Shiba

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Ma couche était rêche ce matin. Je me redressais et restais un moment les bras sur les genoux à réfléchir. Mon bokken trônait à mes côtés. Je saisis ce sabre en bois dédié à mon entrainement et pris le chemin du dojo. Qu'il était lourd ! Il m'avait été confié par le maître après un test rigoureux. Chaque élève se devait de l'entretenir, car un sabre est l'âme du combattant ; celui qui ne sait en prendre soin n'a rien à faire dans un lieu sacré. Mais le plus dur était de ne gagner aucun combat ! J'avais beau pratiquer cet art depuis mon enfance ; ici, j'étais la lie des combattants. À cause de mes défaites successives, je me coltinais la plupart des tâches de nettoyage et de cuisine. Mon seul réconfort était la vue de Mina, la fille du maître. Fleur parmi les fleurs, la dentelle de ses vêtements soyeux s'agitait en mouvements onduleux sous les brises légères.

Le tournoi de la mi-année commençait à peine. Le maître m'avait encouragé à me dépasser la veille au soir. Il en avait profité pour examiner l'état de mon bokken. Il avait trouvé le bois rêche et m'avait confié une graisse pour l'assouplir. Mon premier duel était contre un adversaire réputé, un dénommé Toshi. C'était un grand gaillard plutôt fin aux mouvements bizarrement lents pour son allonge. Fils d'une noble famille, il arborait le calme serein de celui qui va diriger. Moi, j'étais physiquement plus ramassé, une boule de muscles pas très grande qui m'avait valu le surnom de Shiba, une race de chien vifs et petits. C'étaient les éliminatoires et une vingtaine d'autres combats arbitrés par nos ainés se déroulaient au même moment, si bien que peu de spectateurs nous regardaient. Mais à mon grand malheur, une voix résonna.
— Eh, Shiba va se faire taper par Toshi !
— Shigeki ! Mon nom n'est pas Shiba. 
Cette fois, je vaincrai ; il était hors de question que ce noblion l'emporte.
— Oh ! Il a l'air hargneux ! aboya l'un d'eux.
Je restais concentré sur mon adversaire et avançais le sabre levé, doucement, légèrement ramassé sur moi-même, pour pouvoir bondir de toute la puissance de mes jambes. Mon regard était fixé sur Toshi dont le calme ne semblait pas s'émouvoir de ma détermination. Je bondis, un aboiement, mon bokken tapa le sien, il tenta de détourner mon mouvement ; mais il dut se mettre à bonne distance pour éviter le coup. Je recommençais, mais cette fois il recula et tapa sur le dessus de mon arme. Le bois vibra si fort que je du assouplir ma prise. Il tapa dessus à nouveau, et je dus desserrer mes mains ; à la troisième frappe, mon bokken m'échappa. Il pointa le sien sur ma gorge. J'abandonnais, la mine déconfite, sous les moqueries de mes camarades et le regard attristé de Mina. Je bouillonnais de rage, quelle humiliation ! Ce soir c'était fini, je partirai du dojo pour ne plus jamais remettre les pieds dans ce lieu. Je préparais un petit balluchon. J'écrivis un mot que je plaçais à côté de mon bokken et, avant le dîner, je pris mes sandales et partis en direction de la ville. Elle était située au flanc de la montagne, à trois heures de marche. 
Le soleil commençait à se coucher, la route continuait à descendre à travers les arbres ; si je m'en souvenais bien, elle déboucherait après les bois sur une vue magnifique, la cité en contrebas. J'entendis crier au loin, derrière moi. Était-ce le maître qui envoyait ses élèves me donner une leçon ? J'accélérais un peu, j'assumais pleinement mon choix de quitter le dojo et je ne voulais pas être puni. J'entendis mon nom résonner dans l'air, « Shigeki ! ». Je reconnus la douce voix de Mina. Je fis immédiatement demi-tour pour la rejoindre. Elle était essoufflée ; elle avait couru tout du long. Dans sa main elle tenait ma lettre.
— Shigeki, je te rattrape enfin. J'ai découvert ton mot, accroché à ton bokken ; seule moi l'ai lu. Ne pars pas. 
Je détournais mon regard de son visage pour ne pas laisser ma volonté s'affaiblir.
— Écoute Mina, je ne veux pas ta pitié. Ma décision est prise.
— S'il te plait Shigeki, reconsidère un instant. Tu n'es pas un mauvais bretteur.
De l'orée du bois, des voix plus saoules les unes que les autres interrompirent notre discussion. Cinq hommes à l'allure de bandits, armés de sabres, nous aperçurent. Ils s'approchèrent, riant aux éclats.
— Qu'est-ce que nous avons là, de jeunes amoureux !
Deux d'entre eux me contournèrent et m'attrapèrent brusquement les épaules. Appuyant un couteau sous ma gorge, ils me mirent à genoux. Les trois autres s'approchèrent de Mina, l'un d'eux commença à défaire son vêtement à l'aide de son sabre. Mon sang ne fit qu'un tour. Mes jambes puissantes, d'un seul élan donnèrent la liberté suffisante à mes bras pour me dégager, et je saisis le sabre de l'homme à ma gauche, entaillai celui à ma droite au passage. Quelle légèreté ! Était-ce le poids d'un vrai sabre ? Mon bokken était au moins deux fois plus lourd ! L'autre homme se mit à distance, mais pas assez vite pour échapper à mon bond. Il tomba, entaillé à la cuisse, hurlant de douleur. Des trois autres deux s'étaient mis en garde, quant au dernier, il menaçait d'un couteau la gorge de Mina.
Je le fixai sans montrer une once de crainte et d'une voix cruelle lui dis :
— Tue-la, vas-y, le temps que tu le fasses, ces deux-là seront morts. 
L'homme au couteau eut une hésitation, ce qui donna à Mina le temps de lui ficher son coude dans le ventre et de se dégager. Les deux hommes se jetèrent sur moi. L'un d'eux tapa sur mon sabre qui vibra. Mais ma poigne était ferme, souple, et la lame ne résonna pas suffisamment pour contrarier ma prise. Je glissais le long de la sienne pour appliquer le tranchant sur sa gorge. Il lâcha son arme. L'autre homme s'avança d'un bond frappant droit vers mon crâne, j'anticipais et cognais sa lame du dos de la mienne et le tranchais dans la foulée. Malgré mes mains moites, le sabre ne glissait pas et restait stable. Le dernier homme essaya de rattraper Mina. Je bondis en avant. Il se retourna pour me faire face, mais pas assez vite pour empêcher ma lame de lui sectionner le poignet.
Ce fut la débandade.
En silence, je raccompagnais Mina au dojo. Le maître nous attendait à l'entrée. Il regarda longuement le sabre taché de sang, sans mot dire. Plus tard, il m'appela en aparté et me reprit mon bokken. Je le saluais, prêt à quitter les lieux.
— Que crois-tu ? me dit-il. Que je te prenais pour un mauvais ? Je ne t'aurais pas confié ce bokken si c'était le cas. J'attends beaucoup de toi. 
Il me tendit un nouveau sabre en bois.
Je remerciais mon maître et sortis. Le bokken était deux fois plus léger que le précédent, sa prise était ferme et son bois plus souple.

Le vent du doux souvenir s'effaça de mon visage.
La suite de ma vie fut grandiose et bien plus facile ; elle n'avait aucun mérite à être ressassée, car c'était dans l'épreuve que j'avais le plus appris.
Allongé dans l'herbe, un brin dans la bouche, je regardais le ciel absorbé maintenant dans les nuages. Ma dulcinée à côté de moi s'était endormie ; je caressais son ventre qui était prêt, j'en étais sûr, pour les épreuves à venir.   
Je me redressais. Je jetais un œil vers mon dojo en bas.
— Mina, tu dors ? murmurai-je.
— Non, quoi ?
— Je repensais à mon apprentissage, ton père était vraiment fourbe.
— Si peu ! Tu l'es encore plus, dit Mina de son magnifique sourire avant d'ajouter : j'espère que ce moment durera une éternité, et que tes élèves ne nous trouveront pas avant la nuit tombée.
— Au moins ! 

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