Connaissez-vous, petits et grands,
L’histoire de ce petit mec épatant,
Né un jour de Saint-Eustache,
Et dénommé
... [+]
De la fenêtre ouverte de son appartement, il regarde la fin de l’automne annoncer aux passants un hiver froid et rigoureux. Le vent, pinçant et puissant, oblige les manteaux à relever leurs cols et les chapeaux à être retenus d’une main forte.
De mini tornades au ras du sol tournoient et tortu-rent feuilles mortes et poussière le long des trot-toirs gris et mornes.
Il referme la fenêtre au moment où le clocher du Beffroi, qui trône fièrement en haut de la rue, lui annonce qu’il est l’heure de se préparer à sortir.
Il enfile son manteau noir et son écharpe. Un der-nier coup d’œil dans le miroir avant d’ouvrir la porte d’entrée. Il se regarde. Il soupir. Il ne connaît pas ce vieillard aux cheveux gris et aux traits marqués qu’il voit dans son reflet. Il passe sa main sur son visage et se demande comment ces rides ont fait pour l’envahir contre son gré. Et ces mains....Ces mains qu’il regarde en les re-tournant de chaque coté, que sont-elles devenues, elles qui étaient si fines et élégantes. Elles ne sont plus que des mains osseuses et déformées par la vieillesse et le temps qui s’est acharné.
Il se regarde encore un instant, en contemplant du temps son cruel ravage puis le tic-tac de sa mon-tre lui rappelle qu’il ne faut pas qu’il soit en re-tard.
Aujourd’hui elle l’attend.
Elle.
Enfin il allait la revoir.
Il ne faut plus être en retard. Il l’a déjà été telle-ment toute sa vie.
Le cœur impatient et la respiration saccadée, il fait route à pied. Il a prévu de s’arrêter chez le fleuriste. Il est impensable qu’il arrive devant elle les mains vides.
Le voilà qui n’est plus très loin. Son cœur bat la chamade comme lorsqu’il avait vingt ans et qu’il allait la retrouver. Il l’aimait d’une manière si forte et si douce à la fois. Il l’aimait tant que lors-qu’elle n’était pas à ses côtés, il pensait perdre la raison.
Il sourit. Il sait que seuls quelques pas le séparent désormais d’elle et il se dit que ces quelques pas le ramène à sa jeunesse, à une jeunesse éternelle.
Il lui dit bonjour. Il s’assoit difficilement. Il dit que ça n’est pas très confortable et froid. Il se tait et lui demande de l’excuser en souriant. Il com-mence déjà à râler. Il n’a pas changé depuis leurs vingt ans. Toujours le même malgré le temps pas-sé. Il lui dit que rien n’a changé. Non, rien.
Il n’ose pas la regarder. Il dépose le bouquet. Il lui dit qu’il s’est toujours souvenu que les mar-guerites étaient ses fleurs préférées. Il se souvient, lorsqu’ils se promenaient main dans la main dans ce parc qui leur semblait être leur propriété, qu’elle cueillait toujours quelques marguerites et qu’elle les effeuillaient en lui disant : je t’aime, un peu, beaucoup...
Et lorsque la fleur lui annonçait : pas du tout, elle se mettait à pleurer et se retournait vers lui en lui demandant de lui jurer que jamais rien ne les sé-parerait. Et il jurait. Il lui faisait ce serment avec toute son âme et de tout son cœur...
Mais la vie aime voir s’envoler la candeur dans les cœurs des jeunes gens. La vie a ses plans et se moque de ceux que l’on dessine lorsque l’on est encore qu’un enfant.
Il lui dit que le jour où elle est partie, il n’a pas pu lui en vouloir. Lui qui était de plus en plus sou-vent pris par son travail, lui qui avait de plus en plus de responsabilités et de pouvoir...Comment pouvait-il lui en vouloir de se sentir esseulée et abandonnée ?
Pourtant, lui dit-il, tout ce qu’il s’efforçait de construire à cette époque était pour elle. Il avait tellement peur de ne pas lui offrir la vie qu’elle méritait, il avait tellement peur qu’elle perde, un jour, dans le regard qu’elle posait sur lui ce qui lui donnait l’impression d’exister, d’être un homme exceptionnel.
Il se devait de lui offrir la meilleure des vies sim-plement pour la remercier de faire de lui le meil-leur des hommes.
Il a échoué. Il lui dit qu’il a mis du temps à com-prendre son échec.
Il se tait. Sa gorge est nouée. Un long silence se pose, tel un voile, sur la discussion.
Il reprend et lui dit que ces six années de bonheur passées à ses côtés n’ont jamais pu être regrettées, n’ont jamais pu être remplacées. Plus rien de bon ne leur a succédé.
Il lui explique qu’il ne s’est jamais marié. Que la seule personne avec qui il l’envisageait allait, elle, dire oui à un autre homme.
Il dit qu’il a toujours respecté les choix qu’elle avait pris et que jamais il n’a osé interférer dans sa vie. Peut-être aurait-il dû...Peut-être que s’il s’était battu il ne l’aurait jamais perdue...
Peut-être...
Peut-être...
Tout le long de la vie il se réjouissait, dans l’ombre, des bonheurs qui lui arrivait dans son existence de femme épanouie. Il l’a vue enceinte. Deux fois. Un garçon puis une fille. Comme ils auraient aimé avoir ensemble...
Il l’a vue réussir une belle carrière et devenir une femme respectée. Il a toujours été fier d’elle, tout au long de cette vie passée à se souvenir qu’il lui était pour toujours interdit de lui dire le moindre je t’aime...
Il lui dit qu’il l’a aussi vue lorsqu’elle a perdu son mari. Il a vu toute la tristesse et la peine que cette perte lui procurait...
Il lui raconte maintenant sa vie à lui. Elle est triste et grise. Il n’y a pas grand-chose à dire. Son tra-vail a occupé toute son existence et aura finale-ment été sa seule compagne. Bien sûr, il s’est abandonné dans quelques lits pour quelques nuits, mais jamais il n’a su retrouver le parfum de l’amour qu’il aimait respirait au creux de son cou, dans sa blonde chevelure. Il lui dit qu’aucune femme n’a su la remplacer, même en fermant les yeux, même en voulant tellement l’oublier...Les yeux fermés tout était encore bien pire...Il cares-sait un corps de femme inconnue et ne la voyait qu’elle...
Il ne savait pas mentir et encore moins à lui-même.
Alors il a accepté sa vie de solitaire. Il a été la solitude incarnée.
Il lui dit qu’elle va surement rire, mais les gens ont toujours pensé de lui qu’il était quelqu’un de froid et d’antipathique. Lui qui riait, qui riait de tout lorsqu’ils étaient ensemble, lui qui la prenait par la main dans la rue et l’embarquait dans des valses imaginaires en lui disant à propos du re-gard des passants : on s’en fout, ne pense qu’a nous !
Il lui dit qu’elle est étrange la vie. Elle réussit à rendre durs et froids les hommes les plus tendres et les plus enclins aux sentiments.
Il luit dit qu’il ne l’a jamais oubliée, qu’il n’a jamais cessé de l’aimer. Malgré toutes ces années.
Comment autant d’années ont-elles pu s’écoulées ?
Leurs vingt ans sont passés déjà quatre fois de-vant eux et les voilà seulement réunis. Le voilà devant elle prêt à lui dire une chose qu’il n’a plus dite depuis tellement de temps qu’il ignore si ses dents, si sa langue ou si sa mâchoire vont lui permettre de le dire. Son vieux cœur ignore s’il va soutenir la pression que tout cela lui procure, mais il s’en moque. Il a tant attendu pour le lui dire ne serait-ce qu’une dernière fois.
Au moment où il pose sa main tout près d’elle, un jeune homme, au physique familier, s’excuse de le déranger et lui demande s’il est un ami de sa mère.
Le vieil homme ne lui répond pas tout de suite. Il la regarde une dernière fois et lui chuchote qu’il l’aime, qu’il l’aimera pour le restant de sa vie et que très bientôt ils se retrouveraient pour l’éternité. Il en était persuadé.
Il lui dit au revoir.
Il se retourne ensuite vers cet homme qu’il a vu grandir, mais qu’il ne connaît pas et lui répond qu’en effet il est un très vieil ami de sa maman. Il lui demande de bien vouloir l’aider à se relever car le froid de la pierre a un peu engourdi sa vieil-le carcasse. Le jeune homme lui tend une main forte et puissante tout en lui demandant de bien vouloir lui raconter comment il a rencontré sa mère.
Alors que la fin de cette journée d’automne an-nonce un hiver froid et rigoureux, les deux hom-mes parlent d’un certain lointain passé tout en quittant lentement ce triste cimetière.
De mini tornades au ras du sol tournoient et tortu-rent feuilles mortes et poussière le long des trot-toirs gris et mornes.
Il referme la fenêtre au moment où le clocher du Beffroi, qui trône fièrement en haut de la rue, lui annonce qu’il est l’heure de se préparer à sortir.
Il enfile son manteau noir et son écharpe. Un der-nier coup d’œil dans le miroir avant d’ouvrir la porte d’entrée. Il se regarde. Il soupir. Il ne connaît pas ce vieillard aux cheveux gris et aux traits marqués qu’il voit dans son reflet. Il passe sa main sur son visage et se demande comment ces rides ont fait pour l’envahir contre son gré. Et ces mains....Ces mains qu’il regarde en les re-tournant de chaque coté, que sont-elles devenues, elles qui étaient si fines et élégantes. Elles ne sont plus que des mains osseuses et déformées par la vieillesse et le temps qui s’est acharné.
Il se regarde encore un instant, en contemplant du temps son cruel ravage puis le tic-tac de sa mon-tre lui rappelle qu’il ne faut pas qu’il soit en re-tard.
Aujourd’hui elle l’attend.
Elle.
Enfin il allait la revoir.
Il ne faut plus être en retard. Il l’a déjà été telle-ment toute sa vie.
Le cœur impatient et la respiration saccadée, il fait route à pied. Il a prévu de s’arrêter chez le fleuriste. Il est impensable qu’il arrive devant elle les mains vides.
Le voilà qui n’est plus très loin. Son cœur bat la chamade comme lorsqu’il avait vingt ans et qu’il allait la retrouver. Il l’aimait d’une manière si forte et si douce à la fois. Il l’aimait tant que lors-qu’elle n’était pas à ses côtés, il pensait perdre la raison.
Il sourit. Il sait que seuls quelques pas le séparent désormais d’elle et il se dit que ces quelques pas le ramène à sa jeunesse, à une jeunesse éternelle.
Il lui dit bonjour. Il s’assoit difficilement. Il dit que ça n’est pas très confortable et froid. Il se tait et lui demande de l’excuser en souriant. Il com-mence déjà à râler. Il n’a pas changé depuis leurs vingt ans. Toujours le même malgré le temps pas-sé. Il lui dit que rien n’a changé. Non, rien.
Il n’ose pas la regarder. Il dépose le bouquet. Il lui dit qu’il s’est toujours souvenu que les mar-guerites étaient ses fleurs préférées. Il se souvient, lorsqu’ils se promenaient main dans la main dans ce parc qui leur semblait être leur propriété, qu’elle cueillait toujours quelques marguerites et qu’elle les effeuillaient en lui disant : je t’aime, un peu, beaucoup...
Et lorsque la fleur lui annonçait : pas du tout, elle se mettait à pleurer et se retournait vers lui en lui demandant de lui jurer que jamais rien ne les sé-parerait. Et il jurait. Il lui faisait ce serment avec toute son âme et de tout son cœur...
Mais la vie aime voir s’envoler la candeur dans les cœurs des jeunes gens. La vie a ses plans et se moque de ceux que l’on dessine lorsque l’on est encore qu’un enfant.
Il lui dit que le jour où elle est partie, il n’a pas pu lui en vouloir. Lui qui était de plus en plus sou-vent pris par son travail, lui qui avait de plus en plus de responsabilités et de pouvoir...Comment pouvait-il lui en vouloir de se sentir esseulée et abandonnée ?
Pourtant, lui dit-il, tout ce qu’il s’efforçait de construire à cette époque était pour elle. Il avait tellement peur de ne pas lui offrir la vie qu’elle méritait, il avait tellement peur qu’elle perde, un jour, dans le regard qu’elle posait sur lui ce qui lui donnait l’impression d’exister, d’être un homme exceptionnel.
Il se devait de lui offrir la meilleure des vies sim-plement pour la remercier de faire de lui le meil-leur des hommes.
Il a échoué. Il lui dit qu’il a mis du temps à com-prendre son échec.
Il se tait. Sa gorge est nouée. Un long silence se pose, tel un voile, sur la discussion.
Il reprend et lui dit que ces six années de bonheur passées à ses côtés n’ont jamais pu être regrettées, n’ont jamais pu être remplacées. Plus rien de bon ne leur a succédé.
Il lui explique qu’il ne s’est jamais marié. Que la seule personne avec qui il l’envisageait allait, elle, dire oui à un autre homme.
Il dit qu’il a toujours respecté les choix qu’elle avait pris et que jamais il n’a osé interférer dans sa vie. Peut-être aurait-il dû...Peut-être que s’il s’était battu il ne l’aurait jamais perdue...
Peut-être...
Peut-être...
Tout le long de la vie il se réjouissait, dans l’ombre, des bonheurs qui lui arrivait dans son existence de femme épanouie. Il l’a vue enceinte. Deux fois. Un garçon puis une fille. Comme ils auraient aimé avoir ensemble...
Il l’a vue réussir une belle carrière et devenir une femme respectée. Il a toujours été fier d’elle, tout au long de cette vie passée à se souvenir qu’il lui était pour toujours interdit de lui dire le moindre je t’aime...
Il lui dit qu’il l’a aussi vue lorsqu’elle a perdu son mari. Il a vu toute la tristesse et la peine que cette perte lui procurait...
Il lui raconte maintenant sa vie à lui. Elle est triste et grise. Il n’y a pas grand-chose à dire. Son tra-vail a occupé toute son existence et aura finale-ment été sa seule compagne. Bien sûr, il s’est abandonné dans quelques lits pour quelques nuits, mais jamais il n’a su retrouver le parfum de l’amour qu’il aimait respirait au creux de son cou, dans sa blonde chevelure. Il lui dit qu’aucune femme n’a su la remplacer, même en fermant les yeux, même en voulant tellement l’oublier...Les yeux fermés tout était encore bien pire...Il cares-sait un corps de femme inconnue et ne la voyait qu’elle...
Il ne savait pas mentir et encore moins à lui-même.
Alors il a accepté sa vie de solitaire. Il a été la solitude incarnée.
Il lui dit qu’elle va surement rire, mais les gens ont toujours pensé de lui qu’il était quelqu’un de froid et d’antipathique. Lui qui riait, qui riait de tout lorsqu’ils étaient ensemble, lui qui la prenait par la main dans la rue et l’embarquait dans des valses imaginaires en lui disant à propos du re-gard des passants : on s’en fout, ne pense qu’a nous !
Il lui dit qu’elle est étrange la vie. Elle réussit à rendre durs et froids les hommes les plus tendres et les plus enclins aux sentiments.
Il luit dit qu’il ne l’a jamais oubliée, qu’il n’a jamais cessé de l’aimer. Malgré toutes ces années.
Comment autant d’années ont-elles pu s’écoulées ?
Leurs vingt ans sont passés déjà quatre fois de-vant eux et les voilà seulement réunis. Le voilà devant elle prêt à lui dire une chose qu’il n’a plus dite depuis tellement de temps qu’il ignore si ses dents, si sa langue ou si sa mâchoire vont lui permettre de le dire. Son vieux cœur ignore s’il va soutenir la pression que tout cela lui procure, mais il s’en moque. Il a tant attendu pour le lui dire ne serait-ce qu’une dernière fois.
Au moment où il pose sa main tout près d’elle, un jeune homme, au physique familier, s’excuse de le déranger et lui demande s’il est un ami de sa mère.
Le vieil homme ne lui répond pas tout de suite. Il la regarde une dernière fois et lui chuchote qu’il l’aime, qu’il l’aimera pour le restant de sa vie et que très bientôt ils se retrouveraient pour l’éternité. Il en était persuadé.
Il lui dit au revoir.
Il se retourne ensuite vers cet homme qu’il a vu grandir, mais qu’il ne connaît pas et lui répond qu’en effet il est un très vieil ami de sa maman. Il lui demande de bien vouloir l’aider à se relever car le froid de la pierre a un peu engourdi sa vieil-le carcasse. Le jeune homme lui tend une main forte et puissante tout en lui demandant de bien vouloir lui raconter comment il a rencontré sa mère.
Alors que la fin de cette journée d’automne an-nonce un hiver froid et rigoureux, les deux hom-mes parlent d’un certain lointain passé tout en quittant lentement ce triste cimetière.