Moi, si différent des autres

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« Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. » Une aliène sortie de nulle part et qui est venue foutre le bordel dans sa vie. Le genre de bordel qui ne passe pas inaperçu. Je suis comme le soulier dans l'évier, les chaussettes sales sur la table basse du salon, on ne peut pas me louper. Mais bon, aussi remarquable que je suis, on ne parle pas de moi. On ne doit pas parler de moi, ça dérange. Moi je suis invisible. Je l'ai toujours été. Les amis de ma mère ne me regardent pas quand ils viennent à la maison, pourtant ils me voient. Je suis le pot de nuit que tout le monde connaît l'existence et dont personne ne veut voir à moins que c'est nécessaire. Moi je ne suis pas à ma place. Je ne sais pas si quelque part dans ce monde, il existe un endroit où je manque. Mais ici ce n'est pas chez moi. Je n'ai pas ma place dans la vie de maman. Je prends de l'espace. Je prends trop d'espace dans sa vie, et je n'en laisse pas assez pour la jeune femme de 30 ans et célibataire qu'elle est. Cette femme fantastique qui a envie de rire, de tomber amoureuse, cette femme qui a envie de vivre. Vous savez à trente ans on a la vie à ses pieds, on commence enfin à vivre. C'est fini les périodes de tâtonnement où l'on faisait des choix hasardeux, les choix qui nous mènent dans des contrées imprévues. On est suffisamment mûre pour ne plus pleurer pour les beaux yeux d'un garçon, parce qu'on sait qu'il en existe d'autres, des tas d'autres. On ne s'inquiète plus si quelqu'un ne félicite pas notre allure parce qu'on se sait belle. On est suffisamment mature pour savoir que la vie c'est ici et maintenant. À 30 ans on croque la vie à pleine dents. J'aime ma mère. Je ne sais pas si c'est réciproque, mais j'aime ma mère; et qu'importe ses sentiments je la comprends. Je ne peux pas la demander de me chérir comme on voit faire les parents à la télé. Je ne suis pas comme les autres enfants. Peut-on aimer des personnes différentes de la même manière? Peut-on aimer des personnes comme moi? Elle ne m'a pas invitée, elle ne m'a pas désirée. Je suis arrivée dans sa vie comme un cheveu sur la soupe. Comme un tremblement de terre, sans avertissement et avec fracas. Je suis arrivée avec tous les maux de sa vie, je suis sa boîte de pandore, tiens c'est peut-être même pour ça que mon deuxième prénom est Pandore. Désolé, Je ne me suis pas présentée, bonjour tout le monde! Je m'appelle Rose Pandore Célestin, j'ai quinze ans. Je suis handicapée. Je ne connais pas mon père et je vis avec ma mère. Cela fait un mois que je fréquente ce groupe de parole. Vous vous demandez sûrement ce que je fais ici... Quand je suis née maman avait le même âge que moi. Je n'étais pas voulu, je l'entends parfois dire ça à son copain au téléphone en pleurant dans sa chambre. Elle ne connait même pas mon père, elle dit souvent que si elle la connaissait elle lui ferait payer... C'était un été, elle était en vacances avec ses parents à Jacmel. Ce soir-là, elle a filé en rejoind ses amis à une fête qu'on organisait dans un bar du quartier. Belle, insouciante, elle ne se souciait de rien dans la vie, et a abusé un peu de l'alcool ce soir-là. Elle rentrait à pied avec sa copine Sandra, et chantait encore la musique du troubadour, quand elle les a vus. Trois hommes, debout au milieu de la route et qui la regardaient. Elle pouvait deviner leurs intentions malgré la distance qui la séparait d'eux. Son instinct lui dit de courir. Mais ses jambes, alourdies sous l'effet de l'alcool, ne l'aident guère. Sa voix, trop frêle pour alerter le voisinage. Abandonnée par son amie, elle fut plaquée au sol. Et pendant un moment qui dura une éternité, elle fut saccagée tour à tour par trois vautours, puant l'éthanol et la sueur. Lorsqu'elle regagna sa maison en titubant, elle savait qu'elle n'en parlerait à personne. Elle s'est juré que la nuit emporterait cette mésaventure et que demain serait un autre jour. Elle en avait trop honte pour en parler. Ce qu'elle ignorait par contre, c'est qu'elle allait avoir constamment le reflet de cette nuit devant elle.
Il était trop tard quand elle a appris qu'elle était enceinte de moi, dit-elle. Alors elle est partie, pour étouffer l'affaire. Elle revient six mois plus tard avec une batârde atteinte d'une anomalie des membres inférieurs. La honte. Il fallait me cacher, me dissimuler pour me mettre à l'abri des regards inquisiteurs de leurs amis du quartier. On ne pouvait pas se permettre de salir l'honneur de la famille. Alors mon sort était jeté. Je relevais de l'interdit, du profane, mon nom ne devrait être cité devant des étrangers ou des amis de la famille. Ainsi, j'ai grandi dans l'ombre de l'honneur de ma famille. En étant l'ultime fardeau de ma mère, un fardeau trop lourd pour ses épaules.
Elle ne me parle jamais de ses sentiments à mon égard. Et les rares fois où j'arrive à lire quelque chose dans ses yeux, je ne vois que de la colère, la culpabilité, le dégoût et l'épuisement. Je doute qu'il y ait un peu d'amour. Mais je m'accroche à l'idée que quelque part en elle, existe un petit peu pour moi. Mais c'est compliqué de le déceler. C'est compliqué, car c'est comme un mélange de tous les sentiments refoulés de sa vie. Toutes les occasions ratées, les sorties entres amis qu'elle a dû quitter pour me garder, les années de sa jeunesse dont elle n'a pas pu profiter. Il y a tout ça dans son regard.

Je ne lui en veux pas pour les fois où elle pète les plombs. Je me souviens de cette soirée avec J. Son petit copain qu'elle a dû annuler pour me garder. Le problème c'est que je ne suis pas habituée aux étrangers. Et depuis la mort de mes grands-parents, c'est à elle de tout gérer. Je ne connaissait pas la baby-sitter, j'ai paniqué, et je n'ai pas arrêté de la réclamer. Fatiguée de tous les appels, elle est rentrée furieuse de cet énième rendez-vous raté. Ce soir-là j'ai su ce qu'était la rage, elle a tout déversé sur moi. Tous ces secrets, tous ces mensonges qu'elle doit garder autour d'elle. Et quand elle a dit que je suis la source de tous ses problèmes, je l'ai comprise ou quand elle m'a demandé de crever pour qu'elle puisse enfin vivre sa vie, je n'en lui ai pas voulu. J'ai compris également lorsqu'un peu plus tard je l'ai entendu dans sa chambre s'effondrer en larmes. Je suis très compréhensive, je la comprends très bien ma maman. Et je sais que je n'ai rien à foutre dans sa vie. Elle n'arrive plus à me cacher. Et je sais qu'elle en a marre des regards accusateurs et des interrogatoires, à chaque fois que quelqu'un me voit. J'ai longtemps rêvé de quitter la maison, pour lui rendre sa liberté. Pour qu'elle puisse rattraper les quinze ans que je lui ai pris. Mais pour aller où. Vous connaissez un endroit dans ce pays où des personnes comme moi peuvent vivre bien ??

Moi je suis un cancer, de ceux qui ne guérissent pas et qui vous minent à l'intérieur jusqu'à avoir votre peau. On ne se débarrasse pas des gens comme moi. Grand père avait raison, un jour je l'ai entendu dire:" cette enfant est un tracas, et dire qu'on doit la supporter jusqu'à la fin de nos jours. Elle ne partira jamais. Quel homme voudra d'une pauvre femme en fauteuil roulant pour épouse ??? On a dû faire quelque chose de bien grave, à Dieu pour qu'il ose nous faire ça... Je suis différente, je sais. Mais je ne l'ai pas choisi ma différence. J'aimerais tellement que maman retrouve son sourire, qu'elle profite de sa vie... Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte tout ça...Cette rencontre va prendre fin. Et je serai toujours un embarras pour ma mère. Mais je voudrais arrêter d'être ce bon à rien, Ce casse-pieds qui lui empêche de vivre. Je voudrais être moi-même, être quelqu'un. Quelqu'un qui a sa place, je ne veux plus résumer mon monde à ma petite chambre. Je veux vivre, et ce n'est qu'ainsi que maman pourra retrouver sa liberté.
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