Orbita 526

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Et comment lui avouer que j'en suis une ? Garloz, mon instructeur sur Orbita 526, m'a dit que ma mission était des plus importantes et qu'il fallait absolument que je garde le secret jusqu'à la fin de «l'expérience». Cela faisait maintenant plusieurs années que je vivais sur Terre et ma planète d'origine me manquait terriblement, tout comme les Lazaroth... Je suis une humaine créée à partir de cellules d'autres humains. J'ai été conçu dans ce que Garloz appelle «L'Aquarium», un bassin censé reproduire les conditions in utero du ventre de la femme. Je ne me souviens pas de cette période. Garloz me rassura en m'expliquant que c'était normal, mon cerveau se forme lentement, contrairement aux cerveaux des Lazaroth.
«- Donc ça veut dire que je suis plus bête que vous?» lui demandai-je.
- Ton QI a peu de chance de dépasser celui d'un Lazaroth, mais tu seras très intelligente parmi les humains. Et tu es dotée de quelque chose qu'aucun de nous ne possède plus depuis longtemps...
- Qu'est ce que c'est?» lui demandais-je.
- Tu t'en rendras vite compte» dit-il en caressant maladroitement ma joue. Garloz avait toujours du mal à me montrer son affection, pourtant, j'étais convaincue qu'il m'aimait. Je l'ai toujours considéré comme mon oncle bienveillant.
Mes 10 premières années de vie se sont déroulées sur Orbita 526, la colonie spatiale scientifique d'Orbita, d'où mon peuple est originaire.
Je dis «mon peuple» car pour moi les Lazaroth sont tous mes frères et soeurs. Garloz me disait que j'allais passer le restant de ma vie avec des humains et donc qu'il ne fallait pas que je m'attache à eux, car j'en aurais souffert.
Lui-même n'avait pas l'air de bien saisir ce qu'il m'expliquait mais je comprenais parfaitement ce qu'il voulait dire. Garloz ne voulait juste pas que je souffre le jour où je n'aurai plus à les revoir... Il restait toujours très évasif au sujet de mon retour sur Orbita 526, j'imagine que lui-même ne savait pas quand ce retour aurait lieu. J'ai passé beaucoup de temps à observer mes parents à travers la lentille de l'observatoire. Garloz ne manquait pas de me rappeler que je les observais dans le passé, à cause de la distance qui séparait nos deux planètes. J'étais leur fille biologique, c'est grâce à leurs ADN qu'on avait prélever à leurs insu que l'on m'avait crée. Il me rappelait chaque jour en quoi consister ma mission, je connaissais les instructions par cœur.
«- Sur Terre, tu remplaceras leur fille actuelle. Ils n'y verront que du feu car tu es son sosie. Tu commenceras une vie normale avec eux comme si tu avais toujours vécu dans ce foyer. Bien sûr, la mission comportera des risques. Il est possible qu'ils sentent que quelque chose ne va pas le lendemain du remplacement, mais avec ce que je t'ai appris tu seras armée pour t'intégrer. De toute façon ils ne se doutent pas que nous allons remplacer leur fille Terrienne par toi. Et puis n'oublie pas que Nomade sera avec toi pour te protéger au cas où!
- Oh non pas lui, je l'aime pas...» répondais je plaintivement.
- Ne t'en fais pas, sa mission est de veiller sur toi, pas de vivre en permanence à tes côtés, tu ne remarqueras même pas sa présence».
Nomade était un androïde crée à partir d'ADN humain (comme moi) dans un seul but: me protéger une fois sur Terre.
J'avais réussi à espionner une conversation vocale entre les responsables du projet et Garloz. Ce dernier pensait qu'il serait convenable d'envoyer un androïde au lieu d'un robot car celui ci, crée en partie à partir d'ADN humain sera plus à même de s'infiltrer sur Terre et de me protéger efficacement. Le Grand Chef avait accepté cette idée. Garloz avait toujours de bonne idée! Pourtant, le jour où j'ai rencontré Nomade, il m'a fait peur. Il était grand et froid, souriant, mais comme vide à l'intérieur. Je ne voulais pas le voir, il m'a fallu longtemps avant de pouvoir discuter avec lui. Aujourd'hui encore, je ne l'aime toujours pas... J'aurais préféré être envoyée seule sur Terre plutôt que d'avoir un truc moitié humain moitié robot qui me surveille en permanence! Les humains qui avaient été choisis pour fournir l'ADN nécessaire pour créer Nomade étaient assez spéciaux. Je les avaient observés à travers le microscope. Son père se rendait chaque soir dans une salle où il pratiquait une activité visant à frapper d'autres humains. La «boxe» ça s'appelle. C'était un type très grand, sacrement costaud pour un humain avec la peau très noir, plus encore que les Lazaroth. Garloz m'expliqua que, contrairement aux habitants d'Orbita, dont la couleur de peau s'était uniformisée partout sur la planète avec le temps, les humains conservaient encore des teintes de peau différentes en fonction de leurs ethnies. C'était d'ailleurs l'une des matières que je trouvais la plus intéressante à étudier : la biologie. Sûrement parce que c'est cette discipline qui me rapprochait le plus de ce que j'étais organiquement: une humaine. Bien que je sois une Lazaroth de cœur!
Garloz m'expliqua qu'ils avaient choisi un tel parent pour Nomade car ils voulaient qu'il possède un caractère fort, voir violent et endurant. Un tel parent maximiserait les chances qu'il détiennent de tels attributs. Selon Garloz, la violence pouvait s'avérer nécessaire sur Terre.
«- Le peuple de cette planète peut encore être en proie à des instincts primitifs, comme l'envie de frapper quelqu'un qui nous dérange. Les mots peuvent ne pas suffire et il faut alors régler certains problèmes physiquement». Les Lazaroth avaient appris via l'évolution à lisser leurs comportements. Sur Orbita, les cas de violence étaient rarissimes. Je pouvais m'embarquer dans des excès de rages pour des futilités alors que les Lazaroth semblent toujours calmes et réfléchis. Quand je m'énervais aucun d'eux ne savait comment réagir. Leurs grosses têtes ovales, toutes crispées me faisaient à chaque fois beaucoup rire et m'aidaient à me calmer.
Je me questionna sur mes propres parents biologiques. Quand je les observaient, ils me semblaient assez émotifs. Un simple film suffisait à émouvoir ma mère, alors elle pleurait toute l'eau que son petit corps semblait pouvoir contenir. Mon père était aussi très sensible à sa façon, c'est ce que les humains appellent «un artiste». J'ai passée des heures à l'observer, fascinée par la manière qu'il avait de mettre des couleurs sur une toile blanche et d'y représenter des humains ou des paysages. Le jour où je suis partie Garloz est venue me voir dans le vaisseau. Nomade effectuait les derniers réglages avant le départ. Mon oncle vérifia que j'étais bien attachée. Je sentais qu'il était très inquiet, il bougeait dans tout les sens, emmêlait ses phrases et semblait ne plus pouvoir réfléchir correctement.
«- 1 minute avant le décollage» dit l'androïde.
- Comment vas-tu?» me demanda Garloz.
- Ça va, je suis un peu triste de partir mais impatiente de découvrir la Terre!
-Prends bien soin de toi.»dit-il avec d'une voix bizarre. Ce fut étrange car j'eus l'impression qu'il allait pleurer. Même si je savais que les Lazaroth ne le pouvait pas. Pourtant à ce moment là je ressentis comme de «l'humanité» chez lui.
«- 30 secondes!» dit Nomade.
- Dis Garloz, ne veux tu pas me dire le but caché de ma mission maintenant? Je suis sur le point de partir et ça fait longtemps que je me questionne.» osais-je lui demander.
Surpris par ma question, il fit un drôle de bruit avec sa bouche.
«-Tu es notre espoir, le plus grand espoir de notre civilisation, tu détiens en toi quelque chose que nous avons perdu.
-10 secondes!
- Va, ma fille, sois prudente.»
Et il posa un baiser sur ma tête. Ému par ce geste si rare et inattendu venant de lui, les larmes coulèrent le long de mes joues pendant qu'il quittait le vaisseau. Je le regardais partir et me jura que je reviendrai le voir plus tard.
- Décollage!»
Je sentis une force incroyable me propulser dans les airs.
Je quittais ma planète natale pour découvrir mon espèce.