Sonnet à Mariam

Toute histoire commence un jour, quelque part. L’histoire de Kimemé posa ses jalons à la rive sud de Niamey. Kimemé est un prodige d’esprit et de science. Il marchait à pas de géant. Surexcité, il avait lié amitié avec les livres et excellait dans tous les domaines. Sa détermination porta ses fruits lorsqu’il décrocha son diplôme de Baccalauréat. La chance lui sourit à nouveau avec l’obtention d’une bourse d’études afin de poursuivre un nouveau cursus à la faculté des sciences exactes d’Alger. La famille et les amis étaient tous de connivence avec la modeste personne de Kimemé durant ces moments de joie et de liesse totale. Après quelques semaines de préparation, c’était enfin le grand départ. Assise dans la cour de leur maison, Hajiya la mère de Kimemé appela ce dernier :
« Kimemé viens par ici! Assois-toi près de moi mon fils ! Sois béni par le Très Haut! Ne t’inquiète pas, tu es protégé contre les esprits du mal. »
Triste de devoir quitter sa famille, il fut accompagné nuitamment par son père à l’aéroport pour son périple au Maghreb. Après des heures dans les airs, enfin, le gros engin se posa sur le sol Algérien. Kimemé prit aussitôt le taxi qui l’amena à la cité universitaire Bâb-Ezzouar d’Alger. ‘’Le futur prix Nobel de physique ‘’comme l’appelait son professeur de Physique en classe de terminale, s’acclimata aisément à sa nouvelle vie. Toujours assidu, il obtint une moyenne sensationnelle en première année de tronc commun Physique-Chimie; il réitéra la même performance en deuxième année. Les vicissitudes commencèrent en troisième année de licence où la dépression l’assaillit de plein fouet. Il perdit subitement son genie.Il commença à abhorrer les livres et ses meilleurs passe-temps que sont les jeux vidéo et la lecture des mangas. En l’espace d’un mois Kimemé était devenu l’ombre de lui-même. Il passa péniblement en classe supérieure et obtint la plus faible mention de tout son parcours scolaire et académique après celle, non moins étrange, obtenu au Baccalauréat. La psychothérapie ayant été totalement inefficace pendant de longs mois, Kimemé se pencha vers l’exorcisme islamique. Au cours des séances d’exorcisme, il remarqua que la lecture du Coran provoquait des douleurs atroces au niveau de son bas-ventre. Kimemé pourtant très rationaliste, croit fortement à une cause mystique à ce mal qui ne dit pas son nom. Il proclame souvent à certains de ses amis sceptiques que la science ne se limite pas seulement à cette peinture de la nature plus ou moins fidèle, arborée dans les universités, mais s’étend plus aux différents mystères de la vie, que celle-ci hésite encore à nous dévoiler .

De retour auprès des siens pour les vacances d’été, il se rendit chez un nombre incalculable d’exorcistes réputés mais sans résultat probant. Très tenace, Kimemé retourna malgré tout à Alger afin de poursuivre ses études en master « physique appliquée et nouvelles technologies de l’énergie ». La première année de son nouveau cursus fut très éprouvante et il décida de rentrer au pays comme à l’accoutumée pour les vacances d’été. Un soir une rencontre, en principe anodine, bouleversa à jamais sa vie. Ce jour-là le soleil était clément et Kimemé accompagna son ami Ismaël chez Mariam afin de lui remettre un fascicule emprunté l’avant-veille auprès de cette dernière. D’une voix eurythmique Mariam s’adressa aux deux jeunes hommes :
« Bonsoir, j’espère que vous allez bien ? Prenez place s’il vous plait.»
Tout ébloui par la grâce et la noblesse de la beauté de cette fille, Kimemé paraissait électrocuté. Il eut toutefois le réflexe de répliquer :
« Bonsoir mademoiselle, merci beaucoup pour l’accueil .»
La clarté de son sourire radieux illumina sa discussion avec Ismaël .Après une vingtaine de minutes Ismaël se leva et lança à Mariam :
« Il arrive qu’on fausse compagnie même à une fée qui foule la terre ferme.
- Décidément tu ne changeras jamais Ismaël. », Rétorqua-t-elle avec un sourire qui broya les dernières velléités de censure du cœur resté longtemps stoïque de Kimemé. Sur la route du retour, Kimemé confia à Ismaël :
«Mon ami je pense qu’une nouvelle fois les terribles barrières de mon cœur se sont totalement désintégrées, essaye de m’arranger un rencard avec ton amie.»
Ismaël donna sans hésitation son accord. Deux jours après, il appela Kimemé par téléphone pour lui confirmer le fameux rendez-vous pour le week-end prochain.
Le jour fatidique Kimemé se vêtit d’une tenue assortie dont la grande beauté suscita un commentaire assez incisif de la part de sa petite sœur :
« Apparemment Heisenberg s’est enfin rendu compte que les formules mathématiques ne peuvent jamais remplacer l’attention d’une femme ».
Mariam accueillit le nouveau chevalier avec toute la sollicitude qui caractérise les grandes dames. Ils bavardèrent comme deux amis de longues dates pendant au moins quatre heures. Kimemé malgré le risque théorique très élevé d’échec s’il se précipitait à annoncer à Mariam ses sentiments décida de jouer à quitte ou double. Mariam avait en effet beaucoup de prétendants qui feront frémir même les plus aguerris des bourreaux de cœurs. Même si le temps voguait au ralenti pour Kimemé l’heure affichée par sa montre l’interpella.
« Mariam !je pense avoir dégoté la recette miracle pour te rendre heureuse plus que tout autre fanfaron.», exposa Kimemé.
D’un rire complice elle rétorqua :
« C’est plausible mais je doute fort que tu sois un cordon-bleu. »
« Donne-moi alors l’opportunité de déployer tout mon talent afin de prouver le contraire » opposa-t-il avec un rire éclatant.
Kimemé quitta Mariam conscient qu’il faudra ardemment guerroyer pour notamment évincer le jeune directeur général de la poste de son pays qui est d’après les rumeurs le maitre des céans. Comme un miracle n’arrive jamais seul a-t-on coutume de dire, la sagacité d’esprit et la clairvoyance ahurissante du jeune prodige ressurgirent. Après trois mois de durs labeurs Mariam accorda toute sa confiance et son amour à Kimemé. Il repartit certes triste en Algérie mais sa dernière année fut celle où il éclata le record de la meilleure moyenne semestrielle toutes filières confondues de l’histoire de la Faculté des Sciences Exactes d’Alger. Mariam marchait à ses côtés via les incessants appels téléphoniques et les messages sur les réseaux sociaux.

Au mois de juillet il mit enfin pied sur la terre de ses ancêtres, son diplôme d’ingénieur en physique appliquée en main. Il essaya de contacter Mariam sur son numéro habituel mais cette dernière ne répondait pas. Pendant deux jours ses messages et appels restèrent sans suite. Par ailleurs, par le biais d’une folle rumeur il apprit que Mariam avait accepté la demande de mariage d’un certain Abdoulaye et apparemment cette décision sera entérinée dans une semaine. Il rencontra la meilleure amie de Mariam qui lui confirma cette absurde nouvelle. Le soir, Kimemé se rendit à 20h à la « Fada » (lieu de rassemblement habituel de son cercle d’amis), pour faire table rase des mille et une questions qui le taraudent. Son cercle d’amis étaient notamment composés de deux boute-en-train de génie. L’un d’entre eux interpella Kimemé sur son mutisme inhabituel :
« Eh ! Einstein tu es sur que ta cervelle n’a pas égaré des boulons à force de chérir les livres »
«Taph lâche-moi un tant soit peu, hein ! » riposta-t-il.
Ce soir-là l’esprit de Kimemé était très absorbé mais il essayait tant bien que mal de suivre les causeries et les débats animés par ses amis.
Les réflexions de ce dernier se penchèrent essentiellement sur les raisons qui ont poussé Mariam à voguer du jour au lendemain à contre sens. Est-elle vraiment maître de son destin ? A-t ’elle oublié que j’ai refusé une bourse de thèse en Allemagne afin de lui mettre la bague au doigt l’année prochaine ?Toutes ces questions passaient et repassaient dans son esprit éprouvé. Il repensa surtout à l’extraordinaire tenue de cette sublime étudiante en médecine qui l’extirpa du gouffre d’une terrible dépression face à laquelle les meilleurs psychothérapeutes et exorcistes de Niamey et d’Alger étaient totalement désarmés. Il ne parla pas des récents évènements à ces amis, histoire d’y voir plus clair. Il rentra vers 4h du matin à la maison en passant en revue les raisons qui ont poussée Mariam à accepter de vivre sa vie avec quelqu’un d’autre. Kimemé est de nature obstiné par la cohérence; Il essaya donc de trouver une exégèse logique à cette invraisemblable nouvelle.
« Mais peut-on vraiment appréhender la femme ?
-Fallait-il abandonner ma Shéhérazade ? » S’indigna-t-il .
S’il existe des choses qu’aucun chiffre, qu’aucun schéma et qu’aucune lettre ne saurait décrire, le ‘’Miracle du 25 juin’’ en ferait partie. Le 25 juin fut le jour ou Kimemé posa pour la première fois son regard sur les yeux enivrants de Mariam. Un léger bruit interrompu le silence violent qui régnait dans sa chambre. Il eut sur le coup le réflexe de regarder l’heure sur son téléphone. Il était déjà 6h08 du matin. Il se rappela qu’il avait gardé une copie d’un poème qu’il avait adressé à Mariam quelques semaines auparavant. Elle lui avait promis à plusieurs reprises, malgré une pression familiale farouche, qu’elle n’acceptera aucune des propositions de mariage qu’elle recevait régulièrement et qu’elle attendrait qu’il soit financièrement prêt. Dans la pénombre de sa chambre, accablé, il lisait le poème à haute voix :

« Bague au doigt, je convierai ,grande dame, Ce sort qui berçait tous ces valeureux malfrats, Arguant pour certains rubis et mille carats, Pour qu’il conte la joie des sœurs et des âmes.
La Joconde célébrait le griot au tam-tam, Vient de se marier au beau fils du Sahara, Héroïque et mystérieux comme son aura, Que Dieu bénisse cette belle entame !
La pleine lune, confiait le sort débouté, Rejoignit la grande fête sans hésiter, Témoin et complice d’instants fatidiques,
Crois-moi je te rendrai heureuse comme jamais, Je serai plus ambitieux qu’un poète lyrique, Accroche bien ce sonnet jusqu’au mois de mai . »
Après une dizaine de lectures enflammées du sonnet, il décida qu’il ira voir Mariam chez elle dans la soirée afin de chasser tous ces démons qui hante sa sérénité retrouvée et surtout tenter l’impossible même si cela implique l’intervention de sa mère, qui apprécie énormément ‘’la fée à la blouse blanche ’’.
L’appel du Muezzin coupa court aux réflexions intenses de Kimemé. Il ne s’éclipsa de la mosquée qu’à partir de dix heures du matin invoquant avec une ardeur jamais déployée son Seigneur afin que les vers ne soient point altérés.
Le soir vers 17h Kimemé se rendit chez sa "fée à la blouse blanche". Le soleil était clément ce dimanche-là et le taximan qui l'amena raconta tellement d'histoires hilarantes en cours de route qu'il réussit à faire oublier à Kimemé son insoluble équation, du moins selon tous les scénarios qu'il avait imaginés la veille. Il rentra d'un pas hésitant dans la cour de la maison de Mariam. Une voix troublante répondit au " Salam alaykoum"(Que la paix soit sur vous) qui a précédé son entrée.Kimemé n'arrivait plus à quantifier les larmes qui se déversait sur son merveilleux boubou dans la seconde qui suivait son arrivée. Mariam l'avait en effet serré de toutes ses forces dans ses bras. Les larmes coulèrent également des yeux innocents de Kimemé devant la mère et les sœurs de Mariam toutes ébahies .Mariam en effet avait une notion de la pudeur assez particulière. Elle refusait très souvent de serrer la main aux garçons qui n’étaient de son cercle familial proche et Kimemé qu'elle chérissait tant n'avait jamais échangé de poignée avec elle. Quelques minutes plus tard Kimemé quitta la maison de Mariam; Il leur était impossible de discuter à cause du trop -plein d'émotions. La nuit, elle lui écrivit un SMS pour lui annoncer qu’Abdoulaye ne lui mettra pas finalement la bague au doigt et qu'elle a eu enfin le courage de dire à ses parents qu'elle ne voulait pas lier son destin à celui de ce dernier. Elle avait gardé pendant longtemps le silence parce qu'elle ne voulait pas une fois de plus les contrarier en refusant une énième proposition de mariage.Kimemé était ravi mais il était aussi vaguement pensif. Féru des sous-entendus, il lui écrivit un message sous forme de vers:
"À toi ma dulcinée"
J'ai passé tellement de temps à te chercher qu'il m'arrivait de m'inquiéter.
Trouver la femme qui m'était destinée était devenu pour moi une angoisse à surmonter.
Lorsque j'avais enfin trouvé ma bien-aimée, tel un gamin écervelé, je me suis soudainement mis à rêvasser.
Moi qui me targuais d'avoir un cœur barricadé, je me suis laissé transporter par la clarté de ton sourire radieux,
Que dis-je? J’étais assommé par la noblesse de ta beauté.

Oui j'avais rêvé de nous deux.
Moi, un mari attentionné, un lundi férié, en train d'effacer des larmes sur tes joues éprouvées.
Toi, une femme exaltée, un jeudi ensoleillé, entrain d'observer nos bambins excités.
Oui la vie se conjugue mieux à deux, c’est pourquoi je m'évertuerai plaise à Dieu,
À chercher notre félicité,
Dans la voie du tout Miséricordieux.

Sa journée éprouvante et son remarquable lit complotèrent pour l’endormir avant qu'il ne lise la réponse de sa dulcinée.