Si toi yun

Toute histoire commence un jour, quelque part sur cette Terre. Je ne fais pas encore partie des Asgardiens, je fais partie de la communauté de l’ancien monde. Ceux qui ont été suffisamment naïfs pour rester sur la planète bleue alors que tout poussait à partir. Ça s’est passé lorsque j’avais fait mon premier voyage seule, dans un pays où je ne connaissais personne. C’était tout simplement la découverte de l’inconnu. Au début, j’appréhendais cette aventure mais en voyant que je n’étais pas la seule à être perdue, je me réjouissais de plus en plus de tout ce que je vivais. J’avais décidé de ne pas lire le guide de voyage que j’avais acheté et de suivre mon instinct.
Le lendemain de mon arrivée, je suis allée au marché, c’était comme une révélation, un déferlement de sensations. Je me fondais dans la masse, je recevais des sourires d’enfants curieux, j’étais éblouie par les différentes couleurs de plats et enivrée de parfums nouveaux. Après tant d’années passées dans la même ville, j’ouvrais enfin mes ailes, je me sentais libre. Libre d’appartenir à cette planète, malgré ma galère pour obtenir le visa, malgré mon attente pour le contrôle aéroportuaire, malgré les quelques yeux inquisiteurs, malgré les regards dubitatifs. J’étais citoyenne du monde, j’étais juste une, une humaine au milieu de ce bouillon de vie. Et personne ne pourra me voler ce sentiment, aussi légalement, géopolitiquement, ethniquement mensonger qu’il puisse être. Moi j’y croyais bec et ongles.
Et puis, au fil de mon voyage, je me faisais des amis. Honnêtement, c’étaient des rencontres passagères mais je considérais ces personnes des amis car elles étaient la famille insoupçonnée de l’étrangère que j’étais. La première amie était une serveuse dans un restaurant. Elle était vraiment très professionnelle, souriante, dynamique. Elle m’avait bien conseillée pour changer mon argent en monnaie locale. J’étais retournée au même resto après deux jours, elle avait été tout aussi chaleureuse et m’avait offert une boisson de la part du boss qui a été tout aussi charmant.
Le deuxième ami était un réceptionniste dans un hôtel. En fait, j’avais décidé de jeûner et j’avais besoin de prendre mon « shour » à quatre heures du matin. J’étais gênée de devoir faire la demande mais je me j’étais jetée à l’eau. On avait accepté de me laisser un plateau avec du fromage, du pain et de l’eau. Lorsque j’étais descendue pour manger mes provisions de la journée, un gentil monsieur aux cheveux blancs et au sourire bienveillant était à la réception. En lui expliquant ma requête, il avait allumé la cantine, m’avait montré le plateau placé sur une tablette et s’était retiré discrètement. Je souriais à son air interrogateur. J’avais mangé deux petits pains avec le fromage, bu un verre de jus et un verre d’eau puis j’avais rangé le plateau et les couverts et éteint la lumière. Je le cherchais pour le remercier mais il n’était pas derrière le comptoir de réception. J’allais presque partir quand il était apparu « Eh bien, c’est tout ? » J’acquiesçais en souriant. Il m’avait regardée tendrement et m’avait dit « Que dieu vous bénisse », j’en fus flattée, c’est rare une personne qui prie pour vous avec tant d’honnêteté et sans rien attendre en retour. Je sentais que ses prières me suivraient toute ma vie.
Quelques jours avant mon retour au bercail, j’avais eu l’idée d’aller acheter des vêtements. En cours de route, il avait commencé à pleuvoir. Je n’avais pas prévu ça. Soudain, les gouttes s’étaient arrêtées de tomber, un jeune homme ayant l’air d’un employé de banque avec son uniforme parfait m’avait proposé son parapluie. Il m’avait demandé mon itinéraire. On était sur le même chemin. Il était un vrai gentleman, attentionné et discret. Je l’avais quitté devant une grande boutique de chaussures en se souhaitant d’être heureux.
Mais il y avait eu les ennemis aussi, forcément. C’est incroyable comme se faire des ennemis hors de son territoire de prédilection a une toute autre connotation. En fait, c’était une bande de délinquantes qui me voyant seule avaient tenté de me piquer mon sac. En commençant à crier, les gens avaient commencé à se retourner et à se rassembler, ce qui avait déstabilisé les demoiselles et m’avait permis de m’enfuir, mes jambes à mon cou. Autant être honnête, j’avais vraiment eu peur et haletante, j’avais cherché un peu de sécurité pour retrouver mes esprits. J’étais entrée dans une boutique de souvenirs. Je faisais semblant de voir les articles et finalement j’avais décidé de parler à la caissière. Je lui avais raconté ma mésaventure, j’avais besoin de réconfort. Elle avait eu la gentillesse de m’écouter et me conseiller un chemin plus sûr pour rentrer. Elle m’oubliera comme elle oublie tous les touristes qui passent dans sa boutique mais elle restera pour moi, un havre de paix éphémère qui m’avait rendu le sourire.
Toujours avide de nouvelles sensations, j’avais eu l’idée de louer une voiture pour pouvoir visiter les forêts assez lointaines du centre-ville. Tout s’était parfaitement bien passé. J’étais ensorcelée par la verdure, j’entrais en transe avec la musique douce qui diffusait de la radio et les gouttes de pluie fine qui tombaient sur le pare-brise. Ambiance film hollywoodien. Le paysage était magnifique avec quelques cours d’eau apparaissant au détour de forêts de conifères. Mais en revenant à la ville, j’avais été heurtée par une grosse voiture cylindrée au coin d’une rue. Le choc n’avait pas été très violent mais le chauffard était descendu illico. Il avait un médaillon doré sur le torse et les doigts pleins de bagues bling-bling. J’allais descendre de la voiture quand il s’était emporté sur la voiture en la tabassant avec ses bagues. J’étais terrorisée. J’étais à deux rues de l’agence de location de voitures. J’avais décidé de démarrer et de rouler à pleine vitesse vers l’agence. Les cinq minutes m’avaient paru une éternité. Quand j’étais enfin entrée à l’agence, je m’étais effondrée en larmes, tout mon corps tremblait, j’étais en état de choc. Je n’avais jamais assisté à une telle violence. Le chef de l’agence essayait de me consoler, il m’avait offert une boite de mouchoirs en papier et un verre d’eau. Après quelques minutes, je retrouvais mes esprits et redoutais alors la somme que j’allais devoir verser pour les dommages de la voiture, surtout qu’il ne m’en restait plus beaucoup à la fin de ce voyage. Le chef d’agence me proposa d’aller inspecter les dégâts. C’était vraiment moche, une grande partie du côté gauche de la carrosserie était cabossée. Il m’avait demandé si j’avais fait un constat ou noté l’immatriculation de l’autre voiture mais j’avais été en panique extrême. Il avait alors commencé à m’expliquer les démarches que j’allais devoir suivre et le montant à payer quand apparut un monsieur haletant. Il m’avait dit qu’il avait été témoin de la scène, qu’il avait informé la police et que le chauffard avait été arrêté qu’il rembourserait tous les frais de réparation. Je fus surprise par son engagement et son acte que je trouvais héroïque. Je m’étais élancée vers lui et je lui avais fait une grosse bise. Il était gêné et souriait timidement. Je retrouvais la bonne humeur et le chef d’agence aussi d’ailleurs. L’affaire allait être bientôt close. J’avais pu bien dormir cette nuit-là malgré les émotions en dent-de-scie de la journée.
Le jour de mon retour, j’avais encore envie de flâner. Mon vol étant prévu pour l’après-midi, j’avais tout le matin pour visiter quelques musées. En fait, c’était une ancienne villa réaménagée par une fondation en galerie d’art. L’exposition s’intitulait « Melancholia » et ça allait plutôt bien avec mon état d’esprit quelques heures avant la fin du voyage. Rêveuse que je suis, je m’étais laissée aller devant les différentes œuvres d’art. Toutes aussi insolites les unes que les autres, elles reflétaient l’intelligence et la sensibilité de leurs créateurs. Le temps filait à vive allure. Il fallait que je retourne à l’hôtel. J’avais deux options : le tram ou rentrer à pied, j’avais choisi de marcher en suivant un autre itinéraire. Au bout d’une demi-heure, je sentais que j’étais vraiment perdue et l’heure du vol approchait. Il fallait alors prendre un taxi. Heureusement, j’étais près d’une gare et je l’avais trouvé assez vite. Le taxiste était un immigré qui était arrivé depuis plus de dix ans. Il avait rêvé de terminer ses études mais faute de moyens, il avait dû travailler pour joindre les deux bouts. Il m’avait raconté sa vie, son mal du pays, ses déceptions, ses joies, ses peines. J’avais partagé avec lui quelques-unes de mes histoires. J’avais presque de la peine en le quittant, il semblait être un humain, un vrai, un citoyen du monde.
J’étais à l’aéroport, retournée à la case départ, mon voyage était fini. J’allais rentrer ressourcée, pleine d’une énergie nouvelle, d’ondes positives et de nouveaux rêves. Allais-je redevenir une simple citoyenne dans son pays ? Certainement pas. J’avais appris que les déchets d’ici pouvaient nuire à des écosystèmes d’ailleurs, qu’il ne fallait pas avoir une certaine nationalité pour plaider la cause des victimes de violences et d’injustices, qu’il suffisait d’ouvrir les yeux pour voir qu’on pouvait avoir des membres de la famille un peu plus loin qu’on ne le croyait. J’aime être terrienne. J’ai peut-être été citoyenne du monde un jour, je ne ferai qu’un avec les humains de ce monde toujours.