Tendre et délicate prohibition

Quand on n'a pas le choix, on écrit...

Toute histoire commence un jour, quelque part... La leur avait eu lieu dans une école catholique pour jeunes filles, dans une salle de classe de philosophie, en début d’année scolaire où les élèves étaient beaucoup plus intéressés aux retrouvailles qu’aux professeurs. Cependant, même dans ces rencontres hasardeuses, il y avait toujours ce petit déclic, arrangé minutieusement, dans les moindres détails. Comme si un grand écrivain jouait avec les personnages, décidait de l’intrigue, sur le grand échiquier de la vie.
En effet, ce cours était devenu l’un de ces rares où les élèves attendaient leur professeur, une âme authentique qui enseignait l’insoumission, l’art d’être vrai, réel, dans un monde où le vrai visage était bien enfouit délibérément sous le paraître avec ses couches déraisonnées de maquillage.
Penser par soi-même et par la même occasion enlever le plus de masques que possible, tel était l’objectif du cours. Ce qui allait à l’encontre de l’ingurgitation faite par les autres professeurs-ses grandes prostituées du système que Véronica s’amusait à les nommer.
La rencontre inattendue, improbable de ces deux âmes rebelles ne pouvait être hasardeuse, simplement bien planifiée, avec le plus grand soin par un génie, à leur insu. Leur histoire commença autour des mots, des pensées libres, une atmosphère aussi chaleureuse que respectueuse. Leur relation était aussi insolite, que belle. Elle dépassait les gens de leur époque. Lapidés par leur regard, leur parole, leur amour naissant était leur bouclier. Bien au-delà des apparences choquantes, une différence d’âge qui était presque gênante, malsaine. Veronica, à peine dans la vingtaine, pétillante, malicieuse, et à la fois, calme, au sourire enjôleur. Elle incarnait ces grandes beautés africaines du passé qui dirigeait des dynasties, des armés d’hommes. Ces beautés mystérieuses, sauvages qui captivaient à nouveau les magazines, les grandes maisons de styliste et les photographes de notre époque. Cette peau lisse, huileuse et foncée de cacao. Cette chevelure rebelle, dense, crépus. Plus que des cheveux, ils représentaient sa couronne royale. Ces yeux curieux, déroutants laissaient passer un regard profond, perçant, qui intimidait même le plus confiant. Regard qui devenait vite brûlant d’amour et de désir, lorsqu’il était à l’horizon, pourtant subtil que lui seul pouvait déceler. Un nez plat frémissant lorsqu’elle, yeux fermés, aspirait son odeur, une bouche gourmande qui laissait passer les mets les plus épicés jusqu’à la langue tendre et curieuse de son homme. Cette senteur des Antilles qui émanait d’elle, on dirait bien que la nature a été généreuse : des courbes, des jambes et autres atouts bien dessinés. Elliott, de son côté, s’approchait dangereusement de la soixantaine, il devenait beaucoup plus beau, attirant, d’années en année, avec ses cheveux, barbes, grisonnants. Sans même en avoir conscience, il était comme ces bons vieux vins, d’au moins soixante-quinze ans d’âge, qui aurait pu gagner un jugement de Paris....
Et pourtant, sa glaive avait tendrement transpercé l’âme de Véronica et fait ressortir son meilleur aspect. Qu’avait-t-elle bien pu faire dans cette autre vie pour rencontrer une âme aussi extraordinaire, ce disait-elle souvent, un bon comportement dans une vie antérieure ? Elle prenait peu à peu conscience que ces heures où elle courait, chez lui, se blottir dans ses bras, étaient les plus belles de son existence. De l’orgasme au rêve...Euphorie, amour, tendresse, tout cela les donnait l’impression que ces moments avait le goût de l’éternité. Et que ce dernier semblait se figer en leur faveur, pour ne pas empiéter sur eux, leur moment. Ce qu’ils partageaient, même les habitants du ciel était ébahis d’émotions. Et quand la réalité s’en mêlait, c’était avec déchirement qu’ils se tournaient le dos, pour une prochaine fois, espéraient-ils qui aurait le même goût. Après tout, ils étaient les seuls en ce bas monde à détenir la recette. Ils se sentaient bénis.
Le dénouement de leur histoire était surprenant, rebondissant, à chaque mot, chaque page qu’ils écrivaient. Ils n’avaient pas conscience que plume en main, ils étaient en train de créer un chef d’œuvre, le plus subtil et fragile de l’histoire de l’univers. Elle les fascinait, les déroutait, les faisait peur, les excitait mais cela ne les empêchait pas de se jeter sur l’autre et de s’aimer au délire-la seule façon qu’ils avaient trouvés. C’était étonnant comme l’amour lui-même pouvait inspirer à des êtres, mille et une sensations, folies, et en même temps adoucir leur cœur, les rendre meilleurs.
Elle avait envie de crier sur tous les toits. « Ne voyez-vous pas que j’aime! ». Malheureusement, la société cherchait toujours le moyen de mettre sous silence l’amour. Ces gens frustrés au quotidien, hypothéquaient les sentiments les plus nobles pour faire la course à l’argent, à une meilleure situation pour embellir leur masque, se trompant des fois, même dans leur propre jeu...Le jeu social. « Ils furent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants. » Cet adage s’appliquait aux jeunes et non au couple ayant une grande différence d’âge. Une folie, disent-ils, comme si ces deux êtres pouvaient s’aimer dans leur normalité. Les regards approbateurs quand ils se tenaient la main, les flots de commentaires plus acerbes que les autres. Ne comprenant pas comment des barrières comme l’âge, la génération, les modes de pensées pouvaient être traversées, et abattus par la même occasion, comme si elles n’avaient aucune sorte d’importance. Simplement des âmes qui se cherchaient en l’autre avec passion renouvelée. « Nous n’avons aucun compte à rendre à ces gens. », disait-elle tout haut, comme pour se convaincre. «  Vivons notre histoire loin de leurs regards. » et pourtant, quand venait le moment de présenter un homme qui était l’ainé de ses parents, elle perdit tous les moyens qu’elle prétendait avoir. Elle avait assez d’appréhension pour chaque habitant de la terre. Ses parents ne l’avaient pas vu grandir et personne ne savait ce qu’elle traversait. Les jeunes de son âge auxquels, ils la poussaient dans leur bras, ne l’ébranlaient pas, pourtant elle avait beau essayé d’aller vers eux. Compagnies stériles, triviales, qui ne prenaient pas le temps de s’aimer comme autrefois, d’écrire, trop pressés pour briller sur les réseaux sociaux, d’assembler des gens aussi vides et narcissiques qu’eux, en quête d’excitation sensorielle forte pensant qu’ils dévoraient la vie d’une seule bouchée. Ils avaient fait du « Me vois-tu ? » leur philosophie.
Ses parents, les plus peinés, étaient les premiers visages sur lesquels elle y lut de la honte, honte d’en parler à leurs amis. Ils n’en tiraient aucune fierté, sinon un sentiment de grande colère pensant qu’elle avait été manipulée, victime des paroles d’un homme qui ne cherchait qu’à profiter de la naïveté d’une jeune fille. Tout en les gens de la société respirait du faux, de la peur, de la frustration, un conglomérat de sentiments révulsant. Toutefois, ils étaient normaux, et confortables. Quand entre deux sanglots, elle lui expliqua ses craintes. Il lui disait, tout simplement : « Ferme tes yeux et dors dans mes bras. » Plus rien n’avait de l’importance-sinon leur monde. Après ces mots, elle était revigorée. Elle avait assez d’énergie pour les défendre devant un jury aussi borné que cette société mensongère, et pathétique. Elle serait prête à le faire même si une pile de livres sacrés, lui était présentée.
L’instrument se pliait toujours à la symphonie jouée par l’artiste, le pinceau épousait la courbe parfaite des mouvements du peintre. Le soleil reprenait toujours sa place derrière l’horizon, la fleur livrait toujours sa senteur quel que soit l’environnement qu’elle se trouvait, toujours les choses prenaient leur place et restaient égales à leur vrai nature. Des péchés étaient commis et punis. Les révolutions se faisaient, les systèmes étaient remis en question, des aides étaient apportées aux opprimés. Des batailles se livraient, d’autres se perdaient, des oppresseurs étaient nés, d’autres tombaient lamentablement. Des pays prenaient leur indépendance au détriment de leur métropole, d’autres se revoyaient esclaves dans un monde dit libre. Des âmes se retrouvaient, d’autres se perdaient après de douloureuses séparations. Eternel recommencement. Mais chaque chose reprenait sa place, dans l’espace et dans le temps pour se mettre en harmonie avec la parfaite synchronie de la vie.
Van Goh avait vendu deux tableaux étant vivant, et pourtant des siècles après sa mort sa peinture était vendu à des millions. Cette bonne vieille habitude de rendre hommage à celui qui était parti. L’opinion des autres ne pouvait alors pas définir l’importance d’une chose et même l’union de deux êtres. Leur vraie valeur ne dépendait pas du monde extérieur. « Pensez-vous au mariage ? », « C’est quoi la finalité de cette union ? » comme si le contrat de mariage garantissait l’authenticité des sentiments et du lien. Ce qui était ironique avec la société, la définition de « normal » n’était jamais permanente. Etre lapidé pour un comportement dans un siècle et pour après être accepté, jugé convenable, soit un demi-siècle plus tard.
Le malheur se passait d’invitation. Aucune indication. Il vous tombait simplement dessus. Comme une épidémie nouvelle qui vous ravageait sans même avoir le temps de prendre conscience de ce qui vous arrivait. Elle pourra titrer le nouveau chapitre, plein de péripéties nuisibles de leur histoire, « L’ultimatum », ou « Le dilemme ». De l’encre avait été renversé sur cette page de leur histoire et salissait plusieurs autres. Entaché d’encres, il fallait de force oblitéré cette partie, impossible de la noircir avec des mots, des phrases pour illustrer leur amour. Un chapitre sombre s’annonçait où ils n’espéraient pas voir le soleil se lever. Trente minutes passèrent depuis qu’elle fixait l’aiguille de cette horloge, dans cette salle d’hiver aussi sombre et froid que la mine de ses parents. Cela prenait l’air sinistre d’une réunion de famille, la tribu avait pris sa décision : Rester chez eux, dans leur vie, ou le bannissement. Ce qui lui donnait le goût d’une condamnation à mort. Choisir entre ses parents et l’homme de sa vie. Tous ces deux mondes, faisaient partie de son rituel de bonheur quotidien. Elle était au pied du mur. Aucune solution analytique, ni rationnel, ne pouvait sortir dans son cerveau, endolorie par la peur, la tristesse. Elle n’avait point d’idée de révolte. Quand elle le retrouva, donna libre cours à ses larmes et spasmes dans les bras de son homme. Ce dernier l’écouta maudire, sans l’interrompre, la terre entière, comme si elle conspirait contre eux. Elle se plaignit de l’injustice de la vie, à quel point elle avait le mal des gens qui la jugeaient. Il se contenta de lui serrer dans ses bras, chauds et accueillants, comme à l’accoutumée, comme un port attendant son bateau. Ils devraient traverser cela ensemble, en équipe, contre le reste du monde. Cependant, il n’était pas question qu’il la mette dos à dos avec sa famille, se disait-Elliott, intérieurement. Quand elle leva ses yeux dans sa direction, elle vit qu’il était pensif, le questionna mais il se contenta de l’embrasser. Ils restèrent longuement ainsi, blottis dans les bras de l’autre, silencieux. Contents de se retrouver en dépit des circonstances, parce que chaque minute, chaque seconde avec l’autre était une bénédiction, un cadeau inestimable, un saint graal, qu’il fallait protéger, en profiter, vivre dans toute son intégralité. Comme si ils allaient se dire adieu dans quelques instants, comme si leur vie dépendait de chaque baiser, chaque mot tendre. Il fallait tout donner, sans effort. Il fallait se déshabiller. Livrer leur âme l’un à l’autre, simplement, tout simplement. Leur rituel amoureux. Bien plus fort que l’attraction physique, des désirs, des paroles. Seulement eux. Ils se confondaient. Le reste de cette soirée de novembre se passa ainsi, assis dans le noir, sereinement serrés dans les bras de l’autre, cherchant un quelconque réconfort, se réchauffant en attendant que l’orage se calme.
Pourtant, l’orage ne se calma pas. Les jours suivants les évènements se déroulaient à une vitesse hallucinante. La situation s’aggravait. Les scandales se multipliaient autour d’eux. Les mots blessants pour l’un et la culpabilité pour l’autre. On aurait dit que le monde s’acharnait pour donner leur dernier coup de hache pour les faire tomber. Tous deux préféraient s’enfermer dans leur mutisme. Même les grandes histoires d’amour avaient leurs heures sombres. Ils savaient néanmoins que la politique de l’autruche ne fonctionnerait pas.
Sur la route qui serpentait jusqu’à la maison d’Elliott, elle profitait pour réfléchir, humer l’air de la montagne. Cette dernière imposante, calme, impassible était le témoin silencieux de leur amour. Le temps commençait à s’arrêter, tout autour d’elle n’était que la senteur glacée de l’air et frais des arbres. Tout était simple, naturel. De ce bleu profond dans le ciel, jusqu’à cette verdure épaisse qui défilait devant ses yeux à la vitesse de la voiture. Félicité totale. Elle se sentait pendant un moment en paix.
Arrivée sur le seuil de sa maison, un sentiment d’être chez soi l’envahissait. Elle poussa la porte déjà entrouverte, pour rentrer dans ce qu’elle appelait son port. Véronica s’approcha d’une table où elle pouvait identifier une lettre portant son écriture, cette manie de lui laisser des mémos d’amour quand il était absent. Elle se jeta sur la feuille comme à l’accoutumée, avec frénésie. En parcourant les lignes, elle sentit monter un flot d’émotions intenses. Elle se laissa tomber sur un mobilier, après avoir lu ses mots qu’elle l’aimait l’entendre répéter: « N’oublie pas que quelque part, il y a un homme qui t’aime, qui pense à toi et qui te veut tout le bien du monde. »