La petite silhouette frêle se découpe à peine dans le couchant brûlant et ondule tel un mirage à l'horizon. Mānav traîne des pieds et chacun de ses pas soulève un nuage de poussière qui ne ... [+]
Le bus s'immobilise, c'est ici que tu descends. Il n'y a pas d'arrêts qui soient plus proches de chez toi, seulement sept-cents mètres à franchir, quelques secondes à marcher.
Sur ta tête, tu abaisses la capuche de ton sweat et tu gardes les yeux rivés au sol. L'asphalte défile sous tes pas. Tu portes des vêtements sombres, amples, pas de maquillage, pas même cette touche discrète de mascara, unique coquetterie que tu te permettais, avant.
Tu te dis que tu es invisible, ça va vite passer.
Tu sais qu'il y a un groupe d'hommes assis sur le banc un peu plus loin alors tu changes de trottoir. Tu ne réponds rien quand l'un d'entre eux demande : « Tu t'es rhabillée, grosse chaudasse ? »
Tu ne mets plus d'écouteurs dans tes oreilles pour passer outre, c'est pire quand ils pensent que tu n'entends pas.
Sur l'autre trottoir, une fille te dépasse. Elle racle sa gorge bruyamment et crache à tes pieds. C'est là la preuve de tout le mépris qu'elle éprouve pour toi. Elle poursuit son chemin, même de dos, tu la reconnais. Vous vous entendiez bien avant, mais tu es devenue une étrangère ici.
Ce n'est pas elle qui a lancé la rumeur.
Tu enfonces un peu plus ta tête dans tes épaules ; tu te dis que tu es un peu comme une tortue, tu as une carapace qui te protège. Plus que quelques mètres à franchir.
La rumeur... Capable de transformer la plus anodine des anecdotes en d'abjectes calomnies par le simple biais du bouche-à-oreille. Elle s'est propagée tellement vite dans le quartier... Même ta mère est au courant. « Tu sais ce qu'on dit de toi ma fille ? Comment peux-tu me faire endurer ça ? Moi j'ai tout fait pour que tu ne manques jamais de rien et toi, tu jettes la honte sur notre famille ! »
Tu as bien tenté de lui expliquer, lui dire que tout ce qui se raconte est faux, déformé, perverti, mais rien n'y fait... Quelque chose est brisé entre vous, la confiance. Elle ne veut plus que tu sortes, à part pour aller au lycée et quand tu y vas, elle vérifie le contenu de ton sac avec un air suspicieux avant ton départ.
Cette chose anodine... Quand tu l'as faite, tu ne pensais pas qu'elle aurait de telles répercussions. « Même pas peur ». Tu voulais juste faire comme les filles qui passent à la télé, qui posent dans les magazines. Au lycée, celles qui le font clament : « Je m'en fiche de ce que les autres pensent, personne n'a à me dire ce que je dois faire. » Toi, tu l'avais dissimulée dans ton sac car tu savais que ta mère ne serait pas d'accord. Tu ne l'avais mise qu'une fois arrivée, dans les toilettes. Alors, en déambulant dans les couloirs de l'établissement, tu t'es dit que ce n'était vraiment pas grand-chose, qu'il n'y avait décidément rien de grave à faire ce que tu faisais.
Oui, tu t'étais sentie regardée, on t'avait même dit que ça t'allait bien. Mais à la cantine, quand tu as croisé cette fille qui vit au même endroit que toi, tu as compris qu'elle, elle te jugeait. Avec un air réprobateur, elle t'a détaillée des pieds à la tête et en passant près de toi, elle t'a bousculée en soufflant entre ses dents : « Tu t'es prise pour qui ? Ne t'étonne pas s'il t'arrive des bricoles... »
C'est elle qui t'a fabriqué cette horrible réputation dans laquelle tu es engluée à présent, tu en es certaine.
Tu arrives dans le hall. En montant les marches, tu sursautes quand une porte s'ouvre. Tu restes paralysée, tu es seule et l'homme qui est sorti t'a reconnue, tu le vois à son regard. Tu voudrais faire demi-tour, dévaler les escaliers et partir, mais tu sais que ce serait pire. Comme il te bloque le passage, tu attends. Finalement, presque dégoûté de ta présence ici, il se contente de grommeler : « Va tapiner ailleurs ! » avant de te laisser passer avec dédain.
Tu rentres chez toi et tu t'enfermes. Le dos contre la porte, tu attends que les battements de ton cœur ralentissent. Tu laisses rouler les larmes sur tes joues et tu les essuies avec ta manche en reniflant.
Tu vas dans ta chambre. En soulevant le matelas de ton lit, tu te rappelles de ta mère, hystérique. Elle avait tout retourné dans la pièce à la recherche de preuves de ce qui se disait sur toi. Toi, incrédule, tu ne comprenais pas trop ce qu'elle avait imaginé trouver ! Tu ne pouvais pas admettre que ce soit cette simple petite chose cachée sous ton matelas qui pouvait être à l'origine de tout ça...
Elle est toujours là, roulée en boule. Tu déplies le pauvre morceau de tissu tout froissé. Montrer ses jambes, c'est se rendre coupable du désir des hommes ici. De la pure provocation. Pourtant, tu ne parviens pas à t'en séparer... Alors, tu la remets en boule et tu replaces le matelas sur ton lit. Un jour, ailleurs, tu la remettras ta jupe.
Sur ta tête, tu abaisses la capuche de ton sweat et tu gardes les yeux rivés au sol. L'asphalte défile sous tes pas. Tu portes des vêtements sombres, amples, pas de maquillage, pas même cette touche discrète de mascara, unique coquetterie que tu te permettais, avant.
Tu te dis que tu es invisible, ça va vite passer.
Tu sais qu'il y a un groupe d'hommes assis sur le banc un peu plus loin alors tu changes de trottoir. Tu ne réponds rien quand l'un d'entre eux demande : « Tu t'es rhabillée, grosse chaudasse ? »
Tu ne mets plus d'écouteurs dans tes oreilles pour passer outre, c'est pire quand ils pensent que tu n'entends pas.
Sur l'autre trottoir, une fille te dépasse. Elle racle sa gorge bruyamment et crache à tes pieds. C'est là la preuve de tout le mépris qu'elle éprouve pour toi. Elle poursuit son chemin, même de dos, tu la reconnais. Vous vous entendiez bien avant, mais tu es devenue une étrangère ici.
Ce n'est pas elle qui a lancé la rumeur.
Tu enfonces un peu plus ta tête dans tes épaules ; tu te dis que tu es un peu comme une tortue, tu as une carapace qui te protège. Plus que quelques mètres à franchir.
La rumeur... Capable de transformer la plus anodine des anecdotes en d'abjectes calomnies par le simple biais du bouche-à-oreille. Elle s'est propagée tellement vite dans le quartier... Même ta mère est au courant. « Tu sais ce qu'on dit de toi ma fille ? Comment peux-tu me faire endurer ça ? Moi j'ai tout fait pour que tu ne manques jamais de rien et toi, tu jettes la honte sur notre famille ! »
Tu as bien tenté de lui expliquer, lui dire que tout ce qui se raconte est faux, déformé, perverti, mais rien n'y fait... Quelque chose est brisé entre vous, la confiance. Elle ne veut plus que tu sortes, à part pour aller au lycée et quand tu y vas, elle vérifie le contenu de ton sac avec un air suspicieux avant ton départ.
Cette chose anodine... Quand tu l'as faite, tu ne pensais pas qu'elle aurait de telles répercussions. « Même pas peur ». Tu voulais juste faire comme les filles qui passent à la télé, qui posent dans les magazines. Au lycée, celles qui le font clament : « Je m'en fiche de ce que les autres pensent, personne n'a à me dire ce que je dois faire. » Toi, tu l'avais dissimulée dans ton sac car tu savais que ta mère ne serait pas d'accord. Tu ne l'avais mise qu'une fois arrivée, dans les toilettes. Alors, en déambulant dans les couloirs de l'établissement, tu t'es dit que ce n'était vraiment pas grand-chose, qu'il n'y avait décidément rien de grave à faire ce que tu faisais.
Oui, tu t'étais sentie regardée, on t'avait même dit que ça t'allait bien. Mais à la cantine, quand tu as croisé cette fille qui vit au même endroit que toi, tu as compris qu'elle, elle te jugeait. Avec un air réprobateur, elle t'a détaillée des pieds à la tête et en passant près de toi, elle t'a bousculée en soufflant entre ses dents : « Tu t'es prise pour qui ? Ne t'étonne pas s'il t'arrive des bricoles... »
C'est elle qui t'a fabriqué cette horrible réputation dans laquelle tu es engluée à présent, tu en es certaine.
Tu arrives dans le hall. En montant les marches, tu sursautes quand une porte s'ouvre. Tu restes paralysée, tu es seule et l'homme qui est sorti t'a reconnue, tu le vois à son regard. Tu voudrais faire demi-tour, dévaler les escaliers et partir, mais tu sais que ce serait pire. Comme il te bloque le passage, tu attends. Finalement, presque dégoûté de ta présence ici, il se contente de grommeler : « Va tapiner ailleurs ! » avant de te laisser passer avec dédain.
Tu rentres chez toi et tu t'enfermes. Le dos contre la porte, tu attends que les battements de ton cœur ralentissent. Tu laisses rouler les larmes sur tes joues et tu les essuies avec ta manche en reniflant.
Tu vas dans ta chambre. En soulevant le matelas de ton lit, tu te rappelles de ta mère, hystérique. Elle avait tout retourné dans la pièce à la recherche de preuves de ce qui se disait sur toi. Toi, incrédule, tu ne comprenais pas trop ce qu'elle avait imaginé trouver ! Tu ne pouvais pas admettre que ce soit cette simple petite chose cachée sous ton matelas qui pouvait être à l'origine de tout ça...
Elle est toujours là, roulée en boule. Tu déplies le pauvre morceau de tissu tout froissé. Montrer ses jambes, c'est se rendre coupable du désir des hommes ici. De la pure provocation. Pourtant, tu ne parviens pas à t'en séparer... Alors, tu la remets en boule et tu replaces le matelas sur ton lit. Un jour, ailleurs, tu la remettras ta jupe.
Votre texte est tellement bien écrit qu'on a l'impression d'entendre parler de quelqu'un qu'on connait...
Un beau texte sur un sujet délicat. J'aime beaucoup votre écriture