Que le ciel me pardonne

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne quant à elle, commençait loin d’ici, loin de ces mystérieuses terres qui soutiennent mes pieds.
Mon périple s’amorçait sur la terre de mes aïeuls, à plus d’une cinquantaine de Kilomètres d’ici. Maman tricotait comme toujours en marmonnant des prières, mes frères discutaient politique et le plus vieux sage de mon quartier s’attelait à comparer notre dure époque à celle de sa jeunesse. Il fallait que je parte; tel avec mon père que je n’ai guère connu, la situation devenait si complexe que l’urgence d’un départ s’imposait. L’espoir d’un avenir meilleur se mourrait, il recevait une balle puis tombait. Ma décision ne souffrait donc d’aucune hésitation. En tant que premier-né de ma famille, je devais relever le défi du courage, je ne pouvais me lamenter éternellement sur ma piteuse condition. Je me devais d’être celui qui sortirait enfin maman de sa profonde douleur. Pourtant lors de mon départ, je n’ai guère eu le courage d’affronter son regard. Si je l’avais osé, je parie que derrière ses lunettes, ses yeux se seraient mis à larmoyer. Elle se serait laissé prendre par une crise d’hystérie et m’aurait certainement répété son fameux « Attends ton heure, mon fils ! ».
À peine que je décrochais le bac, poursuivre mes études s’avérait difficile, voire impossible. Les petits boulots que j’enchainais à un rythme infernal ne pouvaient me sortir des griffes de la misère. Alors, quand ma petite amie me quittait faute d’espoir, l’idée de m’envoler vers de nouveaux horizons commença à germer dans ma psyché.
J’avais minutieusement tout préparé et ma destination était toute trouvée. Une mine de diamant dans le sud, c’est là que je voulais aller. Le jour du départ d’ailleurs, j’étais le premier à embarquer dans ce vieux camion venu pour nous, en compagnie d’une dizaine d’autres désespérés. Ils avaient tantôt la mine serrée ou un regard hagard, mais nous partagions au moins la même passion de partir, en plus du désespoir.
Mais que ce ne fut simple ! Tout d’abord, le camion tardait à démarrer. Nous attendions impatiemment, bien fourrés à l’arrière et parfaitement cachés par une voûte de bâche s’élevant depuis toutes les ridelles du camion. Je pensais constamment à ma mère, comme maintenant. Pourtant je l’avais trahi et on allait me le rappeler avant le départ.
Deux hommes, dont le chauffeur, taillaient bavette près de notre véhicule. Nous pouvions tous les entendre, moi en particulier.
— Tu partiras après qu’il t’ait apporté...ne finit d’articuler celui qui semblait être l’un de mes oncles maternels, Paco.
— Ouais. Il doit me l’apporter pour que j’atteigne le summum de mes capacités, rétorquait le chauffeur.
— Je m’en doutais. Mais j’aurais aimé que tu me fasses une petite faveur.
— Ouais, laquelle ?
— J’aimerais briser l’une de tes règles d’or. Vois-tu, j’aurais appris que l’un de mes neveux venait de piquer les petites économies de sa mère avant de disparaitre. Je sais que tu démarres d’ici là, mais j’aimerais vérifier ta cargaison question de savoir s’il ne ferait partie...
— Non, je t’arrête tout de suite. Tu sais bien que mon travail est d’une grande complexité. Et je n’ai nul besoin de te rappeler qu’en faisant cela, je risquerais ma tête, Paco.
— Je sais, et j’imagine mal ce petit parmi tes marchandises vivantes quoique...
La nouvelle s’était donc répandue. J’imaginais la tête que faisait ma mère puis je maudissais mon ivrogne d’oncle qui tentait maladroitement de jouer au justicier. Après avoir dilapidé toute la petite fortune qu’il s’était amassée en commerçant vers la capitale, il voulait se rendre utile pour les autres alors qu’il n’était d’aucune aide pour sa propre chair, ne ratant jamais une occasion de l’abandonner aux bonheurs tumultueux de l’alcool.
À force d’attendre, je devenais plus qu’impatient. À un moment même, je songeais à tout plaquer pour réapparaitre à la maison, tard dans la soirée et ainsi éviter bien des maux à maman. Mais une hargne insoupçonnée me guidait et je restais-là. Le chauffeur continua sa conversation pendant plus d’un quart d’heure encore puis pris son poste à l’arrivée de l’homme qui allait le payer pour nous, Sinda notre guide. Ce dernier ne manquait de lui apporter un joli petit paquet de cannabis bien emballé; notre voyage pouvait commencer.
Il y avait en tout quinze âmes, dont Sinda et le chauffeur. Nous autres derrière, étions entassés telles des bêtes à vendre. Nous avions tous les fronts baissés, tapis dans le noir, sous les secousses et les bruits de l’engin qui nous transportait. Nous partions tous têtes baissées pour pouvoir les relever un jour. Sinda devait nous conduire vers les terres qui jadis, lui procuraient gloire et richesse, les mines du roi Kam, celles-là même qui abritent présentement mon corps meurtri.
C’était le baroud d’honneur de Sinda, un dernier voyage pour retrouver sa vie d’antan. Cependant, le malheur était notre partage. Notre camion devait nous déposer sur la grand-route de l’Est; et de là, une camionnette devait nous faire traverser la grande savane et nous mener jusqu’au grand village des Wendzes d’où nous pourrions rallier aisément les mines de diamant. Mais alors que nous arrivions sur la grand-route, la camionnette tardait à débarquer. Les rayons du soleil se retiraient tristement l’un après l’autre, nous étions abandonnés à nous-mêmes quand Sinda se décida de reprendre les choses en main.
— Venez, nous avons une douloureuse soirée à affronter et une rude nuit à dompter, venez ! Nous dit-il de sa voix grave et lancinante.
Non satisfait de ce changement de situation, je voulais plus d’explications.
— Ce coin est peuplé de petites bestioles dangereuses dit-on, comment comptez-vous nous guider à travers cette brousse ? J’interrogeais Sinda.
— Ah, c’est Ben qui parle. Mais si tu persistes à pester en restant en retrait, une meute d’hyène pourrait bien t’emporter, me dit-il en riant.
Ses paroles eurent le don d’arracher un petit rire aux autres durant ces moments d’angoisse. Rapidement, je la fermais puis les rattrapais.
La nuit tombée, nous contemplions la blancheur de la lune. C’était beau, malgré que nous valsions dans l’incertitude. Sinda fit allumer trois grands feux, il nous fallait du repos afin de reprendre des forces pour parcourir dès l’aube, les dix kilomètres qui nous séparaient encore du grand village. Les quelque quinze kilomètres que nous fîmes jusqu’au centre de la savane nous avaient quelque peu épuisé.
Sinda m’invita près de sa tente et me tint un morceau de pain puis sa petite gourde d’eau transparente à moitié pleine.
— Il faudra faire vite. Le village nous fournira gibier et boisson, mais il faudra l’atteindre avant que nous soyons à sec, m’apprit-il.
— Ah ça !
— C’est mon dernier voyage, petit, le tout dernier. Et peut-être que quand je rentrerai, je fonderai enfin une famille, dit-il, le regard vers les cieux et sa mine d’étoiles.
Je rencontrais Sinda dans l’un des plus célèbres des bistrots de ma petite ville en province. C’était le seul endroit où la jeunesse désœuvrée venait retrouver le sourire en matant des matchs de foot européens. Il avait une telle fougue et partageait toujours à qui voulait l’entendre, ses théories sur la rédemption et ses projets de ramener des ressources minières dans la communauté pour un réel développement. Tout le monde le connaissait, l’on se parlait souvent et j’adhérai finalement à son projet. Une légende qu’il n’a jamais confirmé, voulait qu’il soit l’un des seuls à avoir survécu à l’une des dernières expéditions menées dans les mines du roi Kam. Depuis, plus personne ou presque ne voulait les fréquenter.
Nous étions plus que deux, encore lucides dans la nuit. Face à Sinda, je pouvais voir briller ses yeux. Il disait connaitre tout de moi, il m’avait protégé de mon oncle, car il voulait que je ne finisse comme lui.
Un vent froid souffla tendrement entre nous.
— Je connais ton ardent désir de réussir, j’estime que tu possèdes la même hargne que moi. Et pour cela, je t’aiderai.
— Comment c’était durant la première expédition ? Je voulais savoir.
Sinda sourit et m’invita dans sa tente, car il voulait s’allonger. Pliant sa natte, je le suivais aveuglément.
Au bout de deux heures initiatiques passées en compagnie de Sinda, je sortais de sa tente alors qu’il ronflait paisiblement. Les autres s’étaient regroupés dans deux tentes, je devais rejoindre, au choix, l’une d’entre elles.
L’atmosphère à la fois sauvage et paisible du coin me berçait. Je pensais trouver un sommeil digne de cette envoutante quiétude de la nature, mais je me trompais royalement. Deux cauchemars se succédaient tour à tour dans mon sommeil paradoxal. Dans le premier, ma mère courait après moi; plus elle avançait, plus je semblais perdre des forces. Mais elle ne m’atteignait jamais, jusqu’à ce qu’elle s’effondre en sanglot. Elle hurlait mon nom, de vive voix elle criait à cause de la peine que je lui avais causée puis ses larmes prirent une coloration rouge-sang. Après un moment de répit, mon esprit tourmenté m’introduisait dans mon second rêve. Cette fois-là, ce fut de terribles bêtes sauvages assoiffées de sang qui me couraient après, éperdument. Ce dernier cauchemar se terminait à mon réveil brutal. Il se terminait pour que celui de la réalité commence devant nous.
Sous ma tente, il manquait un homme. Je sortais et le croisait près de la tente saccagée de Sinda, notre guide-protecteur. Accroupi, il avait un regard perdu et tremblait de peur. Sinda s’était volatilisé dans la noirceur de la nuit et les traces de sang sur le sol ne présageaient rien de bon.
— Il avait donc raison, je soliloquais.
— Elles vont revenir, elles reviendront, ne cessait de rabâcher l’autre accroupi.

Puis un autre compagnon sorti de ma tente et vint à ma rencontre.
— Ce sont des hyènes tachetées, je les ai entendues, je les ai même vues, me dit-il en catimini.
— Que faire alors ? Je lui demandais à voix basse. Nous n’avons presque plus de réserve d’eau et de nourriture.
— J’ai une idée, on n’a d’autre choix que de l’appliquer pour notre salut, me dit-il avec assurance.
Quand vint l’aube, nous courions, tous trois. Le compagnon apeuré dans la nuit, l’autre, celui qui eut l’idée de mettre le feu aux deux autres tentes et moi, celui qui appliquait avec lui cette sentence, ce fameux plan de survie sur les autres compagnons endormis. Nous nous étions débarrassés de plusieurs estomacs qui nous auraient contestés le peu de provision qui restaient à notre disposition. Pour nos vies, nous courions donc, mais les ennuis allaient bientôt nous rattraper. Deux hyènes furent à nos trousses, elles nous traquaient et nous poursuivaient sans relâche. Pourtant dans cette grande peur, une idée salvatrice me traversa les neurones. C’était à mon tour de nous sortir de ce traquenard. Demandant à mes compagnons de ralentir, je fis signe au pyromane de me passer le petit couteau qu’il gardait sur sa ceinture et le plantait dans l’un des tendons d’Achilles de l’autre, dans la chair du compagnon apeuré dans la nuit. Le cri strident qu’il poussa ne fit guère hésiter les hyènes qui allaient tomber sur lui. Il n’y avait plus que deux survivants, je n’eus le temps de regarder derrière moi, le pyromane m’assurait que ce compagnon était faible, j’avais bien fait de l’offrir en sacrifice pour notre salut.
Après être passés par le grand village, nous arrivions enfin dans les mines. Me remémorant les conseils de Sinda, je savais où mettre mes pieds. Yandi le pyromane, mon dernier compagnon, pris l’Est et moi le reste.
Au bout d’une randonnée épuisante dans le tunnel d’une grotte, je trouvais enfin l’eldorado, ma torche en main. Des diamants à perte de vue, il y avait sur le sol argileux de ce passage étroit. Cependant, un cri m’obligea à sortir de la grotte en prenant le soin de bien poser mes pas. Quand j’arrivais enfin au dehors, Yandi était pris au piège près de l’entrée des mines où il était revenu. Sans me voir, il me criait à l’aide, je prenais aussi la décision de le secourir avant de changer d’avis, de rebrousser chemin pour finir ce pourquoi j’étais là, ma moisson de diamants. Mes pierres précieuses en main, je jubilais. Pour plus de sécurité, je pris la décision de les avaler l’une après l’autre, une vingtaine de petites pierres précieuses en compagnie de l’anti diarrhéique que me filait Sinda dans sa tente. Sinda était un as, je me disais. Puis je sortais, marchant jusqu’à l’entrée des mines. Je me voyais déjà investir les lieux d’aisance à mon retour auprès de maman, tentant de retrouver mon butin dans mes déjections quand un homme sorti de nulle part et m’assomma.
Quand je me réveillais, j’étais ici, loin de l’entrée des mines, à la merci de deux gars robustes venus du nord. Ils cherchaient la même chose que nous, mais moins chanceux, ils ne trouvèrent rien et me repérèrent. L’un trouvait un diamant que je cachais encore malencontreusement dans l’une de mes poches et devinais que j’en possédais d’autre. Et devant mon refus de les leur donner, ils me démolissaient.
Les mains liées, j’ai le visage tuméfié et du sang me coule de la bouche.
— Terminons-en, dit l’un.
— Ok, je pense qu’il ne dira rien, alors...
Levant son pistolet, il va m’ôter la vie lorsque je leur crie vouloir leur montrer les diamants. Aussitôt, ils me poussent devant eux et nous marchons. Je les conduis où ils me capturaient et je leur présente un amas de feuilles séchées sur une portion de sol humide faisant des bulles à la surface. Aussi tôt, celui qui tient l’arme se fait bousculer par l’autre qui sans réfléchir, saute dans les feuilles. Il est bientôt suivi par son complice qui le traite de tous les noms. Mais malheureusement pour eux, ils s’empêtrent dans des sables mouvants, les mêmes qui engloutissaient Yandi. Celui qui tient le pistolet a pourtant le temps de dégainer et de m’atteindre au bide avant de projeter maladroitement son arme loin de lui. Grièvement blessé, je tangue puis m’affale face à eux en me tenant l’abdomen. J’ai le loisir de voir sombrer en premier celui qui tirait sur moi car il s’agite beaucoup trop. L’autre se noie aussi, puis pris d’angoisse, il finit par me supplier de le tirer de là avant que son visage ne soit complètement englouti. Sinda m’avait prévenu que les lieux étaient bourrés de sables mouvants et me raconta l’histoire du tunnel que je trouvais pourtant péniblement, après avoir perdu tout espoir.
Je me lève, mais ma blessure au ventre m’arrête net. Je m’effondre, je rampe devant moi, bavant tel un chien pris de rage. J’ai l’impression de voir une femme toute vêtue de blanc sortir de nulle part, peut-être pour me sauver de mes trahisons et de ma cupidité. Ma vision n’est plus que ténèbres et je pense à maman. Loin d’elle, je me suis égaré. J’ai voulu être un homme, j’ai suivi les hommes jusqu’à embrasser leur folie. J’ai tué, j’ai haï mon prochain et ma déchéance m’a conduit jusqu’à ces heures tardives de ma vie. Que maman prie pour mon âme, que le ciel me pardonne...