Sur Les Ailes Du Destin

Toute histoire commence un jour, quelque part. Les belles histoires commencent là où l’amour n’est pas une seule illusion, où la douleur n’est pas autorisée à s’installer, bref où la vie découle comme dans une utopie.
         J'avais 15 ans. J'étais à l’âge qui nourrit tous les rêves et les idéaux d’une personnalité en formation. L’âge qui a la clé de nombreuses portes vers tout ce qui est beau et magique, vers des horizons lointains.
        Mais pour moi tout ça était étrange. La tristesse et le chagrin - voici mes seuls compagnons de cet âge-là. Les deux piliers qui ont gardé mon existence, depuis le jour où je suis restée seule avec ma mère, parce que notre père était décédé, suite à un accident de travail.
          Nous vivions très difficilement, dans une pauvreté avare. Il y avait des jours où nous n'avions rien à manger. Le petit argent que ma mère gagnait pour avoir faire du ménage ne suffisait pas toujours pour la nourriture, le logement et les vêtements. Aucun employé ne voulait pas m'embaucher moi, vu ma fragilité. Le seul travail que je pouvais faire pour aider un peu ma mère avec l’argent nécéssaire c’était un travail de la rue, là où personne ne demandait mon âge. Après l’école, je ramassais des bouteilles d'alcool vides et je les échangeais pour quelques monnaies. Seul les jours fériés m’apportaient un grain de bonheur, car les gens consommaient de l’alcool et ça me permettait de ramasser un plus de bouteilles vides.
           Ma mère, déchirée par le deuil de mon père, par notre pauvreté sans fin, a pris un jour la décision de partir chercher un travail dans une autre ville plus grande. Partie à l’aveugle, elle n’a pas voulu prendre encore un risque et m’emmener avec elle. Elle a prié notre voisine de prendre soin de moi quelque temps, jusqu’au moment où elle allait me prendre avec elle, dans une autre vie.
           Une fois ma mère partie pour chercher un meilleur avenir pour nous, le cauchemar de ma vie est entré dans ma chambre assez modeste, sans m’avoir demandé la permission. Les jours ont perdu toute couleur. Je suis restée seule, je me sentais abandonée même si je comprennais que ma mère faisait ça pour mon bien-être.
          Le matin où ma mère est partie, elle m'avait promis qu'elle m'appellerait pour me donner des nouvelles sur elle. Plus de quelques semaines passées, aucune nouvelle de sa part n’arrivait chez moi. Rien.
        Quelques mois passées – la même situation. Aucune nouvelle.
        Après un an de solitude totale, je commençais à m’habituer à être orpheline. C'étais très dur, je n'avais pas d'argent, des vêtements, parfois - rien à manger. Ces jours-là je vivais une détresse incommensurable. J'ai essayé plusieurs fois trouver un petit boulot, mais tout le monde me refusait à cause de mon âge. À cette époque-là j’espérais mourir pendant mon sommeil.
          C’était fin mai. Les soirs tièdes d’été à venir rechauffaient mon corps et mes pensées. Une nuit j’ai fait le rêve de ma mère, qui portait une belle robe blanche et une couronne de fleurs dans ses cheveux. Elle était devant une eglise à côté d’un bel homme qui la tenait par sa main fine. Elle me regardait et me souriait avec ses yeux bleu marine qu’on peut voir aux poupées en porcelaine.
          Le matin, c’était la première fois après de longues saisons que je me suis sentie heureuse. Peut être c’était grâce à ce rêve-là si beau, si réel. Je suis sortie de la maison pleine de forces, radiante, j’admirais le soleil, le chant des oiseaux, les allentours. Ce jour-là, ramasser des bouteilles vides semblait ramasser des fleurs.
          Errant les ruelles avec quelques bouteilles vides dans mes mains, un homme d’une trentaine d’années s'est approché de moi et m'a dit :
         - Mademoiselle, la beauté de votre visage et de votre corps n'a pas été créée pour faire un tel travail. Le velours de vos mains et l'azur de vos yeux ne méritent pas une telle attitude de votre part.
          J'ai été prise par une étrange perplexité. Je ne le connaissais pas. Je ne savais pas quoi lui répondre. Tout de suite je me suis rappelée que je l'avais vu plusieurs fois dans le quartier, me regardant de loin, mais je n'en avais pas tiré attention. Était-il un maniaque à la recherche des jeunes filles ? En fait, c’était un homme grand, beau et aux yeux verts sombres, un homme solide et bien soigné. Devant lui, mes pensées faisaient la tour entre l’embarras et la curiosité.
          - Vous avez des nouvelles de ma mère ? c’était la seule chose que j’ai pu lui demander.
          Cela faisait une semaine déjà qu'il venait me voir chaque jour, en apportant avec lui des fruits et des fleurs. Mon coeur battait si fort à l’heure où je supposait son arrivée. Tout mon être était enveloppé d'un bonheur étrange. J’ai compris ensuite que j’étais tombée amoureuse de cet homme, de ses yeux sensuels, de son sourire radieux, de son visage qui émanait de la chaleur.
           Il m'avait trouvé dans une situation de vie compliquée. Touché par mon sort, il n’a pas tardé de me proposer son aide. Privée de l’amour paternel, restée seule sans ma mère, je ne pouvais pas m'empêcher d'accepter ses soins.
           La nouvelle vie que j’ai commencée à côté de lui j’étais autorisée seulement à rêver avant de le rencontrer. Sa maison, qu’il a décidé de partager avec moi, était exceptionnelle. Les chambres grandes et spacieuses, dotées d’un luxe si simple et rafiné à la fois, me rappellaient les contes que ma mère me lisait avant le coucher.
          Dès que je me suis intégrée dans son monde, Mathieu m'a aidé à m'inscrire aux cours des Beaux Arts, en réalisant ainsi un de mes rêves d’enfance. Les études en peintures suivis à l’école m’ont aidé à me débrouiller dès la première rencontre avec mon professeur.
           Mes jours étaient magnifiques. Ma vie avait beaucoup changé. J'étais aimée et j’aimais. Toute la journée, nous passions le temps ensemble, nous nous amusions, nous prenions des photos, nous visitions divers endroits splendides, des curiosités touristiques, des musées, des théâtres, des cinémas. Il me gâtait toujours avec des petits cadeaux et des fleurs. Selon moi, c’était la vie parfaite.
          Dans quelques mois, nous nous sommes mariés. Le rêve que j’avais fait une nuit de mai était devenu réalité. Nous étions très heureux.
          Après un an de mariage la grandeur du rêve que je vivais commençait à diminuer. Mathieu passait tout le temps au bureau, moi j’allais à l’université. Nous nous voyions que le soir. Il y avait des moments où je restais un peu après les cours, je passais du temps avec mes collègues et une fois par semaine, je sortais avec mes amies pour tuer le temps que je devrais passer seule à la maison. Dès que je rentrais, je préparais le dîner, je faisais du menage, donc je respectais mes petites tâches de femme mariée. Pas de sorties, pas de voyages romantiques, pas de fleurs non plus. Pour ce changement de situation j’avais une seule explication – mon mari avait un travail exténuant.
          Le dernier vendredi avant les vacances d’été j’ai pensé faire une surprise à Mathieu, pour fêter notre 3e anniversaire et pour réanimer notre relation. J’ai préparé un dîner romantique, j’ai décoré la maison des bougies, j’ai choisi de la musique romantique et j’ai mis la première robe que mon bien-aimée m’avait acheté à l’époque. À l’heure où d’habitude Mathieu rentrait du bureau, tout était prêt.
          Une demi-heure de retard était quelque chose de normal pour le programme de mon mari. Après deux heures, j’ai commencé à m’inquièter, car jamais Mathieu ne s’attardait sans me prévenir. Mon inquiètude s’aggrava quand son répondeur me demanda de laisser un message après le signal. Un moment j’ai vecu la terreur que j’avais éprouvé au moment où j’ai vu ma mère partir. L’absence de mon mari a évoqué les souffrances de mon passé. Je me sentais de nouveau seule.
          Au minuit, le temps où d’habitude nous lisions ensemble de livre de parenting pour mieux nous préparer pour notre mission à venir en 5 mois, mon mari est entré, l’air gai et amusé.
          - Pourquoi tu ne dors pas, bébé ? il me demanda en s’approchant pour me faire la bise.
           Quand j’ai voulu le demander qu’est-ce qu’il s’est passé, j’ai senti une odeur de parfum féminin et j’ai entrévu sur son cou les taches d’un rouge à lèvres que je ne mettais jamais. J’ai posé instictivement mes mains sur mon ventre et les larmes ont commencé à couler sur mes joues. C’était seulement à ce moment-là que Mathieu a observé l’ambiance de la maison : le dîner refroidi, les bougies brûlées sur toute la surface, les CD et la robe mise attentivement sur le canapé.
           Un instant j’ai eu l’idée de commencer à crier, de faire des scnènes de jalousie, en fait de briser notre mariage. Ensuite, ma deuxième pensée a été de rester calme, comme si rien ne s’était pas passé. J'ai préféré condamner ma multitude de reproches et de clarifications et de relâcher la patience. Puis, après quelques années cette pensée s’est montrée sage. Déjà, cet amour infini pour lui n'existait plus, il a disparu, depuis longtemps, dans les profondeurs infinies. Il n'y a que l'amour pour mon bébé, pour lui j'éxistais. Le seul être qui a eu besoin de moi, à qui je représente l'univers entier.
           Les soirs quand Mathieu restait au bureau après le programme jusqu’à minuit pour des réunions imprévues se sont multipliées. Mes souffrances perdaient du terrain face au miracle de mon ventre qui grandissait chaque jour. Mon dernier semestre de grossesse je priait Dieu pour que mon mari vînt le plus tard possible le soir, quand j’étais déjà endormie pour ne pas être obligée d’écouter ses excuses pitoyables.
           Le jour où le medecin m’a dit que ma fille naîtrait fin automne et qu’il faudrait respecter un régime stricte de repos, Mathieu a décidé d’embaucher une femme pour m’aider avec le ménage et les autres tâches ménagères. Mon essay de le convaincre que j’allais réussir faire tout seule n’avait aucune chance, car mon mari aimait assez notre fille, qu’il n’avait pas encore vue.
           La femme de ménage est arrivée un après midi quand Mathieu était comme d’habitude au bureau. Quand je suis partie ouvrir la porte, j’ai eu un moment de confusion. Les yeux bleu marine que j’ai découvert devant la porte m’ont laissé muette.
          - Maman!!! Tu es revenue...
         Cet après midi-là ma mère m’a raconté tout ce qu’elle avait fait pendant son absence. J’étais térrifiée par ce qu’elle me disait. Que de douleur, du chagrin avait-elle suporté pour garder des petits boulots. De même, elle m’a raconté l’événement qui a précédé son arrivé dans notre maison. J’ai compris encore une fois que mon mari avait des histoires d’amour avec des femmes mariées.
           Vu le fait que mon mari essayait de me limiter tout contact avec des personnes extérieures à notre mariage et par peur de voir de nouveau ma mère partir, nous nous sommes mises d’accord de garder à nous le secret qu’elle était ma mère. Ce n’était pas difficile de faire ça, car l’heure où mon mari rentrait soit j’étais déjà endormie, soit ma mère était dans sa chambre.
            Le premier Noël que je fêtais avec ma famille m’inquiétait et me réconfortait à la fois. Je me sentais coupable pour avoir caché la vérité à mon mari concernant ma relation avec la femme de ménage. En même temps, j’étais consciente du fait que c’était grâce à ma mère que notre mariage résistait encore. Je regardais Jeanne, notre fille, qui en fait était le seul être pour qui je continuais de rester dans cette vie-là, pour son avenir, pour une vie plus décente.