Mapendo, une histoire faite d'Amour et de viol

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle-ci est faite de tragédie, de drame, de joie mais surtout d’amour, le seul domaine en ce plein vingt et unième siècle qui reste encore sous-développé.
C’est l’histoire d’un couple, d’un mariage africain, congolais pour être plus précis au contexte très ambigu, aux réactions familiales très complexes et variées. C’est à l’Est de la RDC, dans la province du Nord-Kivu dans le territoire de Rutshuru et plus précisément dans le village de Kiwanza , que se déroule cette histoire faite d’un peu de tout, un mélange des sentiments, une histoire traditionnelle des noms qui prédisent le destin de leurs porteurs, une histoire faite d’Amour et de viol. Mr Bahati Mbaya Masikini, noms swahili qui signifient « porte-malheur et pauvreté », se marie à Furaha ce qui signifie «  joie », mariage souhaité, voulu et autorisé par les deux familles après que la dot ait été régulièrement versée, et ce, selon les coutumes locales car la moindre recommandation de la dot mise de côté ou oubliée peut engendrer un malheur sans fin dans la vie d’un couple jusqu’à ce qu’il honore toutes les recommandations faites par la famille de la femme, future épouse, à celle de son mari.
Ce fut un couple heureux et plein d’amour, Bahati Mbaya Masikini et Furaha allaient au champ ensemble et au chemin de retour, ils avaient un grand succès auprès des autres villageois qui préféraient acheter les feuilles de manioc de leur champ plutôt que celles des autres. Mais surtout parce qu’ils étaient sobres de comportement sans ignorer la grande beauté physique de Furaha et la robustesse que dégageait son mari. Ils vont peu à peu devenir la rusée de tout le village car après 5 ans de mariage et de cohabitation, ils n’ont toujours pas d’enfant ! Des quolibets venaient de partout, dans tous les coins et recoins du village se racontait la même histoire, certains se sont montré solidaires face à cette situation qu’ils traversaient en disant pourquoi Dieu a-t-il permis une telle chose à un aussi joli couple ? D’autres par contre s’en moquaient, ils riaient aux éclats disant « uko kavu » ce qui signifie qu’elle est stérile.
Dès lors, ils avaient du mal à se rendre au champ au risque d’être sujets et victimes des moqueries, des insultes, des injures de tout genre de la part des villageois et malgré toutes ces péripéties ils sont restés un couple croyant et enraciné dans la prière. Furaha côtoyait au quotidien la grotte de la sainte vierge à l’église sainte Elisabeth pendant que son mari s’efforçait d’aller au champ et un fait qui saute facilement aux yeux ce que leurs feuilles de manioc avaient perdu du succès auprès des villageois alors que Bahati Mbaya Masikini s’entêtait de vendre et se contentait de ce qu’il gagnait.
La famille de Bahati Mbaya Masikini en avait marre, comme toujours en Afrique quand un couple n’arrive à avoir d’enfant c’est à la femme que revient la faute et sans voir un médecin le résultat est claire ce que la femme est stérile, elle convoque une réunion des deux familles autour de leurs deux enfants qui n’ont toujours pas d’enfant après 5 ans de mariage. Le chef de la famille, le père de Masikini prend la parole et dit « nous avons honoré dans les moindres détails vos recommandations de la dot nous faites », pourquoi faites-vous souffrir votre fille ainsi que notre garçon qui vous a suffisamment honoré ?
L’oncle de Furaha rétorque, un véritable traditionnel attaché aux coutumes, au détriment du père de Furaha pour dire « je n’étais pas au village à cette époque-là sinon je n’allais autoriser cette union car votre fils est la source de tous ces maux, Bahati Mbaya Masikini qui signifie malheur, pauvreté ne pouvait se marier à notre fille Furaha pour dire joie dans la mesure où selon la tradition « le malheur ne peut cohabiter d’avec la joie ». C’est donc de lui que vient le problème et cette union doit s’arrêter aujourd’hui même, elle doit s’arrêter et maintenant réagit la famille de l’homme, notre dot doit être remboursée dans son entièreté car votre fille est bonne à rien.
Les deux familles remontées, fâchées en s’échangeant des injures, des insultes jusqu’à ce que Bahati Mbaya Masikini s’écria d’une voix forte « atsa ! » pour dire arrêtez ! Les deux tours taureaux étaient très amoureux l’un de l’autre plus que Romeo et Juliet n’en déplaise à Shakespeare, ils vont renvoyer les deux familles leurs disant « seul Dieu est maitre de notre destin, vous êtes nos parents mais vous n’avez pas droit de vie et de mort sur nous, nous aurons des enfants et n’allons pas nous séparer ». Chose qui fâche l’oncle de Furaha « c’est un manquement grave selon nos coutumes et vous en payerez les conséquences à moins que je ne sois pas ton oncle Furaha ! » a-t-il lancé en laissant derrière lui la poussière de ses chaussures.
Plus les années passaient, plus Bahati Mbaya Masikini et Furaha n’avaient toujours pas d’enfant et commençaient à se demander ne faut-il pas se séparer ? Dieu nous a-t-il oubliés ? Pourquoi cela nous arrive-t-il ? Le doute s’installait peu à peu et c’est seulement à leur quinzième année de mariage que Furaha va tomber enceinte contre attente, contre vents et marées, peines et difficultés, contre injures et insultes de tout un village, Bahati Mbaya Masikini et Furaha ont un enfant, une fille au désarroi de l’oncle fétichiste, oiseau de mauvais augure, une grossesse difficile vécue en catimini avec pleine de complications, Furaha met finalement au monde dix mois et deux semaines après être mise enceinte par son mari.
Et voilà Bahati Mbaya Masikini, qui magno clamore, exprime sa joie : « qui vous a dit que nos noms déterminaient notre destin, où sont passés tous ceux qui moquaient de ma femme ? N’a-t-elle mis au monde ? Dieu ne nous est-il venu en aide ? Les deux familles réconciliées enfin à l’exception de l’oncle de Furaha Wa Mambo mambo, nom swahili qui signifie « problématique », c’était alors la grande fête dans tout le village de Kiwanza on dansait, on buvait et on criait de joie pour ce couple qui a tant souffert. Bahati Mbaya Masikini et sa femme Furaha doivent donner un nom à cette petite fille qui vient de voir le jour, un moment important de leur vie et de la vie de leur enfant, fruit de leur persévérance, de leur obstination et de leur Amour surtout.
Elle s’appelait Mapendo, nom swahili qui signifie Amour, une petite fille qui va grandir aux côtés d’une mère aimante et d’un père présent pour la croissance de ce petit ange innocent et plein d’amour candide. Une petite fille qui est le thermomètre représentant l’équilibre et la tranquillité des deux familles qui n’arrivaient plus à se supporter et d’un homme et d’une femme en qui le doute commençait à gagner du terrain. Mapendo était non seulement très intelligente mais aussi la plus belle de tout le village, elle était dès lors devenue le sujet de tous les débats dans le village et ses parents avaient repris leur place de choix dans le cœur des villageois. Elle va être inscrite par ses parents à l’école des sœurs pour une meilleure éducation et à ses quinze ans alors que ses parents devenaient vieux, sur le chemin du retour de l’école chantant chemin faisant « qu’il est grand l’amour de Dieu, qu’il est beau l’amour de Dieu », elle se fait violer par les rebelles Mai-Mai qui venaient d’assiéger tout son village et dès lors elle pouvait alors entendre des coups de feu retentissant, des cris des autres filles violées et tuées sur place et soudain une grande obscurité planait devant elle, elle n’avait plus de force et avait perdu connaissance.
Ses parents se sont lancé à sa recherche jusqu’à se confronter aux rebelles Mai-Mai et seront tués à coups de balles refusant de regagner leur domicile sans leur petite fille adorée, fruit de tant d’efforts, d’autant d’amours jusqu’à braver les limites de l’impossible prédit par l’oncle de Furaha, lui-même victime des atrocités des rebelles et tué à coups des machettes.
Trois heures plus tard, les militaires congolais vont repousser les rebelles Mai-Mai ainsi récupérer des mains des maitres tout le territoire de Rutshuru, les éléments de la Croix-Rouge internationale s’invitent pour transporter les cadavres, pour qui le gouvernement envisage une fosse commune, ainsi que les blessés à l’hôpital de référence de Rutshuru qui se trouve à Kiwanza pour les maintenir à la vie si possible. Parmi les blessés graves figure Mapendo, fille de Bahati Mbaya Masikini et de Furaha tués tous deux par les rebelles Mai-Mai, chanceuse parce qu’elle est restée en vie et parce qu’elle va bénéficier des traitements d’un spécialiste le Dr Denis Mukwege, réparateur des femmes, des vagins, qui plus tard, deviendra prix Nobel de la paix. Mapendo aura une nouvelle chance de reprendre le cours de sa vie dans un contexte tout à fait différent de celui d’avant. Pour beaucoup, la seule intervention du Dr Mukwege suffisait or l’esprit de Mapendo était hanté par les anciens souvenirs de cet acte odieux, monstrueux et il est vrai que depuis un temps le monde a perdu toute humanité, elle suivra aussi un traitement psychanalytique afin de surmonter ses troubles psychosomatiques, pour surmonter tous ses remords, pour effacer toutes ces scènes atroces de viol, même si cela fera toujours partie de sa vie, et la confirmation de la nouvelle de la mort de ses parents par les révérendes sœurs de son ancienne école.
Elle reprendra ses études à dix-sept ans grâce à l’ONG « Fvv : Fille et Femme victimes de viol » financée par l’Unesco, qui s’occupe des filles et femmes violées et obtient son diplôme d’Etat à vingt ans. L’ONG va décider de financer ses études universitaires de droit à Kinshasa dans l’université de référence de la ville (unikin : université de Kinshasa), elle deviendra avocat-conseil de cette ONG cinq ans après avoir terminé ses études de droit. Mariée à un médecin la même année de son obtention du diplôme de licence, elle devient mère de trois enfants à vingt-neuf ans et milite contre ces atrocités des rebelles et mène un combat contre la guerre à l’Est du pays.
Lors d’une conférence organisée par l’ONG Fvv avec l’appui de l’Unesco autour du thème « zéro viol, zéro maladie et zéro décès » qui a réuni non seulement les filles et femmes victimes de viol mais aussi celles qui en ont seulement entendu parler et Mapendo comme oratrice principale expose en quelques phrases : Le viol dont nous faisons allusion aujourd’hui ne concerne pas seulement les filles et femmes victimes de viol durant et pendant la guerre mais tous cas de viol tel qu’énumérés par la législation nationale en vigueur. En effet, nous vivons aujourd’hui dans un siècle où la science et la technologie ont atteint leur paroxysme, que des gras de ciel, des maisons géantes, des voitures de tout genre, des routes gigantesques voire numériques bref tous les domaines de la vie actuelle sont développés ou presque, seul l’Amour sinon l’Amour de l’autre reste le domaine sous-développé auquel les investisseurs refusent de mettre des moyens importants afin de le développer ce qui justifie tous ces actes barbares de viol, lance Mapendo.
Elle renchérit, l’homme doit considérer l’autre comme son semblable quelques soient ses origines afin de l’aimer tel quel, moi je suis victime de viol et du manque d’amour de l’autre c’est pourquoi je vous ai aussi contée ma touchante histoire telle que me l’a rapportée ma tante « hadisi », nom swahili qui signifie histoire. C’est pourquoi je compte ne plus voir des victimes de viol dans toute l’étendue de la RDC avec l’aide de chacun ici présent, celui du gouvernement et des organismes internationaux axés sur ce domaine et surtout l’éducation des victimes. Si mon histoire est faite d’Amour et de viol, je souhaite que la vôtre soit faite d’Amour, seulement d’Amour et que d’Amour à tout point de vue car ces viols provoquent des maladies et d’autres en sortent meurtries. Puissions-nous réunir pour mettre fin à ces tristes réalités qui font des victimes chaque jour et provoquent des troubles psychosomatiques parfois à caractère indélébile, ne restons pas inertes bougeons-nous et changeons les choses, vous et moi ensemble nous pouvons mettre fin à tout ça.
C’est pourquoi j’en appelle au sens élevé d’altruisme de chacun de nous ici présent pour faire de la thématique d’aujourd’hui notre quotidien, notre mode de vie plutôt qu’un simple slogan « zéro viol, zéro maladie et zéro décès » et mon intervention prend fin par ces deux citations : D’abord Albert Einstein qui dit « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui regardent sans rien faire » ; ensuite Martin Luther King qui dit « ce qui m’effraie ce n’est pas l’oppression des méchants mais l’indifférence des bons ». Il nous arrive de vivre avec des filles victimes de viol et nous connaissons les auteurs de ces atrocités sans les dénoncer, nous préférons restés indifférents sous prétexte qu’on a peur, Non ! Non ! Et non ! Dénonçons tel un seul homme de tels actes pour sauver des vies. Merci.