La petite silhouette frêle se découpe à peine dans le couchant brûlant et ondule tel un mirage à l'horizon. Mānav traîne des pieds et chacun de ses pas soulève un nuage de poussière qui ne ... [+]
Sur la terrasse de son duplex, Héléna observe le soleil décliner lentement à l'horizon. Il darde ses derniers rayons dans le ciel azur teinté de pourpre et fait miroiter une structure tout en transparence qui s'étend au-dessus d'elle et à perte de vue. Il n'y a qu'à l'aube et au crépuscule que l'on peut deviner la gigantesque coupole qui protège l'ensemble de la cité. La jeune femme s'arrache à sa contemplation. Quand il fera nuit, elle passera à l'action.
Sur la table en simili bois, tout son matériel est prêt. Enfin, presque. Il lui manque la terre. Elle attrape le seau et se dirige vers l'espace dédié à sa création. Le passage n'est pas aisé tant les lieux sont encombrés par d'innombrables pots. Sur son passage, les feuilles caressent la peau nue de ses bras et certaines dégagent ces fragrances subtiles qui ravissent l'odorat. C'est sa jungle, son coin de nature préservé, la preuve que la quête folle qu'elle a entrepris il y a bientôt dix ans fonctionne.
Elle entend bourdonner sans les voir quelques abeilles qui s'attardent à butiner les fleurs écloses. Elles proviennent des ruches du toit terrasse d'en face. Ce sont les seuls insectes que l'on tolère sous le dôme, pour le miel qu'elles fabriquent. La pollinisation, voilà bien longtemps que c'est l'affaire des hommes, mais pas ici ; sur sa terrasse, elle se fait naturellement.
Héléna arrive au composteur. C'est elle qui l'a fabriqué. Rien de très compliqué, de simples palettes posées sur chant en carré. Une idée qu'elle a trouvée dans de très vieux livres. Depuis, elle n'utilise plus les bacs de l'immeuble consacrés aux déchets organiques et collectés comme des substances nocives les mardis et jeudis. Elle y jette directement ses épluchures et avec un peu de patience, elle voit déborder des lattes ajourées le précieux substrat. Il lui a fallu du temps avant que le miracle ne se produise... Les bactéries et les champignons étaient bien là, mais il manquait quantité d'autres petits travailleurs. Ces inconnus du sous-sol, Héléna est allée les chercher loin de la ville et de ses environs où ne subsiste que la roche-mère du sol lessivé et stérile. Elle n'était pas certaine qu'ils s'adapteraient à leur nouveau lieu de vie, il est si riche. Ici, sous la coupole, ils sont protégés de l'acidité atmosphérique à laquelle ils étaient coutumiers. Quand elle a prélevé ses premiers échantillons, on ne peut pas dire qu'ils grouillaient de vie. A en croire ses différentes lectures sur le sujet, en 2022 on pouvait trouver dans une cuiller à café de terre plus d'êtres vivants que d'humains sur la planète ! Personne ne s'intéresse à ce qui se passe sous nos pieds, mais c'est un véritable génocide qui a été perpétré en un siècle...
Une agréable odeur d'humus remonte de l'installation sommaire. Ses complices ont mis le temps, mais ils se satisfont parfaitement de leurs nouvelles conditions à en voir le terreau noir qui se répand au pied du composteur. En étant bien attentif on peut y repérer larves, cloportes et divers minuscules arthropodes.
A pleine main, la jeune femme remplit son seau. Elle ne porte jamais de gants, elle aime le contact frais et grumeleux de son or brun. Sous ses ongles, elle ne parvient pas toujours à en faire complètement disparaître les traces, ce qui lui vaut alors le regard dégoûté de ses concitoyens les plus observateurs.
Sur la table, Héléna étale la terre prélevée. Reste à l'ensemencer. Elle ouvre l'antique boîte de fer blanc et sort une des enveloppes soigneusement étiquetées. Les graines qu'elle contient sont également le fruit d'un long travail... La patience. Il lui a fallu intégrer ce concept, nouveau et étrange. Ici, quoi que l'on désire, on n'a jamais besoin d'attendre trop longtemps pour l'obtenir. Des graines, elle aurait pu en trouver facilement en jardinerie, mais ce ne sont pas les semences brevetées qui intéressent la jeune femme pour la lutte dans laquelle elle s'est engagée. Ces graines qu'elle verse dans sa paume et fait rouler entre ses doigts, elle les a prélevées directement sur les plantes-mères de sa terrasse, elles-même issues de graines qu'elle a eu bien du mal à se procurer... Ce qu'elle fait depuis presque dix ans est totalement illégal, parfaitement irrespectueux des règles sanitaires si chères aux grands industriels. Depuis que les sols ne sont plus exploitables, les réglementations sont très strictes en la matière. Dans les fermes urbaines, ces immenses tours de plasti-verre où prospèrent les potagers verticaux, les cultures hors-sol sont la norme.
Un frisson parcourt le corps frêle d'Héléna. Ce qu'elle s'apprête à faire ne risque-t-il pas de perturber l'équilibre de la faune et la flore sous le dôme ? Un instant, elle hésite. Puis sa résolution chasse ses inquiétudes et sa main déverse les graines qui tombent sur la terre brune. La jeune femme forme ensuite des boules qu'elle humidifie d'eau.
Alors que les lumières de la ville chassent l'obscurité naissante, Héléna charge son sac à dos de ses bombes organiques et quitte son appartement. A pied, elle remonte l'avenue où quelques promeneurs s'attardent. Un large espace est aménagé pour les piétons, ponctué d'immenses bacs plantés d'arbustes et de fleurs. La jeune femme ne peut s'empêcher de plonger sa main dans l'un d'entre eux. Pas de terre. Aucun des nombreux espaces plantés de la cité n'en recèle, même l'impeccable gazon des parcs repose sur un substrat artificiel irrigué par un système d'arrosage. Chacune des plantes à droit à son propre cocktail nutritif déversé au goutte à goutte. Quand ses concitoyens s'émerveillent de la vigueur et de la beauté des massifs, elle n'y voit qu'une armée de clones sous perfusion...
Héléna dépasse l'entrée du monorail la plus proche de chez elle pour enfourcher un des vélos électriques mis à disposition à chaque coin de rue. Ce mode de transport est plus commode pour repérer ses futures zones d'ensemencement et inspecter chacune des fissures qu'elle a déjà investies. Elle les connaît toutes par cœur, ces petites imperfections dans le revêtement lisse de la chaussée. C'est par ces brèches, donnant accès au sous-sol mort de la ville qu'elle insuffle une nouvelle vie. Pour le moment rien n'a levé, mais qui dit que ses microscopiques complices n'ont pas entamé leur travail invisible ? Des fissures, quand on y prête attention, la cité en est parsemée !
En arrivant dans le quartier repéré la veille, Héléna dépose son vélo contre un banc. Après s'être assurée que personne ne se trouve dans les environs, elle se met à quatre pattes pour sonder la chape lisse. La terre est bien là, plus jaune que brune, fine bande coincée entre deux lèvres de béton. La jeune femme tire alors discrètement une des bombes de son sac à dos qu'elle émiette dans la brèche. Pas d'arrosage automatique pour vous les filles, pense-t-elle en se redressant pour inspecter son travail. Il faudra compter sur la seule humidité ambiante qui règne sous le dôme, il ne pleut pas ici. Mais les graines contenues dans ses boules de terre ont été sélectionnées pour ça.
Sur le chemin du retour, Héléna freine brusquement, manquant de passer par-dessus le guidon. Elle croit avoir capté quelque chose, une frêle silhouette qui se projette en ombre chinoise sur un mur. La jeune femme abandonne le vélo et se précipite aussitôt. Elle n'a pas rêvé ! C'est bien la tige d'une herbe folle qu'elle voit danser au gré du vent léger produit par la climatisation du dôme. Une tige surmontée de pétales froissés, d'un rouge éclatant ! Héléna plaque ses mains sales sur sa bouche pour étouffer un cri de joie. Un coquelicot ! Il est parvenu à émerger de la mince fissure qui serpente au pied de la façade de cet immeuble austère. Alors qu'elle en suit le tracé, elle constate émerveillée que plusieurs autres jalonnent la chaussée.
Des végétaux, libres de toute entrave ont investi le dôme. Cela signifie que sous le sol, la vie revient elle aussi, ténue mais tellement apte à s'adapter qu'Héléna ne doute pas que bientôt, ça grouillera de vie ici !
Sur la table en simili bois, tout son matériel est prêt. Enfin, presque. Il lui manque la terre. Elle attrape le seau et se dirige vers l'espace dédié à sa création. Le passage n'est pas aisé tant les lieux sont encombrés par d'innombrables pots. Sur son passage, les feuilles caressent la peau nue de ses bras et certaines dégagent ces fragrances subtiles qui ravissent l'odorat. C'est sa jungle, son coin de nature préservé, la preuve que la quête folle qu'elle a entrepris il y a bientôt dix ans fonctionne.
Elle entend bourdonner sans les voir quelques abeilles qui s'attardent à butiner les fleurs écloses. Elles proviennent des ruches du toit terrasse d'en face. Ce sont les seuls insectes que l'on tolère sous le dôme, pour le miel qu'elles fabriquent. La pollinisation, voilà bien longtemps que c'est l'affaire des hommes, mais pas ici ; sur sa terrasse, elle se fait naturellement.
Héléna arrive au composteur. C'est elle qui l'a fabriqué. Rien de très compliqué, de simples palettes posées sur chant en carré. Une idée qu'elle a trouvée dans de très vieux livres. Depuis, elle n'utilise plus les bacs de l'immeuble consacrés aux déchets organiques et collectés comme des substances nocives les mardis et jeudis. Elle y jette directement ses épluchures et avec un peu de patience, elle voit déborder des lattes ajourées le précieux substrat. Il lui a fallu du temps avant que le miracle ne se produise... Les bactéries et les champignons étaient bien là, mais il manquait quantité d'autres petits travailleurs. Ces inconnus du sous-sol, Héléna est allée les chercher loin de la ville et de ses environs où ne subsiste que la roche-mère du sol lessivé et stérile. Elle n'était pas certaine qu'ils s'adapteraient à leur nouveau lieu de vie, il est si riche. Ici, sous la coupole, ils sont protégés de l'acidité atmosphérique à laquelle ils étaient coutumiers. Quand elle a prélevé ses premiers échantillons, on ne peut pas dire qu'ils grouillaient de vie. A en croire ses différentes lectures sur le sujet, en 2022 on pouvait trouver dans une cuiller à café de terre plus d'êtres vivants que d'humains sur la planète ! Personne ne s'intéresse à ce qui se passe sous nos pieds, mais c'est un véritable génocide qui a été perpétré en un siècle...
Une agréable odeur d'humus remonte de l'installation sommaire. Ses complices ont mis le temps, mais ils se satisfont parfaitement de leurs nouvelles conditions à en voir le terreau noir qui se répand au pied du composteur. En étant bien attentif on peut y repérer larves, cloportes et divers minuscules arthropodes.
A pleine main, la jeune femme remplit son seau. Elle ne porte jamais de gants, elle aime le contact frais et grumeleux de son or brun. Sous ses ongles, elle ne parvient pas toujours à en faire complètement disparaître les traces, ce qui lui vaut alors le regard dégoûté de ses concitoyens les plus observateurs.
Sur la table, Héléna étale la terre prélevée. Reste à l'ensemencer. Elle ouvre l'antique boîte de fer blanc et sort une des enveloppes soigneusement étiquetées. Les graines qu'elle contient sont également le fruit d'un long travail... La patience. Il lui a fallu intégrer ce concept, nouveau et étrange. Ici, quoi que l'on désire, on n'a jamais besoin d'attendre trop longtemps pour l'obtenir. Des graines, elle aurait pu en trouver facilement en jardinerie, mais ce ne sont pas les semences brevetées qui intéressent la jeune femme pour la lutte dans laquelle elle s'est engagée. Ces graines qu'elle verse dans sa paume et fait rouler entre ses doigts, elle les a prélevées directement sur les plantes-mères de sa terrasse, elles-même issues de graines qu'elle a eu bien du mal à se procurer... Ce qu'elle fait depuis presque dix ans est totalement illégal, parfaitement irrespectueux des règles sanitaires si chères aux grands industriels. Depuis que les sols ne sont plus exploitables, les réglementations sont très strictes en la matière. Dans les fermes urbaines, ces immenses tours de plasti-verre où prospèrent les potagers verticaux, les cultures hors-sol sont la norme.
Un frisson parcourt le corps frêle d'Héléna. Ce qu'elle s'apprête à faire ne risque-t-il pas de perturber l'équilibre de la faune et la flore sous le dôme ? Un instant, elle hésite. Puis sa résolution chasse ses inquiétudes et sa main déverse les graines qui tombent sur la terre brune. La jeune femme forme ensuite des boules qu'elle humidifie d'eau.
Alors que les lumières de la ville chassent l'obscurité naissante, Héléna charge son sac à dos de ses bombes organiques et quitte son appartement. A pied, elle remonte l'avenue où quelques promeneurs s'attardent. Un large espace est aménagé pour les piétons, ponctué d'immenses bacs plantés d'arbustes et de fleurs. La jeune femme ne peut s'empêcher de plonger sa main dans l'un d'entre eux. Pas de terre. Aucun des nombreux espaces plantés de la cité n'en recèle, même l'impeccable gazon des parcs repose sur un substrat artificiel irrigué par un système d'arrosage. Chacune des plantes à droit à son propre cocktail nutritif déversé au goutte à goutte. Quand ses concitoyens s'émerveillent de la vigueur et de la beauté des massifs, elle n'y voit qu'une armée de clones sous perfusion...
Héléna dépasse l'entrée du monorail la plus proche de chez elle pour enfourcher un des vélos électriques mis à disposition à chaque coin de rue. Ce mode de transport est plus commode pour repérer ses futures zones d'ensemencement et inspecter chacune des fissures qu'elle a déjà investies. Elle les connaît toutes par cœur, ces petites imperfections dans le revêtement lisse de la chaussée. C'est par ces brèches, donnant accès au sous-sol mort de la ville qu'elle insuffle une nouvelle vie. Pour le moment rien n'a levé, mais qui dit que ses microscopiques complices n'ont pas entamé leur travail invisible ? Des fissures, quand on y prête attention, la cité en est parsemée !
En arrivant dans le quartier repéré la veille, Héléna dépose son vélo contre un banc. Après s'être assurée que personne ne se trouve dans les environs, elle se met à quatre pattes pour sonder la chape lisse. La terre est bien là, plus jaune que brune, fine bande coincée entre deux lèvres de béton. La jeune femme tire alors discrètement une des bombes de son sac à dos qu'elle émiette dans la brèche. Pas d'arrosage automatique pour vous les filles, pense-t-elle en se redressant pour inspecter son travail. Il faudra compter sur la seule humidité ambiante qui règne sous le dôme, il ne pleut pas ici. Mais les graines contenues dans ses boules de terre ont été sélectionnées pour ça.
Sur le chemin du retour, Héléna freine brusquement, manquant de passer par-dessus le guidon. Elle croit avoir capté quelque chose, une frêle silhouette qui se projette en ombre chinoise sur un mur. La jeune femme abandonne le vélo et se précipite aussitôt. Elle n'a pas rêvé ! C'est bien la tige d'une herbe folle qu'elle voit danser au gré du vent léger produit par la climatisation du dôme. Une tige surmontée de pétales froissés, d'un rouge éclatant ! Héléna plaque ses mains sales sur sa bouche pour étouffer un cri de joie. Un coquelicot ! Il est parvenu à émerger de la mince fissure qui serpente au pied de la façade de cet immeuble austère. Alors qu'elle en suit le tracé, elle constate émerveillée que plusieurs autres jalonnent la chaussée.
Des végétaux, libres de toute entrave ont investi le dôme. Cela signifie que sous le sol, la vie revient elle aussi, ténue mais tellement apte à s'adapter qu'Héléna ne doute pas que bientôt, ça grouillera de vie ici !
Merci Marie
(Les deux écritures, champ et chant, apparaissent dans le Larousse pour "Le plus petit côté de la section d'une pièce équarrie.")
L'espoir renaît comme les coquelicots...