon fils" me dit-il, " ta maman ira bien, tu es brave et très
chanceux". Aussi tôt fait et le miracle s'est opéré. Maman venait de s'assoir d'elle
même. J'étais stupéfait. Une femme qui était toujours couchée ? Celle qui depuis des
années ne s'est pas relevée est actuellement assise en face de moi? Oh merci
seigneur. J'étais comblé de joie. Boka continuait ses consultations mais cette fois ci
ses yeux changeaient de couleurs, ils devenaient rouge et soudain il s'est mis à
parler :<< tu vois mon fils, ta maman a été envoûtée. Elle a gagné une bataille il y a
de cela quelques années, c'est ce monsieur qui l'a ensorcelé. Pour désensorceler
Hajia Zainab il faut que tu fasses un sacrifice. Il faut que tu ramènes dans trois jours
le linceul d'un cadavre déjà inhumé si non elle mourra.>>. Impossible, jamais, c'est
contraire à ma foi, c'est contraire à l'islam. J'ai regardé maman et j'ai eu pitié d'elle.
Elle est tout ce que j'ai. Pour une seule fois dans ma vie je vais lui prouver que je
suis fils unique.
Le lendemain à l'aube, j'ai pris le chemin de Pato une ville frontalière. Dès ma
descente j'ai fait le tour de la ville dans l'espoir d'entendre une annonce de décès en
vain. Le lendemain après la prière l'iman a annoncé qu'il y a une prière funèbre aux
environs de neuf heures. J'étais donc content. Après le retour du cimetière j'ai vite
fait démi tour pour voir le gardien, un vieux de la cinquantaine. Je lui ai vite glissé
cinq billets de milles naira comme m'avait conseillé Boka. La nuit tombée, je suis
passé à l'acte. J'ai exhumé le corps et enlever le linceul avec la complicité du
gardien.
Depuis ce jour, je ne cesse de me demander ce que devenait ce monde. Un monde
où même les gardiens de cimetières ont perdu la foi. Ils sont aussi prêts à tout pour
l'argent. L'argent est devenu le maître du monde. Il gouverne tout et met tout à
genoux. Tout le monde veut l'avoir même de la pire des manières. Il éloigne de nous,
la peur, la crainte, la dignité... et nous rend esclave.
Grâce à ce coup que je venais de faire et à la force invisible de Boka, la santé de
maman s'est améliorée. Elle marchait, allait seule à la douche, parfois même en
promenade. Cela m'a fait gagner du temps pour créer un petit business pour nous
prendre en charge. Il fallait aussi aller toutes les deux semaines à Pato pour un


nouveau linceul car les génies de Boka voulaient cela en échange de la guérison de
maman. Je n'avais plus peur. Je me suis familiarisé avec le cimetière.
Un soir après la visite d'un sénateur et deux grands commerçants, Boka m'a appelé
et m'a remis une enveloppe de cent milles naira. Il m'a dit qu'il avait besoin de toute
urgence un sein gauche. " Mon fils, j'ai aimé ton courage et je veux faire de toi un
brave. Va, tu as ma bénédiction. C'était mon premier argent salle. J'ai pris cette
somme et chercher conseil auprès de maman. Elle me faisait comprendre que dans
la vie il ne fallait jamais laisser passer une opportunité. Le vin était tiré, il ne suffit
.que de le boire
La gloire, la classe, le pouvoir, la richesse, voilà ce qui pousse l'homme de nos jours
à commettre de pire atrocités dans la vie. L'homme s'intéresse plus à ces biens
temporaires de ce bas-monde oubliant qu'il retournera tôt ou tard vers son créateur.
L'iman récitait souvent la Sourate 3 verset 185 où Allah dit: << Toute âme goûtera à
la mort>> et sourate 99 verset 7-8 < atome, le verra. Et quiconque fait un mal fût-ce du poids d'un atome, le verra>>. Je
connais tout cela par cœur mais le goût de l'argent et des biens de ce monde ont pri
le dessus sur moi. J'étais déterminé à avoir de l'argent et à refaire une nouvelle vie
.avec maman
J'ai accepté l'offre et l'ai accomplie parfaitement. Boka était fier de moi, il a même
parlé de moi à un de ses clients. Oui clients, puisqu'il avait besoin d'eux pour
survivre. Cet homme m'a invité à Naduka où il m'a mis en contacte avec un groupe
de jeunes qui travaille à sa solde et bienvenue la nouvelle vie. Maison et voiture ont
été mises à ma disposition. On sortait et revenait toujours avec des cadavres que
nous vendions aux hautes personnalités du pays. Des assassinats, enlèvements et
voles à main armée sont nos spécialités. S'il arrivait que l'un d'entre nous tombe
dans son jour de mal chances et que la police l'appréhende, nos supérieurs
ordonnaient rapidement sa libération.
Dans cette vie de délinquance, de crime et péché, j'ai eu à apprendre que la vie de la
jeunesse est détruite à cause des intérêts égoïstes et insensés d'une petite classe
de la population. Cette classe qui se croit au dessus des autres. Elle se dit la vitrine
du peuple, l'artiste qui reste en haut et tire les ficelles de la marionnette. Après c'est
pour jeter au peuple des miettes.
J'ai connu des gens qui se cachent dans de grand boubou pour soit disant vénérer
Allah mais qui ne sont que l'incarnation du diable. Ils passent la journée à escroquer
les pauvres et la nuit à coucher avec les femmes d'autrui; simplement pour leur
donner une portion magique qui ferait d'eux les maîtres du monde.
J'ai connu des parents qui poussent leurs enfants à la délinquance pour juste avoir la
vie facile ou pour juste atteindre un objectif. Des parents qui croient à l'illusion et aux
mensonges des charlatans.
J'ai connu des jeunes qui ne veulent pas se gêner mais avoir la vie facile. Des
jeunes gens qui sont prêts à prendre des vies humaines comme des mouches. Des


jeunes qui n'ont peur de personne, de véritables machines-à-tuer.
J'ai connu une jeunesse innocente qui est manipulée et qui s'est retrouvée soit par
contrainte soit par accident dans cette mafia. Ce dernier groupe est déplorable. Le
groupe que l'on doit pleurer.
J'étais dans ce songe quand mon téléphone a sonné. Un message venait de
s'afficher << Ali et trois de nos membres viennent d'être exécuter >>. Ya Allah , oui je
me suis souvenu d'Allah. Cela faisait maintenant deux ans que je n'ai plus connu le
chemin de la mosquée. J'ai tout abandonné, la mosquée c'est pour les faibles. Nous
autres sommes forts, nous avons tout ce que nous voulons, quand et comment nous
le voulions.
Cette nuit là j'ai pensé à ma vie, à ma mort et au chemin parcouru. Je me suis
rappelé de la sourate 39 verset 53-54: << Oh! Mes serviteurs qui avez commis des
excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d'Allah. Car
Allah pardonne tous les péchés. Oui, c'est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux.
Et venez repentant à votre Seigneur, et soumettez-vous à Lui, avant que ne vous
vienne le châtiment et vous ne recevez alors aucun secours.>> J'ai décidé de me
repentir. Mieux vaut laisser les choses avant qu'elles ne nous laissent.
Très tôt ce matin j'ai décidé d'aller voir l'imam. Je lui poserai mon problème dans
l'espoir de trouver une solution, un chemin vers le repentie. Au troisième virage avant
la mosquée j'ai juste entendu un grand bruit, je venais de faire un accident. Je venais
d'entrer en collision avec un camion. Le bruit de la collision était énorme et j'ai ouvert
les yeux, c'était mon oncle qui frappait à ma porte. Il sonnait cinq heures, l'heure de
la prière du fajir. Je venais de faire un rêve, l'un de ces rêves qui nous emportent
loin.