Il vit un coucher de soleil, démesuré.
Le firmament croissait d'un rouge violent.
Il entendit crier le cheval roussi de
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Mais que fait Magali, assise ainsi les bras ballants, la tête abandonnée sur les genoux ? Un découragement, un coup de fatigue ? Une mauvaise nouvelle ?... Elle n’en montrera rien d’autre que cette lassitude du corps, énigmatique. Elle se relèvera. Regagnera son bureau. Ne s’expliquera pas.
Jeune, elle était gourmande déjà. Gourmande et intelligente, futée et délicieusement naïve aussi. Ça s’est vu dès qu’elle franchit la porte de la direction du journal. Elle voulait faire un stage. Vive, confiante, son sourire d’ange fit le reste ; on n’avait nul besoin d’une stagiaire mais on la prit. Juste après la fin de ses études une aubaine se présentait : un nouveau poste serait créé dans quelques mois. On lui suggéra même de postuler.
Magali se fit un nom rapidement et depuis une trentaine d’années, on apprécie sa plume. Une sacrée plume. Incisive, claire, foisonnante. Parmi la diversité des faits divers, la criminalité est son domaine préféré dont elle a une approche spécifique. Rien ne serait sacrifié sur l’autel du sensationnel prisé par d’autres. Tout est vérifié, décortiqué, minutieusement confronté au réel des faits, puis analysé et mis en forme par son écriture limpide. A la manière d’une exploratrice, Magali sonde la profondeur de la noirceur humaine. En toute indiscrétion. Mais avec un tel tact...
Un jour, ce fut la déconfiture. Un jour gris, froid, infréquentable... C’était une battante et la voilà abattue.
Grégoire G. est arrêté à son domicile, soupçonné d’une ignominie insupportable. Les enfants de sa deuxième femme ont été retrouvés enchaînés, séparés de leur mère par un mur ne laissant filtrer que les plaintes...
Magali se rend sur les lieux. Elle va observer, faire des photos, obtenir peut-être une première interview. La routine quoi. Mais parfois le hasard offrait des surprises, elle est là également pour ça... Les enquêteurs la refoulent. Ils redoutent les caméras et les appareils de photographie ; elle y est habituée. La police scientifique est là aussi, faisant patiemment son job. Magali se dégage du périmètre de la scène de crime pour ne pas déranger. Elle attend un meilleur moment, tout en marchant près des véhicules aux gyrophares en mouvement.
A l’arrière d’une des voitures de police, l’air mauvais et abattu, un homme la toise... Non, c’est pas possible, je divague, pense-t-elle. Toutefois, ce réel d’épouvante l’attrape au ventre et Magali blêmit, se fige, regard exorbité. Cet homme est son beau-père...
Sa mère est-elle déjà au courant ? Son frère ? Sûrement pas encore. Il lui appartient de le faire alors. Il faut éviter à tout prix qu’ils apprennent ça par les policiers qui vont aller les interroger, forcément. Elle retournera au journal après ; oui mais, si elle ne retourne pas au journal maintenant, on se posera des questions, on la cherchera, on lui téléphonera sans cesse. Oh, merde, tant pis ! Elle reprend sa voiture et fonce.
L’urgence l’empêchait de sombrer : sa famille avant tout.
Plus tard, avachie dans la salle de repos, Magali prétexte la fatigue devant le directeur de rédaction qui vient se chercher un café. Elle se relève vite, regagne son bureau, ne dit rien de plus à ceux qui remarquent son air défait.
Elle est chancelante et sa tête bourdonne. La réalité atroce la poursuit, avec son lot de questions idiotes. Vengerait-elle les histoires disséquées et mises en pâture tout au long de sa carrière ? Donnerait-elle forme à une sorte de culpabilité ?... Comment éviter le désaveu ? La honte ? La disgrâce ?
Pour sortir de ce vertige et garantir sa propre santé mentale, pour les siens qu’elle ne peut abandonner aux indiscrétions et invectives de certains journaux, Magali doit d’abord sauver la face. Quoi de mieux pour ce faire que de se remettre au boulot ?
Oui mais, comment écrire sur cette abomination ?
Magali sait bien qu’il lui faut traiter cette affaire comme un sujet qui ne la concernerait pas. Pas facile. Même si elle est aguerrie au vice, à la cruauté, au sadisme... elle a écrit sur tant d’horreurs. Mais cette fois-ci elle doute de ses capacités à respecter un prévenu, quoiqu’il ait fait. Pourtant elle n’a pas le choix, le travail attend, elle doit impérativement prendre de la distance.
Il faudrait pouvoir mettre entre parenthèse toute émotion, tout affect. Au moins pendant le temps de l’écriture. Toute à ses réflexions et sans même s’en rendre compte, Magali utilise alors un outil bien précieux dans de tels cas. Son esprit clive la réalité et elle peut dénier son lien familial avec le suspect. Du coup, elle garde la tête froide, comme par magie mais sans être dupe !
Elle tape un premier jet sur son ordinateur. Son demi-frère et sa demi-sœur deviennent des inconnus qu’elle décrit avec toute la délicatesse qui fait sa réputation. Le coupable pressenti et son acte sont dépeints de manière presque clinique. Pour l’instant, aucune mention n’est faite ni de sa mère, ni de son frère. Encore moins des motivations étranges du criminel...
Le plus dur est fait : commencer. Magali devine qu’elle réussira... Patience.
Jeune, elle était gourmande déjà. Gourmande et intelligente, futée et délicieusement naïve aussi. Ça s’est vu dès qu’elle franchit la porte de la direction du journal. Elle voulait faire un stage. Vive, confiante, son sourire d’ange fit le reste ; on n’avait nul besoin d’une stagiaire mais on la prit. Juste après la fin de ses études une aubaine se présentait : un nouveau poste serait créé dans quelques mois. On lui suggéra même de postuler.
Magali se fit un nom rapidement et depuis une trentaine d’années, on apprécie sa plume. Une sacrée plume. Incisive, claire, foisonnante. Parmi la diversité des faits divers, la criminalité est son domaine préféré dont elle a une approche spécifique. Rien ne serait sacrifié sur l’autel du sensationnel prisé par d’autres. Tout est vérifié, décortiqué, minutieusement confronté au réel des faits, puis analysé et mis en forme par son écriture limpide. A la manière d’une exploratrice, Magali sonde la profondeur de la noirceur humaine. En toute indiscrétion. Mais avec un tel tact...
Un jour, ce fut la déconfiture. Un jour gris, froid, infréquentable... C’était une battante et la voilà abattue.
Grégoire G. est arrêté à son domicile, soupçonné d’une ignominie insupportable. Les enfants de sa deuxième femme ont été retrouvés enchaînés, séparés de leur mère par un mur ne laissant filtrer que les plaintes...
Magali se rend sur les lieux. Elle va observer, faire des photos, obtenir peut-être une première interview. La routine quoi. Mais parfois le hasard offrait des surprises, elle est là également pour ça... Les enquêteurs la refoulent. Ils redoutent les caméras et les appareils de photographie ; elle y est habituée. La police scientifique est là aussi, faisant patiemment son job. Magali se dégage du périmètre de la scène de crime pour ne pas déranger. Elle attend un meilleur moment, tout en marchant près des véhicules aux gyrophares en mouvement.
A l’arrière d’une des voitures de police, l’air mauvais et abattu, un homme la toise... Non, c’est pas possible, je divague, pense-t-elle. Toutefois, ce réel d’épouvante l’attrape au ventre et Magali blêmit, se fige, regard exorbité. Cet homme est son beau-père...
Sa mère est-elle déjà au courant ? Son frère ? Sûrement pas encore. Il lui appartient de le faire alors. Il faut éviter à tout prix qu’ils apprennent ça par les policiers qui vont aller les interroger, forcément. Elle retournera au journal après ; oui mais, si elle ne retourne pas au journal maintenant, on se posera des questions, on la cherchera, on lui téléphonera sans cesse. Oh, merde, tant pis ! Elle reprend sa voiture et fonce.
L’urgence l’empêchait de sombrer : sa famille avant tout.
Plus tard, avachie dans la salle de repos, Magali prétexte la fatigue devant le directeur de rédaction qui vient se chercher un café. Elle se relève vite, regagne son bureau, ne dit rien de plus à ceux qui remarquent son air défait.
Elle est chancelante et sa tête bourdonne. La réalité atroce la poursuit, avec son lot de questions idiotes. Vengerait-elle les histoires disséquées et mises en pâture tout au long de sa carrière ? Donnerait-elle forme à une sorte de culpabilité ?... Comment éviter le désaveu ? La honte ? La disgrâce ?
Pour sortir de ce vertige et garantir sa propre santé mentale, pour les siens qu’elle ne peut abandonner aux indiscrétions et invectives de certains journaux, Magali doit d’abord sauver la face. Quoi de mieux pour ce faire que de se remettre au boulot ?
Oui mais, comment écrire sur cette abomination ?
Magali sait bien qu’il lui faut traiter cette affaire comme un sujet qui ne la concernerait pas. Pas facile. Même si elle est aguerrie au vice, à la cruauté, au sadisme... elle a écrit sur tant d’horreurs. Mais cette fois-ci elle doute de ses capacités à respecter un prévenu, quoiqu’il ait fait. Pourtant elle n’a pas le choix, le travail attend, elle doit impérativement prendre de la distance.
Il faudrait pouvoir mettre entre parenthèse toute émotion, tout affect. Au moins pendant le temps de l’écriture. Toute à ses réflexions et sans même s’en rendre compte, Magali utilise alors un outil bien précieux dans de tels cas. Son esprit clive la réalité et elle peut dénier son lien familial avec le suspect. Du coup, elle garde la tête froide, comme par magie mais sans être dupe !
Elle tape un premier jet sur son ordinateur. Son demi-frère et sa demi-sœur deviennent des inconnus qu’elle décrit avec toute la délicatesse qui fait sa réputation. Le coupable pressenti et son acte sont dépeints de manière presque clinique. Pour l’instant, aucune mention n’est faite ni de sa mère, ni de son frère. Encore moins des motivations étranges du criminel...
Le plus dur est fait : commencer. Magali devine qu’elle réussira... Patience.
Votre amie a fait un acte de mère courage.