Je l'avais emmenée partout. À la mer beaucoup. Au septième ciel surtout. Et puis, un mardi, elle est partie. Pourquoi un mardi ? C'est juste que je m'en souviens. J'ai oublié les autres ... [+]
Ils se sont connus dans un bar sur la nationale 12. Un bar routier. C'était fin octobre. Il s'appelle Nestor. Elle s'appelle Hildegarde.
Quand ils ont parlé de leur rencontre, les copains de l'un ont dit : « Hildegarde, c'est pas possible. Où t'es allé la chercher ? » Les copines de l'autre ont dit : « Nestor, c'est une blague, qu'est-ce que tu vas faire d'un Nestor ? » En fait elle l'a épousé, ou presque.
Fin novembre, alors qu'elle lui expliquait comment réussir une bonne galette avec une frangipane inratable, il a dit : « Et si on se mariait ? » Comme elle rêvait de porter une robe de princesse et des escarpins, ça tombait bien. Et puis on ne lui avait jamais fait une telle proposition. Ça l'avait flattée.
« Oh oui, oui, oui ! » Elle sautillait sur sa chaise comme une fillette qu'on va emmener au manège :
— Mon Nestor, tu vas voir toutes les bonnes tartes que je vais te préparer.
— OK, a répondu Nestor, placidement, je vais m'en occuper.
Aujourd'hui, les cravates, les nœuds pap et les dentelles sont de sortie sous les anoraks des petits. Des menottes emmitouflées jouent aux marionnettes et des joues rouges s'enflamment sous de gros bonnets.
Il y a des chapeaux à grand bord, à petit bord, et sans bord du tout. Des talons parfois aiguilles, des robes décolletées sous quelques manteaux de fourrure, et des châles. Beaucoup de châles. On devine des costumes trois-pièces sous les parkas.
Ça sent mauvais la naphtaline et le Chanel. Les parfums se mélangent dans un solennel écœurement. C'est qu'on est contents d'aller au mariage de Nestor et Hildegarde même s'il n'y a plus de chauffage à la mairie depuis la grève du personnel communal. On est beaux, on va danser, boire à la santé des mariés, et boire surtout.
Les parents de l'un disent : « C'est pas une beauté la promise, mais y'a pas qu'ça dans la vie. » Ils veulent des petits enfants. Ils sont heureux.
Les parents de l'autre se réjouissent parce qu'il était temps que « leur » Hildegarde pas finaude ni canon soit épousée sinon elle allait leur rester sur les bras et leur faire la vieille fille. Ils sont fiers. Ou presque.
On se mouche bruyamment dans la salle et ce n'est pas parce qu'il s'y passe des choses émouvantes. C'est la saison des rhinites, des bronchites et des sinusites. À cause des odeurs, les allergies participent à la fête dans un cortège d'éternuements.
On renifle, on tousse, on crache. Y'a d'la joie aussi. Celle de ceux qui sont passés au vin d'honneur avant la cérémonie. Le bistrot est juste en face de la mairie et à côté de l'église. Église où on n'ira pas, d'ailleurs.
Le silence s'invite tout à coup parce que le maire rouspète : « On n'est pas à la corrida ici ! » Même s'il pense secrètement que le mariage en est une.
On écoute fort alors on entend bien le gargouillis d'Hildegarde qui dit « oui ». On rit.
On écoute encore et un temps de cathédrale s'abat sur la salle et dans les os comme un grand froid de Sibérie qui prend les tripes. Nestor a clamé un « non » retentissant. On ne rit plus.
Les yeux exorbités, les parents n'arrivent plus à refermer la bouche : tout ça pour du flan. Il a quoi la girouette ? Le béguin d'une autre ?
Hildegarde pleure dans sa robe coquille d'œuf. Les blanches étaient trop chères, les coquille d'œuf en promo et sympas. Ou presque.
Les invités remontent dans les voitures. Dans les voitures, les enfants des invités disent : « Pourquoi on repart, je voulais un ballon et des bonbons. » Les parents répondent : « Ferme-la sinon on t'en colle une. »
On va devoir remballer les petits fours et la pièce montée, et les cadeaux, et les habits dans leurs cartons.
Nestor dit : « En vrai, ça m'faisait peur le mariage et puis on s'connaissait pas assez. »
Elle se dit : « Au moins il me reste la robe et les chaussures. »
Quand ils ont parlé de leur rencontre, les copains de l'un ont dit : « Hildegarde, c'est pas possible. Où t'es allé la chercher ? » Les copines de l'autre ont dit : « Nestor, c'est une blague, qu'est-ce que tu vas faire d'un Nestor ? » En fait elle l'a épousé, ou presque.
Fin novembre, alors qu'elle lui expliquait comment réussir une bonne galette avec une frangipane inratable, il a dit : « Et si on se mariait ? » Comme elle rêvait de porter une robe de princesse et des escarpins, ça tombait bien. Et puis on ne lui avait jamais fait une telle proposition. Ça l'avait flattée.
« Oh oui, oui, oui ! » Elle sautillait sur sa chaise comme une fillette qu'on va emmener au manège :
— Mon Nestor, tu vas voir toutes les bonnes tartes que je vais te préparer.
— OK, a répondu Nestor, placidement, je vais m'en occuper.
Aujourd'hui, les cravates, les nœuds pap et les dentelles sont de sortie sous les anoraks des petits. Des menottes emmitouflées jouent aux marionnettes et des joues rouges s'enflamment sous de gros bonnets.
Il y a des chapeaux à grand bord, à petit bord, et sans bord du tout. Des talons parfois aiguilles, des robes décolletées sous quelques manteaux de fourrure, et des châles. Beaucoup de châles. On devine des costumes trois-pièces sous les parkas.
Ça sent mauvais la naphtaline et le Chanel. Les parfums se mélangent dans un solennel écœurement. C'est qu'on est contents d'aller au mariage de Nestor et Hildegarde même s'il n'y a plus de chauffage à la mairie depuis la grève du personnel communal. On est beaux, on va danser, boire à la santé des mariés, et boire surtout.
Les parents de l'un disent : « C'est pas une beauté la promise, mais y'a pas qu'ça dans la vie. » Ils veulent des petits enfants. Ils sont heureux.
Les parents de l'autre se réjouissent parce qu'il était temps que « leur » Hildegarde pas finaude ni canon soit épousée sinon elle allait leur rester sur les bras et leur faire la vieille fille. Ils sont fiers. Ou presque.
On se mouche bruyamment dans la salle et ce n'est pas parce qu'il s'y passe des choses émouvantes. C'est la saison des rhinites, des bronchites et des sinusites. À cause des odeurs, les allergies participent à la fête dans un cortège d'éternuements.
On renifle, on tousse, on crache. Y'a d'la joie aussi. Celle de ceux qui sont passés au vin d'honneur avant la cérémonie. Le bistrot est juste en face de la mairie et à côté de l'église. Église où on n'ira pas, d'ailleurs.
Le silence s'invite tout à coup parce que le maire rouspète : « On n'est pas à la corrida ici ! » Même s'il pense secrètement que le mariage en est une.
On écoute fort alors on entend bien le gargouillis d'Hildegarde qui dit « oui ». On rit.
On écoute encore et un temps de cathédrale s'abat sur la salle et dans les os comme un grand froid de Sibérie qui prend les tripes. Nestor a clamé un « non » retentissant. On ne rit plus.
Les yeux exorbités, les parents n'arrivent plus à refermer la bouche : tout ça pour du flan. Il a quoi la girouette ? Le béguin d'une autre ?
Hildegarde pleure dans sa robe coquille d'œuf. Les blanches étaient trop chères, les coquille d'œuf en promo et sympas. Ou presque.
Les invités remontent dans les voitures. Dans les voitures, les enfants des invités disent : « Pourquoi on repart, je voulais un ballon et des bonbons. » Les parents répondent : « Ferme-la sinon on t'en colle une. »
On va devoir remballer les petits fours et la pièce montée, et les cadeaux, et les habits dans leurs cartons.
Nestor dit : « En vrai, ça m'faisait peur le mariage et puis on s'connaissait pas assez. »
Elle se dit : « Au moins il me reste la robe et les chaussures. »