Silence on pousse !

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  • Littérature générale
Dans la petite ville d'Ailly-sur-Noye, Jean habitait une petite maison en brique rouge, coincée entre deux autres petites maisons en brique rouge. Côté rue, le garage et la cuisine, le salon côté jardin, à l'étage deux chambres et une salle de bain. Enfin, le jardin... Un jardinet, tout au plus une bande de terre, de quoi faire pousser deux poireaux, trois courgettes et plus si affinité. Jean aimait les courgettes. Alors il se cantonnait aux courgettes. Mais les limaces aimaient aussi les courgettes. On peut dire même qu'elles en raffolaient, vu leur grand nombre à venir et revenir chaque jour se délecter des fleurs jaunes et de la chair tendre du légume. Alors chaque jour, tel Sysiphe remontant son caillou, Jean faisait la guerre aux limaces.

Il avait tout essayé : le bol de bière, la cendre, les coquilles d'œuf, et même les tapettes à souris. Mais la technique la plus efficace pour se débarrasser des indésirables restait quand même le lancer de limace par-dessus la palissade du jardin. Immanquablement, les limaces se retrouvaient chez les voisins : celui de gauche qui cultivait ses fraises et celui de droite qui cultivait ses muscles. Oui, ça peut paraître bizarre dit comme ça, mais l'homme en question aimait pousser la fonte, allongé sur son gazon au petit matin, l'haltère porté à deux mains au-dessus de la tête. « Et une et deux et trois », faisait René en poussant (René, c'était son nom). « Et une et deux et trois », faisait Jean en lançant du gastéropode. Évidemment, Jean et René ne cultivaient pas leur art au même moment de la journée. En effet, Jean savait rester discret pour éviter le retour à l'envoyeur et pour cela, il pratiquait le lancer de limace à la tombée de la nuit. Pour ce qui est de la répartition gauche-droite, Jean n'avait aucune préférence. D'ailleurs, il se disait centriste à qui voulait bien l'entendre, c'est-à-dire pas grand monde, à part le patron du café du bout de la rue. Donc Jean balançait, ni vu ni connu, en veux-tu en voilà, un coup à gauche, un coup à droite, comme ça pas de jaloux. Le voisin aux fraises, lui, ne se rendait compte de rien. Bonne poire, il ne pouvait que constater, amèrement, l'étendue des dégâts au matin, mais jamais il ne se douta de l'origine frauduleuse des coupables. Le traitement qu'il réservait à ces dernières ? Jean n'en savait rien, mais il commença bientôt à comprendre qu'il s'était mis lui aussi au lancer de limace. Finalement c'est fou comme ce sport était devenu populaire dans le quartier en quelques semaines... D'ailleurs, les limaces n'avaient pas l'air de s'en plaindre : elles voyaient du pays, voyageant à l'œil et rencontrant de nouvelles congénères, ce qui favorisait d'autant plus leur brassage génétique. Elles devinrent donc logiquement plus nombreuses et voraces, ce qui contribua encore plus à l'essor de ce sport local.

Le manège dura tout l'été, et il aurait pu encore durer jusqu'à l'hiver, s'il n'y avait pas eu ce triste jour de septembre où l'on retrouva René, raide mort sur son gazon, la nuque brisée par la solide barre de son haltère. Une bave de limace luisait encore sur son front. On conclut à un malheureux accident, mais Jean savait et n'en dit rien. Il savait pour la limace, une grosse et bien juteuse, un vol plané parfait, presque un peu trop long, suivi d'un cri de surprise et d'un choc métallique. Mais ce que Jean ne savait pas, c'est pourquoi René avait décidé de pousser la fonte dans son jardin ce soir-là, qui plus est en silence, sans pousser ses « et un, et deux, et trois... ». La douceur de cette fin d'été ? Le charme de Vénus clignotant au firmament ? Un amour naissant ? Par ailleurs savait-il, René, que changer ses habitudes n'était pas à prendre à la légère ? Il aurait pu prévenir aussi : une simple pancarte « Silence on pousse » aurait suffi à lui sauver la vie...

Depuis ce jour, Jean ne mange plus de courgettes, il préfère les petits pois en boîte et rêve la nuit qu'il est une limace. Son temps libre, il le passe à sauter en l'air sur le trampoline qu'il s'est offert pour remplacer son potager. Parfois il arrive à voir le soleil couchant par-dessus sa petite maison en brique rouge, coincée entre deux autres petites maisons en brique rouge. Alors, à chaque clin d'œil de l'astre rouge, Jean se dilue un peu plus dans ses pensées. À quoi pense-t-il ? À ses mille prochaines vies de limace, à son voisin René qui, à force de pousser toute sa vie, a fini par pousser un peu trop vite la porte du paradis, et maintenant le voilà là-haut en train de pousser les nuages, à...
— Bonjour, vous avez une astuce, vous, pour les limaces ?
Jean reprend pied sur la terre ferme en observant avec curiosité sa nouvelle voisine, charmante, dont la tête dépasse de la palissade. Elle a débarqué au printemps et s'essaye au jardinage. Jean lui répond, d'un air faussement détaché :
— Les limaces, dites-vous ? Oh, le mieux c'est de les laisser tranquilles, vous savez. Elles finissent toujours par gagner la partie. Et puis, c'est bon pour la biodiversité...

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