Rêve et réalité

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle-ci commence à Pouytenga. Six ans, six longues années que Sinkatenda attend avec impatience son mari. Aller rejoindre l’Europe pour un avenir meilleur, Timbila avait promis à son épouse de lui envoyer de ses nouvelles dès qu’installé. Rien n’y fit. Sinkatenda est fatiguée d’attendre dans la misère sans aucun soutien financier pour subvenir à ses besoins et ceux de sa fille Saagré. Elle partit demander de l’argent au frère de son époux.
-Comment ? passer une nuit avec le frère de mon mari !
-Oui ! Et puis ton mari, je suis certain qu’il est mort à l’aventure.
-Je ne te crois pas.
-Eh ! bien, va voir ailleurs.
-Merci, Dieu te le rendra !
Elle avait besoin d'argent pour la scolarité de sa fille. Elle a débuté le CM2 il y a de cela un mois. Elle serait allée demander à sa sœur si celle-ci n’était pas malade depuis trois mois. D’ailleurs c’est elle qui s’occupait de la scolarité de sa nièce depuis le CP2. Elle lui avait aussi donner de l’argent pour débuter son petit commerce de condiments devant la cour. Le revenu journalier de son petit commerce n’excédait jamais mille francs. C’est dans ça qu’elle cuisinait et tentait d’économiser pour ne pas faire faillite.
Le soir, assise sur une natte, adossée au mur, elle regardait sa fille rentrée de l’école, joyeuse. Elle se demande ce qui va advenir si elle ne trouvait pas les frais de dossiers et de scolarité. Sinkatenda n’a pas été à l’école, c’est pourquoi elle a insisté pour que son mari inscrive leur fille dès ces six ans. Saagré était tout son espoir, sa raison de vivre. Après deux fausses couches, elle n’avait plus l'espoir d’être à nouveau mère. À présent, elle remercie le seigneur , comment aurait-elle fait avec trois enfants en charge ? Il faut qu’elle retrouve son mari. Même si elle devrait marcher dans toute l’Afrique jusqu’en France, elle ira chercher son mari. Il ne pouvait pas la laisser toute seule dans cette souffrance. S’il appelait, elle ne s’inquiéterait pas autant. Mais aucune nouvelle de Timbila. Elle gardait espoir mais maintenant elle avait perdu tout espoir de le revoir. Peut-être s’était-il marié avec une blanche comme certains le font pour avoir des papiers. Peut-être qu’il n’avait plus les moyens de rentrer au pays. Mais comment aller à sa recherche ? Où trouver cet argent ? Sa fille vint la sortir des pensées d’où elle était plongée
-Bonsoir, mère !
-Bonsoir ma fille, comment a été ton école, aujourd’hui ?
-Bien ! Le maitre dit de vous rappeler les frais de dossier et de scolarité.
-Hum ! C’est entendu.
Après une bonne douche, elles s’assèyent autour d’un plat d’haricot. Le repas terminé, Saagré révisait ses leçons, assise sur la natte auprès de sa mère. Elle se débrouillait bien à l’école. Quand elle n’arrivait pas à traiter des exercices de problème et de conjugaison, elle n’avait pas peur d’aller demander des explications chez les enfants des voisins qui les comprenaient mieux. Saagré faisait toujours partie des trois premiers de sa classe. Sa mère en était fière. Elle aide aussi sa mère à vendre les condiments devant la cour pendant que celle-ci allait se ravitailler au marché.
Sinkatenda rendit visite à sa sœur malade. Konta, est la grande sœur de sinkatenda. Commerçante au marché de Pouytenga, elle vend des pagnes, des bazins et des dentelles de qualités confondues. Veuve et mère de cinq enfants, jamais elle ne s’est apitoyée sur son sort. Elle était toujours joyeuse. Elle s’occupait de l’éducation de ses enfants et aussi de sa nièce Saagré. Elle a souffert d’abord du paludisme, ensuite de la pneumonie et enfin de la fatigue générale. Le médecin lui conseilla un long repos avec pour argument qu’elle pouvait en mourir. Le seul fait de penser à ses enfants la contraigna à se reposer.
-Bonjour grande-sœur !
-Eh bien ! Comment vas-tu ma sœur ?
-Bien ! Et toi ? Comment te portes-tu aujourd’hui ?
-De plus en plus en pleine forme ! Et ma nièce ?
-Dieu soit loué ! Elle se porte bien, j’espère de même de ses cousins et cousines.
-Ils vont bien. Je pense reprendre le commerce dans la première semaine de décembre.
-Tant que tu retrouves ta santé, je n’y vois pas d’inconvénient.
-Qu’y a-t-il Sinkatenda ? tu me parais plus triste que tu ne l’es d’habitude.
-Hum !
-Je suis ta sœur et tu sais que tu peux tout me dire, parle donc !
-La semaine dernière je suis allée demander cinq mille francs au frère de mon époux pour les frais de scolarité et de dossier de ma fille. Ce malhonnête m’a proposé de passer la nuit avec lui à l’échange de dix mille francs sinon d’aller voir ailleurs. Le pire, il osa me dire que son frère est mort à l’aventure.
-Je n’arrive pas à le croire.
-Je ne fais que te dire la triste vérité.
-Je t’aurais bien aidé mais toutes mes économies m’ont servi à me soigner. Aussi je n’ai toujours pas réglé les frais de scolarité de mes deux derniers enfants.
-Ne t’excuses pas ma sœur ! Je connais ta bonté. De plus tu as tant fait pour moi.
-Normal ! Tu es ma sœur.
-Je pense rejoindre mon mari.
-Comment ? Et où ?
-J’y réfléchi Konta. Je sais que sa destination était la France.
-Mais es-tu sûr qu’il est arrivé en France ? Tu n’as reçu aucune nouvelle de lui depuis son départ.
-Je n’en sais rien. Konta il faut que je le retrouve.
-Et si tu ne le retrouves pas ? Que ferais tu ?
-J’y resterai.
-Pour quoi faire Sinkatenda ?
-Travailler. Il parait qu’il y a du travail là-bas et bien payé. Je pourrais m’occuper de leurs personnes âgées.
-Sinkatenda ! Tu comptes m’abandonner, moi, ta seule sœur ? Je préfère que tu reviennes, t’occuper de ton petit commerce ; en ce qui concerne, Saagré je peux m’occuper de sa scolarité comme je l’ai toujours fait tant que j’ai la santé. Rappelle-toi ce proverbe qui dit : « lorsque l’on dort sur la natte d’autrui, l’on dort à terre. »
- Dis-moi avec quel moyen comptes-tu faire le trajet ? As-tu de l’argent ?
-Je n’ai rien ma sœur.
-Alors enlève cette idée de ta tête ! Dès que j’ai l’argent j’irai régler les frais de Saagré.
-Compris ! Merci ma sœur.
-Ne me remercie pas, c’est le moindre que je puisse faire pour ma nièce. Rentre bien.
-Portes-toi bien ma sœur.
Konta s’inquiète vraiment pour sa sœur. Comment la faire sortir de ses rêveries ? Elle savait bien que lorsque celle-ci avait une idée dans la tête, personne ne pouvait la faire changer d’avis.
Une semaine plus tard, alors que Sinkatenda était assise devant son petit commerce attendant un client, un vendeur de loto s’arrêta net devant elle.
-Bonjour madame.
-Bonjour mon frère.
-Ne voulez-vous pas tenter votre chance au loto ? 200 francs CFA le ticket.
-Je ne crois pas à ça
-Essayer donc je sens la chance en vous
-Es-tu devin ou vendeur de loto ?
-Choisissez un ticket et grattez-le !
-D’accord, je choisis celui-ci
-Eh bien ! Grattez-le !
Sinkatenda se mit à gratter le ticket de loto. En fait elle voulait se débarrasser du vendeur-devin de loto. Elle n’avait aucun espoir en grattant le ticket.
-Alors que dit le ticket ? Donnez-le pour que je regarde !
 -...
Le vendeur de loto eut un petit sourire aux lèvres, regarda Sinkatenda, rejeta un autre coup d’œil sur le ticket.
-Alors ?
-Madame, c’est que...
-C’est que quoi ?
-Vous venez de gagner un jackpot d’un million de francs CFA.
-Quoi ? Tu t’amuses n’est-ce pas ?
-Non ! vous avez gagné un million de francs. La chance vous a souri.
Sinkatenda ne savait pas si elle devait rire, sauter ou crier de joie. Elle ne s’attendait pas à avoir un million de francs.
-Un million, j’ai gagné un million ?
-Oui madame.
-Mais où est l’argent ? Donne-le moi !
-Ce n’est pas avec moi. Vous irez avec le ticket de loto muni de votre carte d’identité au siège de la LONAB pour rentrer en possession de votre argent.
-La LONAB est où ?
-Oui, la Loterie Nationale Burkinabè. Son siège se trouve à Ouagadougou.
-Je n’ai même pas de carte d’identité.
-Allez-y vous en faire une. Excellente journée à vous.
- Merci, à toi pareillement.
Sinkatenda fit rentrer ses effets et prit la route de la maison de sa sœur. Elle devait le dire à sa sœur. De plus il lui fallait une carte d’identité. Sa sœur l’aidera à le faire. Un million, qu’allait-elle faire avec tout cet argent ? Payer les frais de scolarité et de dossier de sa fille ? Aller rejoindre son mari ? Tout tournait en boucle dans sa tête. Elle avait dépassé la cour de sa sœur sans s’en rendre compte. Elle fit demi-tour.
-Bonjour Konta . Tes enfants et toi êtes-vous en bonne santé ?
-Bonjour sœurette. Oui, en bonne santé. Pourquoi transpire-tu autant?
-Konta, je viens de gagner un million de francs CFA au loto. Un million de francs.
-Un million de francs au loto ! Sinkatenda, assois-toi, tu n’es pas dans tout tes états. Tiens bois l’eau !
-Je te dis la vérité. Voici le ticket de loto. Je dois aller à Ouagadougou muni d’une carte d’identité pour prendre possession de l’argent à la LONAB. Tu dois m’aider à avoir une carte d’identité et l’argent de transport pour Ouagadougou.
-Calme-toi, Sinkatenda ! Demain, nous irons voir le neveu de mon feu époux qui est policier. Il nous aidera pour ça à ses frais.
-Merci ma sœur.
-Je t’en prie ! Mais dis-moi, que vas-tu faire de cet argent ?
-Payer les frais de scolarité et de dossier de Saagré.
-Oui, mais et le reste de l’argent ?
-Pour le moment je n’ai aucun projet en vue. Comprends qu’il y a de cela une heure que j’ai gagné un million de francs. Nous nous verrons demain.
-Rentre bien !
Dans le fond de son cœur, Sinkatenda, nourrissait un rêve. Celui d’aller en France, de voir la ville de Paris. Ce que l'on ignorait est que c'est elle qui a donné l'idée d'aller à l'aventure à son mari. Le long silence de celui-ci était un prétexte parfait pour elle d'aller à l'aventure.
Sinkatenda, récupéra son argent à la banque quelques semaines plus tard. Elle remit 200.000 Francs CFA à Konta.
-Tiens ceci et garde-le précieusement ! On en sait jamais. J’ai décidé d’aller à la recherche de Timbila.
-Maudit soit le jour que tu gagnas au loto... je ne peux pas te retenir. Saagré reste avec moi.
-Non ! Ma fille part avec moi.
-Pense à son école, sinkatenda.
-C’est décidé, elle ira continuer ses études là-bas.
-Ma sœur, j’ai un mauvais pressentiment. Mais je te souhaite une bonne traversée.
-Merci Konta.
Konta avait le cœur serré. Sa seule sœur partait pour l’aventure. Est-ce qu’elle allait revenir ? L'appellerait-elle souvent pour lui donner de ses nouvelles ?... Konta restait inquiète. Elle donna son numéro de téléphone à Saagré.
Sinkatenda n’avait jamais quitté le Burkina Faso. Elle n’a bougé de son Pouytenga natal que pour aller à Ouagadougou. Avec sa carte d’identité, elle et sa fille embarquaient pour le Niger. Arrivées à Niamey, elles prirent un bus direct pour Tahoua. Elles passèrent la nuit à la gare. Le matin, elles cherchèrent de quoi manger et prirent le prochain car qui a pour destination Agadez.
Arrivées à Agadez, il lui fallait trouver quelqu’un qui pourrait les conduire jusqu’en Lybie. Le passeur exigea 500.000 Francs CFA pour les deux. Après maintes discussions, ils s’arrêtèrent sur la somme de 450.000 Francs CFA. Elle paya le passeur mais elles devaient attendre que le passeur ait un nombre suffisant de passagers pour démarrer. Elles devaient patienter encore quelques jours, voire une semaine à Agadez. Pour cela elles dormirent dans une maison de fortune, non loin de Agadez attendant le départ de leur passeur. Ils atteignaient des centaines en ces lieux qui attendaient de partir pour la Lybie. Certains étaient devenus comme des loques humaines. Des hommes, des femmes, et des enfants attendaient d’être convoyés par un passeur. On y voyait des gens de nationalités malienne, sénégalaise, togolaise, burkinabè entre autres. Tous ces gens rêvent d’une vie meilleure en France.
Le passeur de sinkatenda vint une semaine après. Le départ fut nocturne. Elle qui s’attendait à une cinquantaine de passagers se retrouva coincer dans un car bondé de trois cent personnes. Saagré avait du mal à bien respirer.
Après une journée et demi de route dans le désert leur car fut attaqué par des bandits armés. Ils les dépouillèrent tous de leurs biens. Sinkatenda se retrouva sans argent . De plus ils les enfermèrent dans une sorte de prison à eux ou ils les faisaient travailler de nuit comme de jour à coup de fouet. Sinkatenda n’en pouvait plus. Elle avait perdu toute ses forces. Au début, elle tenait le coup pour sa fille. Une nuit alors qu’elle essayait de se reposer d’une journée harassante, ces bandits vinrent la chercher. Sinkatenda pensait que c’était encore pour lui charger d’une autre corvée. Arrivée, on l’introduisit dans une tente. De là elle fut couchée de force sur une table, ils attachèrent ses mains et pieds, déchirèrent ses vêtements, passèrent en revue ses seins qu’ils n’hésitèrent pas à bruler les bouts avec leur mégot de cigarette. Elle poussa un cri en même temps qu’elle recevait une gifle. Les jambes écartées, un, deux, trois, quatre, cinq hommes prirent possession de son corps deux fois de suite. Ils étaient tous insensibles à ces cris et à ces pleurs, seul leurs plaisirs les occupaient. Quand ils la détachèrent enfin, elle avait du mal à marcher. Quelqu’un la traina jusqu’au milieu du camp et la laissèrent allonger au sol toute nue pensant qu’elle irait sous sa tente de prisonnière. Le matin Saagré trouva le corps sans vie de sa mère au milieu du camp. Elle hurla de toute ses forces qu’elle perdit la voix. Un bandit les accompagna, elle et un jeune homme de 17ans pour aller enterrer le corps hors de la prison. Saagré ne savait plus depuis combien de temps elle marchait dans le désert. Plus rien n’existait autour d’elle depuis que sa mère a arrêté de vivre.
Ils s’arrêtèrent au milieu de nul part et le bandit donna une pelle au jeune homme qui recouvrit Sinkatenda de sable aux yeux de sa fille de douze ans. Elle aurait dû la laisser avec Konta sa sœur. Le bandit leur dit qu’ils pouvaient s’en aller et que lui, il retournait, d’où ils sont venus. S’en aller? Mais où ? Quelle direction prendre ? Le jeune homme marchait et Saagré suivait sans savoir où il allait...
Après trois jours et nuits de marche, sans manger ni boire, Ils arrivèrent à Agadez ou ils furent accueilli dans un centre de transit. Au moment de l’enregistrement, un homme d’une trentaine d’année s’approcha de Saagré.
-Comment as-tu dit que tu t’appelles ?
-Je m’appelle Saagré.
-Fille de sinkatenda ?
-Oui ! Vous la connaissez ?
-Oui ! Je suis ton père, Timbila. Que fais tu ici? --Où est ta mère ?
-Morte. Elle est morte...
Saagré apprit que son père était en Lybie dans une prison depuis six ans et qu’il venait d’être refoulé. Il était arrivé il y a une semaine dans ce centre de transit et attendait de rentrer au pays. Saagré se souvint du numéro de téléphone de sa tante, il se procurèrent un téléphone et l’appelèrent. Quelques jours plus tard, Konta les envoya de quoi rentrer au pays. Timbila compris qu’il y a une différence entre rêver et vivre la réalité. Aussi, est-on mieux chez soi. Dans le car qui les ramenait au pays, il pleure la mort de Sinkatenda enterrée comme une chienne sans sépulture...