Un ordre beuglé m'éveille en sursaut :
— Debout !
Autour de moi, ça s'agite dans tous les sens. Les cris remplissent l'espace et se répercutent sur les murs moisis. Les autres prisonniers
... [+]
L’odeur rance montait par vagues, insupportable.
Quand j’avais constaté qu’elle n’était pas à notre rendez-vous secret dans sa cabane au fond des bois, une mauvaise intuition, comme un relent de pourriture m’avait fait frissonner. J’étais revenu en courant, comme un fou, jusqu’au village. Là, mes oreilles avaient d’abord capturé le cri déchirant qui s’envolait vers la Lune. Mon cœur s’était serré, prêt à tomber en poussière. Et mes jambes, reparties de plus belle, vers le hurlement qui semblait m’appeler.
L’odeur rance montait par vagues, insupportable.
Le cri, les effluves de viande cramoisie. Le corps.
Maintenant, j’étais là. Noyé dans la foule qui jouissait d’un orgasme commun provoqué par la souffrance. Je voyais, là l’apothicaire, et juste à côté, ma voisine. Avec ses enfants. Tous riaient, jubilaient et frétillaient d’excitation devant le spectacle morbide qu’on leur offrait.
Je jouai des coudes pour me placer au premier rang. Et mon sang se glaça au milieu de la fournaise.
« Mort à la sorcière ! »
Le hurlement, guttural, phénoménal, mille fois plus puissant que celui de la foule déchaînée, c’était le sien. Dans un même élan de frénésie désespérée, les larmes explosèrent sur mes joues, et je criai moi aussi, me retenant de m’effondrer. Quand j’allai m’élancer vers le bûcher où se consumait l’amour de ma vie, mes yeux rencontrèrent les siens.
Je m’arrêtai net. Les bruits continuaient à remplir l’espace autour de moi, et pourtant, d’un coup, le calme m’enveloppa.
Deux pierres de jade translucides fixaient le fond de mes pupilles. Elle me regardait intensément, ses yeux me pétrifiaient et m’intimaient de ne surtout, surtout pas bouger. Elle voulait m’éviter de me faire massacrer moi aussi, par ces barbares ignares.
La pureté opaline de ses deux yeux magnifiques resplendissait. Dans le calme divin du lac se reflétaient les flammes. Le feu de l’amour qu’elle m’adressait, le feu de la mort qui l’immolait. Dans le reflet de ses iris transcendants, je voyais les flammes meurtrières qui léchaient son corps de femme, en cuisant, à vif, sa peau, ses muscles et ses organes. Un incendie fatal dans ses yeux, sur son corps et dans mon cœur. Les langues de feu incandescentes remontaient à présent jusqu’à son visage, et elle refusait de mourir. Je n’avais qu’une hantise : qu’elle arrêtât de hurler. Si elle se taisait, enfin son calvaire cesserait et elle oublierait la douleur atroce. Mais si elle se taisait, elle serait morte et plus jamais je ne verrais ses yeux me raconter son amour. Il ne me resterait plus qu’à m’éteindre à mon tour. Hurle, je t’en supplie. Silence, je t’en conjure.
Son regard planté dans mes yeux n’en finissait pas. Je luttais contre les larmes et l’horreur de la scène pour profiter de l’ultime regard qu’elle m’adressait, je voulais goûter le plus longtemps possible à cette promesse d’éternité qu’elle m’offrait.
Ma bien aimée était défigurée, il ne restait plus que ses pupilles, abîmes envoûtants, qui perçaient les flammes, encore.
Silencieusement mes lèvres esquissèrent un dernier message d’amour. Des excuses pathétiques. Pardonne-moi, ô mon amour, pardonne moi d’être arrivé trop tard. Je sais que tu n’es pas une sorcière, tu es un ange.
Soudain, un éclat de voix m’arracha à la beauté de ce regard chéri. C’était le fils de ma voisine, âgé d’une douzaine d’années.
« Ne r’gardez pas ses yeux, m’sieur, elle va lancer une malédiction contre vous !
— N’importe quoi ! Laisse-moi, gamin ! Qu’est-ce qui te fait dire ça d’abord ?
— Elle séduit les hommes d’un regard et ils tombent tous malades !
— Que dis-tu ?
— Elle a le mauvais œil ! C’est l’œil du diable, dans son regard ! »
Je me retournai, et mon cœur faillit s’arrêter de battre. Les yeux verts avaient cédé leur place à deux trous béants, le vestige de ses lèvres semblait s’étirer en un sourire macabre. J’étouffai un cri. Cette vision ne dura qu’un instant. Le doux visage de la condamnée était comme fondu. Sa voix s’était tue. L’odeur me faisait suffoquer. Cet enfant entretenait des croyances stupides, c’était tout.
Je tombai à genoux cette fois : les paupières s’étaient fermées à jamais sur le regard mystérieux de la femme que j’aimais, rendue déjà méconnaissable par les flammes qui réduisaient mon amour en cendres.
Quand j’avais constaté qu’elle n’était pas à notre rendez-vous secret dans sa cabane au fond des bois, une mauvaise intuition, comme un relent de pourriture m’avait fait frissonner. J’étais revenu en courant, comme un fou, jusqu’au village. Là, mes oreilles avaient d’abord capturé le cri déchirant qui s’envolait vers la Lune. Mon cœur s’était serré, prêt à tomber en poussière. Et mes jambes, reparties de plus belle, vers le hurlement qui semblait m’appeler.
L’odeur rance montait par vagues, insupportable.
Le cri, les effluves de viande cramoisie. Le corps.
Maintenant, j’étais là. Noyé dans la foule qui jouissait d’un orgasme commun provoqué par la souffrance. Je voyais, là l’apothicaire, et juste à côté, ma voisine. Avec ses enfants. Tous riaient, jubilaient et frétillaient d’excitation devant le spectacle morbide qu’on leur offrait.
Je jouai des coudes pour me placer au premier rang. Et mon sang se glaça au milieu de la fournaise.
« Mort à la sorcière ! »
Le hurlement, guttural, phénoménal, mille fois plus puissant que celui de la foule déchaînée, c’était le sien. Dans un même élan de frénésie désespérée, les larmes explosèrent sur mes joues, et je criai moi aussi, me retenant de m’effondrer. Quand j’allai m’élancer vers le bûcher où se consumait l’amour de ma vie, mes yeux rencontrèrent les siens.
Je m’arrêtai net. Les bruits continuaient à remplir l’espace autour de moi, et pourtant, d’un coup, le calme m’enveloppa.
Deux pierres de jade translucides fixaient le fond de mes pupilles. Elle me regardait intensément, ses yeux me pétrifiaient et m’intimaient de ne surtout, surtout pas bouger. Elle voulait m’éviter de me faire massacrer moi aussi, par ces barbares ignares.
La pureté opaline de ses deux yeux magnifiques resplendissait. Dans le calme divin du lac se reflétaient les flammes. Le feu de l’amour qu’elle m’adressait, le feu de la mort qui l’immolait. Dans le reflet de ses iris transcendants, je voyais les flammes meurtrières qui léchaient son corps de femme, en cuisant, à vif, sa peau, ses muscles et ses organes. Un incendie fatal dans ses yeux, sur son corps et dans mon cœur. Les langues de feu incandescentes remontaient à présent jusqu’à son visage, et elle refusait de mourir. Je n’avais qu’une hantise : qu’elle arrêtât de hurler. Si elle se taisait, enfin son calvaire cesserait et elle oublierait la douleur atroce. Mais si elle se taisait, elle serait morte et plus jamais je ne verrais ses yeux me raconter son amour. Il ne me resterait plus qu’à m’éteindre à mon tour. Hurle, je t’en supplie. Silence, je t’en conjure.
Son regard planté dans mes yeux n’en finissait pas. Je luttais contre les larmes et l’horreur de la scène pour profiter de l’ultime regard qu’elle m’adressait, je voulais goûter le plus longtemps possible à cette promesse d’éternité qu’elle m’offrait.
Ma bien aimée était défigurée, il ne restait plus que ses pupilles, abîmes envoûtants, qui perçaient les flammes, encore.
Silencieusement mes lèvres esquissèrent un dernier message d’amour. Des excuses pathétiques. Pardonne-moi, ô mon amour, pardonne moi d’être arrivé trop tard. Je sais que tu n’es pas une sorcière, tu es un ange.
Soudain, un éclat de voix m’arracha à la beauté de ce regard chéri. C’était le fils de ma voisine, âgé d’une douzaine d’années.
« Ne r’gardez pas ses yeux, m’sieur, elle va lancer une malédiction contre vous !
— N’importe quoi ! Laisse-moi, gamin ! Qu’est-ce qui te fait dire ça d’abord ?
— Elle séduit les hommes d’un regard et ils tombent tous malades !
— Que dis-tu ?
— Elle a le mauvais œil ! C’est l’œil du diable, dans son regard ! »
Je me retournai, et mon cœur faillit s’arrêter de battre. Les yeux verts avaient cédé leur place à deux trous béants, le vestige de ses lèvres semblait s’étirer en un sourire macabre. J’étouffai un cri. Cette vision ne dura qu’un instant. Le doux visage de la condamnée était comme fondu. Sa voix s’était tue. L’odeur me faisait suffoquer. Cet enfant entretenait des croyances stupides, c’était tout.
Je tombai à genoux cette fois : les paupières s’étaient fermées à jamais sur le regard mystérieux de la femme que j’aimais, rendue déjà méconnaissable par les flammes qui réduisaient mon amour en cendres.