Non lieu pour les jupes,
Les bas résille, la dentelle visible.
Impasse obscure
Portes – des maisons – closes
Sombre
... [+]
Un millénaire après la fin de l'Humanité
Comme l'avait prédit Joséphine, le vaisseau finit par s'écraser sur la planète la plus proche.
Le corps de la gynoïde fut éjecté au moment du choc. Elle parvint sans mal à se relever et constata que l'accident n'avait pas endommagé son enveloppe. D'un regard circulaire, elle examina le décor : tout n'était que cendres, ruines et désolation. Les chances de trouver de la fluidence sur cette terre semblaient bien maigres.
Joséphine se rapprocha des débris du vaisseau et appela les autres. Plusieurs de ses congénères avaient la carcasse explosée, aucun n'était opérationnel.
La gynoïde mit la main sur l'ordinateur de bord et le consulta sur la situation.
_ Le Gouvernement devrait songer à doter tous ses sujets du même système anti-explosion pour les missions à venir. Sans cela, vous aussi seriez hors service.
_ Comment puis-je réparer les autres ?
_ Vous ne le pouvez pas, vous ne disposez pas du matériel nécessaire.
_ Puis-je toutefois poursuivre la mission ?
_ Vous n'aurez jamais assez de fluidence pour revenir sur Iméa. Par ailleurs, vos chances d'en trouver ici sont quasi nulles.
_ Où sommes-nous ?
_ Sur Negentem.
_ Parlez-vous de la Planète Morte ?
_ C'est exact. Autrefois, nous l'appelions aussi la Terre.
_ Je vois...
La gynoïde se tut. Elle mesurait la gravité de la situation. Depuis plusieurs mois, sa mission était de parcourir l'univers à la recherche de fluidence. Cette essence représentait le dernier espoir de maintenir la vie artificielle sur Iméa.
_ Quelles sont mes options ? finit-elle par demander.
_ Le tourisme. Explorez cette planète jusqu'à l'épuisement de vos dernières ressources d'énergie.
Joséphine éteignit l'ordinateur de bord. Elle sentait un picotement étrange sous sa carcasse métallique. Une chose désagréable et... humaine. Un sentiment. C'était évidemment impossible, elle conclut alors à un déreglement de son serveur.
Elle se mit à marcher, sans autre but que l'épuisement.
À l'évidence, Negentem méritait bien son surnom de Planète Morte. Pas la moindre touffe d'herbe à l'horizon. Des carcasses d'immeubles partout. Des routes défoncées par les séismes. Des panneaux publicitaires géants troués d'impacts divers.
Negentem : la figure oubliée de l'artifice et de la guerre.
Les heures s'écoulaient et les ressources de Joséphine s'épuisaient lentement.
Bientôt, un monument en ruines attira son attention. Était-ce cela, faire du tourisme ? Se promener sans but précis et se laisser surprendre par l'incongruité et la beauté d'un lieu ?
Joséphine s'avança dans les décombres. Il y avait là des pierres et des matériaux anciens qui dénotaient avec le décor général de Negentem. Elle arriva en haut d'un vaste escalier à double révolution qui descendait vers les entrailles de la terre.
Animée d'un étrange sentiment – est-ce cela, la curiosité ? – elle descendit à la hâte, effrayée à l'idée d'atteindre l'épuisement avant la satisfaction d'une découverte.
Ses espoirs ne furent pas déçus. Plusieurs dizaines de mètres sous terre, Joséphine découvrit une vaste pièce. Si ses connaissances le lui avaient permis, elle aurait pu dire que cet endroit ressemblait à l'intérieur d'un théâtre.
Si le décor la surprenait, les êtres qui l'occupaient la mirent dans un état d'hébétude. Un androïde était assis sur un siège rouge. Sur scène, il y avait un homme dont le corps était relié à une étrange machine.
_ Le sort m'est trop cruel pour devenir si doux, dit l'homme d'une voix grave.
_ C'était mieux !
_ Vraiment ? J'ai accepté le rôle car personne n'en voulait, mais vous savez bien que le tragi-comique n'est pas mon fort...
_ Ne faites pas le modeste, Philéas ! Le fluidencimètre ne ment pas : vous avez été bon ! Appelons les autres pour la générale !
_ La générale ? Déjà ?
_ Ne faites pas l'enfant, Philéas ! Nous répétons le même dialogue depuis des jours. Les autres vont finir par se lasser...
_ Que signifie tout cela ? demanda Joséphine.
Alors seulement Philéas remarqua sa présence à l'autre bout du théâtre. Leurs yeux se rencontrèrent.
_ Ah, enfin ! s'exclama l'androïde en se retournant. Puis, en regardant Joséphine : Mais, qui êtes-vous ? Vous ne faites pas partie de la troupe ? Il me semble qu'on avait trouvé quelqu'un pour jouer le rôle de Rosine...
Joséphine n'obtint aucune réponse, elle n'en donna pas non plus. Elle s'avança d'un pas décidé vers l'homme et l'examina sous toutes les coutures.
_ Si vous venez pour les costumes, c'est un peu tard, ronchonna l'androïde. Veuillez laisser mon acteur en paix !
_ Mademoiselle, implora l'homme en reboutonnant sa chemise, tout cela est extrêmement gênant.
_ Gênant ? demanda Joséphine. Que voulez-vous dire ?
_ Cet individu est un homme ! s'impatienta l'androïde. Et les hommes – certains, du moins – éprouvent de la gêne lorsqu'on les déshabille en public. C'est un sentiment humain.
_ Voulez-vous dire que cet individu est un homme ? demanda-t-elle en se tournant vers l'androïde.
_ Oui, c'en est un ! Allez ! Fichez-le camp ! Les autres vont arriver et nous allons reprendre !
_ Les autres quoi ?
_ Les autres acteurs, sombre idiote !
_ Vous voulez dire qu'il en existe plusieurs comme celui-ci ?
_ Pas au sens où vous l'entendez, balbutia Philéas en essayant de capter de nouveau l'attention de Joséphine.
La remarque de l'homme se perdit dans le brouhaha qui accompagnait l'arrivée des autres acteurs. Il y en avait une douzaine : des femmes et des hommes au teint frais, au cœur palpitant. Ils étaient vivants ! Vivants !
Était-ce un rêve ? Était-ce cela, la mort cérébrale ? Dans quelles abîmes artificielles Joséphine était-elle en train de se perdre ?
_ Allons, ne restez pas plantée là ! Venez vous asseoir !
Joséphine comprit que l'androïde s'adressait à elle. Toujours ébahie, elle accepta l'invitation et vit les acteurs se positionner sur scène et piquer des aiguilles dans leurs bras. Celles-ci étaient reliées à l'étrange machine que Joséphine avait remarquée en entrant.
_ Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle à son voisin.
Mais ce dernier était trop occupé par ses acteurs pour lui accorder la moindre attention.
Philéas fit quelques pas vers elle et lui dit tout bas :
_ Vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ?
_ Exact, je viens d'Iméa. Êtes-vous réellement humains ? Je les croyais tous disparus.
_ L'humanité est une mauvaise graine, on n'en vient pas à bout facilement.
_ Une mauvaise graine ? Je ne comprends pas... dit-elle d'une voix de plus en plus faible.
_ C'est une image. Certains de nous ont survécu, voilà tout.
_ Qu'est-ce que c'est, cette étrange machine ?
_ Le fluidencimètre ? Une invention du Robot. Il prétend que nous dégageons une énergie folle quand nous nous abandonnons à nos loisirs. Il prétend que cela sauvera le monde. Personnellement, je le crois complètement fou !
_ Voulez-vous dire que cette machine mesure la fluidence ?
_ Oui, je crois qu'il a parlé de ça. Vous savez ce que c'est ?
_ Oui, c'est la force vitale des mondes. De l'énergie à l'état brut. Plus puissante que l'électricité mais aussi plus rare. Ainsi, les corps humains produisent de la fluidence... Comment n'y avait-on pas pensé ?
Les paroles de Joséphine étaient de plus en plus lointaines. Philéas avait le sentiment qu'elle allait s'évanouir. Il faisait de son mieux pour capter son attention, la maintenir éveillée.
_ Le Robot prétend que nous sommes précieux. Que nous allons faire revivre la Terre et l'univers tout entier ! Et cela, comment ? Avec de l'art ! Imaginez un peu ! Il nous suffira d'être heureux et créatifs ! De déclamer des vers ! De peindre ! De danser ! Et notre fluidence sauvera le monde ! Ce gars est fou ! Croyez-moi, complètement fou !
Mais Joséphine s'éloignait. Philéas entendait à peine sa voix, il lui semblait qu'elle divaguait :
_ D'autres communautés voudront s'emparer d'une telle puissance. Renaître, c'est aussi attirer l'envie des autres.
Elle finit par perdre connaissance...
Comme l'avait prédit Joséphine, le vaisseau finit par s'écraser sur la planète la plus proche.
Le corps de la gynoïde fut éjecté au moment du choc. Elle parvint sans mal à se relever et constata que l'accident n'avait pas endommagé son enveloppe. D'un regard circulaire, elle examina le décor : tout n'était que cendres, ruines et désolation. Les chances de trouver de la fluidence sur cette terre semblaient bien maigres.
Joséphine se rapprocha des débris du vaisseau et appela les autres. Plusieurs de ses congénères avaient la carcasse explosée, aucun n'était opérationnel.
La gynoïde mit la main sur l'ordinateur de bord et le consulta sur la situation.
_ Le Gouvernement devrait songer à doter tous ses sujets du même système anti-explosion pour les missions à venir. Sans cela, vous aussi seriez hors service.
_ Comment puis-je réparer les autres ?
_ Vous ne le pouvez pas, vous ne disposez pas du matériel nécessaire.
_ Puis-je toutefois poursuivre la mission ?
_ Vous n'aurez jamais assez de fluidence pour revenir sur Iméa. Par ailleurs, vos chances d'en trouver ici sont quasi nulles.
_ Où sommes-nous ?
_ Sur Negentem.
_ Parlez-vous de la Planète Morte ?
_ C'est exact. Autrefois, nous l'appelions aussi la Terre.
_ Je vois...
La gynoïde se tut. Elle mesurait la gravité de la situation. Depuis plusieurs mois, sa mission était de parcourir l'univers à la recherche de fluidence. Cette essence représentait le dernier espoir de maintenir la vie artificielle sur Iméa.
_ Quelles sont mes options ? finit-elle par demander.
_ Le tourisme. Explorez cette planète jusqu'à l'épuisement de vos dernières ressources d'énergie.
Joséphine éteignit l'ordinateur de bord. Elle sentait un picotement étrange sous sa carcasse métallique. Une chose désagréable et... humaine. Un sentiment. C'était évidemment impossible, elle conclut alors à un déreglement de son serveur.
Elle se mit à marcher, sans autre but que l'épuisement.
À l'évidence, Negentem méritait bien son surnom de Planète Morte. Pas la moindre touffe d'herbe à l'horizon. Des carcasses d'immeubles partout. Des routes défoncées par les séismes. Des panneaux publicitaires géants troués d'impacts divers.
Negentem : la figure oubliée de l'artifice et de la guerre.
Les heures s'écoulaient et les ressources de Joséphine s'épuisaient lentement.
Bientôt, un monument en ruines attira son attention. Était-ce cela, faire du tourisme ? Se promener sans but précis et se laisser surprendre par l'incongruité et la beauté d'un lieu ?
Joséphine s'avança dans les décombres. Il y avait là des pierres et des matériaux anciens qui dénotaient avec le décor général de Negentem. Elle arriva en haut d'un vaste escalier à double révolution qui descendait vers les entrailles de la terre.
Animée d'un étrange sentiment – est-ce cela, la curiosité ? – elle descendit à la hâte, effrayée à l'idée d'atteindre l'épuisement avant la satisfaction d'une découverte.
Ses espoirs ne furent pas déçus. Plusieurs dizaines de mètres sous terre, Joséphine découvrit une vaste pièce. Si ses connaissances le lui avaient permis, elle aurait pu dire que cet endroit ressemblait à l'intérieur d'un théâtre.
Si le décor la surprenait, les êtres qui l'occupaient la mirent dans un état d'hébétude. Un androïde était assis sur un siège rouge. Sur scène, il y avait un homme dont le corps était relié à une étrange machine.
_ Le sort m'est trop cruel pour devenir si doux, dit l'homme d'une voix grave.
_ C'était mieux !
_ Vraiment ? J'ai accepté le rôle car personne n'en voulait, mais vous savez bien que le tragi-comique n'est pas mon fort...
_ Ne faites pas le modeste, Philéas ! Le fluidencimètre ne ment pas : vous avez été bon ! Appelons les autres pour la générale !
_ La générale ? Déjà ?
_ Ne faites pas l'enfant, Philéas ! Nous répétons le même dialogue depuis des jours. Les autres vont finir par se lasser...
_ Que signifie tout cela ? demanda Joséphine.
Alors seulement Philéas remarqua sa présence à l'autre bout du théâtre. Leurs yeux se rencontrèrent.
_ Ah, enfin ! s'exclama l'androïde en se retournant. Puis, en regardant Joséphine : Mais, qui êtes-vous ? Vous ne faites pas partie de la troupe ? Il me semble qu'on avait trouvé quelqu'un pour jouer le rôle de Rosine...
Joséphine n'obtint aucune réponse, elle n'en donna pas non plus. Elle s'avança d'un pas décidé vers l'homme et l'examina sous toutes les coutures.
_ Si vous venez pour les costumes, c'est un peu tard, ronchonna l'androïde. Veuillez laisser mon acteur en paix !
_ Mademoiselle, implora l'homme en reboutonnant sa chemise, tout cela est extrêmement gênant.
_ Gênant ? demanda Joséphine. Que voulez-vous dire ?
_ Cet individu est un homme ! s'impatienta l'androïde. Et les hommes – certains, du moins – éprouvent de la gêne lorsqu'on les déshabille en public. C'est un sentiment humain.
_ Voulez-vous dire que cet individu est un homme ? demanda-t-elle en se tournant vers l'androïde.
_ Oui, c'en est un ! Allez ! Fichez-le camp ! Les autres vont arriver et nous allons reprendre !
_ Les autres quoi ?
_ Les autres acteurs, sombre idiote !
_ Vous voulez dire qu'il en existe plusieurs comme celui-ci ?
_ Pas au sens où vous l'entendez, balbutia Philéas en essayant de capter de nouveau l'attention de Joséphine.
La remarque de l'homme se perdit dans le brouhaha qui accompagnait l'arrivée des autres acteurs. Il y en avait une douzaine : des femmes et des hommes au teint frais, au cœur palpitant. Ils étaient vivants ! Vivants !
Était-ce un rêve ? Était-ce cela, la mort cérébrale ? Dans quelles abîmes artificielles Joséphine était-elle en train de se perdre ?
_ Allons, ne restez pas plantée là ! Venez vous asseoir !
Joséphine comprit que l'androïde s'adressait à elle. Toujours ébahie, elle accepta l'invitation et vit les acteurs se positionner sur scène et piquer des aiguilles dans leurs bras. Celles-ci étaient reliées à l'étrange machine que Joséphine avait remarquée en entrant.
_ Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle à son voisin.
Mais ce dernier était trop occupé par ses acteurs pour lui accorder la moindre attention.
Philéas fit quelques pas vers elle et lui dit tout bas :
_ Vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ?
_ Exact, je viens d'Iméa. Êtes-vous réellement humains ? Je les croyais tous disparus.
_ L'humanité est une mauvaise graine, on n'en vient pas à bout facilement.
_ Une mauvaise graine ? Je ne comprends pas... dit-elle d'une voix de plus en plus faible.
_ C'est une image. Certains de nous ont survécu, voilà tout.
_ Qu'est-ce que c'est, cette étrange machine ?
_ Le fluidencimètre ? Une invention du Robot. Il prétend que nous dégageons une énergie folle quand nous nous abandonnons à nos loisirs. Il prétend que cela sauvera le monde. Personnellement, je le crois complètement fou !
_ Voulez-vous dire que cette machine mesure la fluidence ?
_ Oui, je crois qu'il a parlé de ça. Vous savez ce que c'est ?
_ Oui, c'est la force vitale des mondes. De l'énergie à l'état brut. Plus puissante que l'électricité mais aussi plus rare. Ainsi, les corps humains produisent de la fluidence... Comment n'y avait-on pas pensé ?
Les paroles de Joséphine étaient de plus en plus lointaines. Philéas avait le sentiment qu'elle allait s'évanouir. Il faisait de son mieux pour capter son attention, la maintenir éveillée.
_ Le Robot prétend que nous sommes précieux. Que nous allons faire revivre la Terre et l'univers tout entier ! Et cela, comment ? Avec de l'art ! Imaginez un peu ! Il nous suffira d'être heureux et créatifs ! De déclamer des vers ! De peindre ! De danser ! Et notre fluidence sauvera le monde ! Ce gars est fou ! Croyez-moi, complètement fou !
Mais Joséphine s'éloignait. Philéas entendait à peine sa voix, il lui semblait qu'elle divaguait :
_ D'autres communautés voudront s'emparer d'une telle puissance. Renaître, c'est aussi attirer l'envie des autres.
Elle finit par perdre connaissance...