Radio In Utero

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Un livre ? Nadja, André Breton. Un texte ? Première soirée, Arthur Rimbaud. Un film ? Trainspotting, Danny Boyle. Une chanson ? I am the walrus, The Beatles.

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L'homme à la blouse blanche est hautement concentré sur les images basse définition de son écran, qui n'a rien de grand ni de plat. À l'heure des smartphones et des tablettes, notre homme de sciences est en train de tapoter en silence sur une machine roulante ressemblant à un croisement improbable entre un minitel et R2-D2. Si ça continue, il va peut-être se servir d'un téléphone à cadran rotatif pour envoyer un fax, qui sait ? J'ai presque envie de l'aider et lui proposer une application au hasard sur mon portable : BabyLookLike, JeSuisTonPère ou 9MoisÉmoi, peu importe, du moment d'en savoir un peu plus.

Aujourd'hui, je réalise que ça devient vraiment sérieux et j'ai comme envie de danser de joie et de tourner de l'œil. Allongée à mes côtés, Emma semble imperturbable avec son ventre aux allures de Mont Fuji. Personnellement, je n'ai pas l'impression d'être au top de ma forme mais j'essaye de faire bonne figure, ce qui reste techniquement assez difficile compte tenu de la crispation de mon visage.

Pendant cette attente interminable où le spécialiste des futurs-mangeurs-de-purée analyse ses données, je voudrais m'adresser à toi bonhomme, parce que j'ai l'impression que ça me calme un peu de te parler. Tu vas bientôt débarquer dans ma vie pour squatter le canapé et vider mon frigo. T'es un peu comme un pote qui ne sait pas où dormir et qui arrive avec un sac d'affaires sales et la gueule enfarinée.

Si tu veux, on pourra organiser des soirées « mousse », avec du chocolat noir pour les uns et des bières blanches pour les autres. Et on discutera sûrement des moments collectors, ceux qui nous font du bien par leur incroyable et nécessaire légèreté, parce que la vie, tu verras, vaut le coup aussi pour ces instants-là : l'odeur des tartines grillées, la neige sur la peau, le goût des chips au vinaigre, le paysage qui défile par la fenêtre du train, le bruit de la pluie sur le velux... La liste est longue, je t'assure. On devrait d'ailleurs s'obliger à en prendre une bonne dose régulièrement. Tout se passe dans la tête, sans dommage, sans risque, sans besoin de créer un espace chez soi pour entasser des bricoles inutiles.

Ne t'inquiète pas, j'ai bien compris que ton installation, à l'inverse du pote que l'on finit par virer à grands coups de pompes sur le palier, était plutôt de type « définitive ». Ne t'inquiète pas non plus sur le programme des activités à venir, on aura le temps de faire un paquet de choses ensemble et de collectionner tout un tas de bons moments. En attendant, je vais t'aménager un cocon bien à toi, tranquille, avec des posters d'enfants du rock sur les murs, un tambour à portée de main et quelques livres de Bukowski pour t'endormir avec de belles histoires.

Alors que l'on y croyait plus, le (presque) docteur Ross a marmonné quelque chose aux commandes de ses machines révolutionnaires. Quelque chose qui ressemblait à peu près à : « Tiens donc, qu'est-ce que... ? » Typiquement le genre de phrase que tu n'as pas envie d'entendre à certains moments, quand la force n'est pas en toi, quand un simple détail ou une parole peut te faire basculer instantanément du côté obscur et imaginer les trucs les plus dingues, les plus glauques, les plus flippants.

J'ai senti comme une décharge dans ma tête. Comparable à l'impression de secousse que l'on ressent parfois quand on s'endort. Ce sursaut soudain qui nous rappelle que l'on est bien vivant a pris ici la forme d'un violent électrochoc. D'ailleurs, je suis tombé je crois. L'écran est devenu noir – je ne parle pas de celui du médecin mais bien de mon champ de vision. Un voile devant les yeux. J'ai fait un léger malaise, pourrait-on dire, histoire d'imposer mon style imperturbable et décontracté.

J'étais persuadé que j'allais accueillir un Jedi ou un mini Ringo Starr à la maison mais on vient de nous apprendre que, contre toute attente, nous allions bénéficier d'une offre exceptionnelle, deux pour le prix d'un. Et lorsque l'on attend des jumeaux, il y a trois possibilités : un gars/une fille, deux p'tits cowboys ou des Barbies girls. « Life in plastic, it's fantastic », diraient avec cynisme les adeptes de la précaution.

Pas de doute, la famille va s'agrandir. Mais il reste encore à connaître la composition exacte de l'équipe. Je crois que le mieux est de commencer par digérer la nouvelle avant de me lancer dans le match de ma vie.

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