Ma vie quotidienne à la campagne

Toute histoire commence un jour, quelque part par une inspiration ou par une forte envie de partager un fait qui relève de la réalité ou de l’imaginaire. Ainsi, ce fut un vingt-et-un Mai, alors que le soleil venait tout juste au zénith, je courus lentement et à pas sûrs à l’ombre d’un vieux arbre qui s’imposait au chœur de notre champ de coton. Bien que à vue d’œil on pouvait se rendre compte approximativement de son âge trop avancé, il était assez ombragé pour me protéger des rayons solaires et ensuite m’offrir un léger zéphyr qui s’alternait aux vas-et viens de ses branches. Bref je ne pouvais pas demander plus qu’une ventilation naturelle accompagnée de mélodies des alouettes, des pies et même au loin je pouvais entendre les gazouillements des perdrix des champs et les ruissellements de cette rivière qui bordait notre champ, c’était l’arbre de notre champ. Majestueux qu’il était, je m’amusais souvent à l’attribuer le nom de : « alpha des champs ». Pendant que je m’abritais à l’ombre du vieil octogénaire ma mère et mes deux petites sœurs s’activaient autour d’un feu de bois à nous préparer un petit repas. Au même moment à quelque part dans la prairie je pouvais apercevoir près du bétail mes deux jeunes frères acharnés au dressage de notre cheval qui nous servait de monture au pâturage. Mon père de son côté était occupé à graver sur un bois l’image des membres de notre famille qu’à vue d’œil chacun d’entre nous pouvait d’ailleurs se reconnaître sans le moindre effort. Pour lui, avant d’être un art, la xylographie était l’unique moyen de s’exprimer sans pour autant faire le moindre bruit. Seul l’on pouvait entendre de légers coups de marteau sur son burin. C’était l’arme idéale de réclamer sans être opprimé et parfois même de dénoncer sans avoir à faire recours à la protection de qui que ce soit. Il était tellement adroit qu’à chaque coup de marteau il obtenait l’image préconçue dans sa petite tête. À chaque fois qu’il jetait un regard au champ de coton, je pouvais observer un léger sourire sur son visage. La culture du coton n’était pas un truc nouveau pour lui. Il pouvait alors deviner la qualité des récoltes juste en observant l’épaisseur des tiges de coton et surtout la couleur des feuilles. Bien évidemment je pouvais moi aussi me rendre compte qu’elles étaient de couleur verte, ce qui caractérisait l’abondance de la chlorophylle. C’était une preuve assez probante pour dire que les cotonniers étaient bien vivants et à voir le sourire qui émanait chaque fois de ses yeux quand il les observait, je ne pouvais pas dire le contraire, la récolte s’annonçait bonne. D’un air amusant il avait cette habitude de nous faire savoir que pour lui un champ de coton était l’équivalent d’une mine d’or. Pour lui c’était de l’or blanc. Quant à mère de son côté, elle n’avait d’yeux que pour son jardin potager. Dans ce dernier l’on pouvait rencontrer toutes sortes de légumes. Elle préconisait une alimentation saine, riche en légumes et surtout naturelle. Pour elle, jeunes étalons plein d’avenir que nous étions, elle se plaisait à se faire passer pour notre assistante d’hygiène sanitaire et alimentaire. Afin que nous puissions assurer la relève de notre père et les prendre en charge dans leur vieillesse. Les soirs au retour du champ, Chacun avait sa part dans la gestion des tâches domestiques. Pendant que ma mère et mes deux jeunes sœurs préparaient le repas du soir, au loin je pouvais d’ailleurs entendre l’odeur de la pâte du mil. Mes deux jeunes frères se chargeaient de faire rentrer les volailles et moi de mon côté je m’étais acharné à remplir les deux jarres pendant que mon père autre abreuvait les bêtes pour la dernière fois. Après les tâches, nous nous retrouvions tous autour du repas. D’un côté tous assis sur des peaux de bêtes autour du repas, pendant quelques minutes nous observions un silence en signe du respect et de la gratitude à l’égard de nos aïeux pendant que mon père remerciait les divinités ancestrales pour le repas et implorait leur bénédiction sur toute la famille et tous nos biens. Quand bien que pour moi nous étions déjà une famille suffisamment bénie, cela n’empêchait pas à mon père autre de reprendre les mêmes formules qu’il récitait d’ailleurs avec tant d’aisance et de dévotion. Bref pour lui c’était devenu un hymne ancestral qu’il devait chanter chaque fois au début d’un repas et avant que nous n’allions tous au lit. Comme de coutume, il était de son devoir de goûter au repas avant tout le monde, et ensuite donner son appréciation et son invitation avant que nous fassions autant. Pour mon père, ma mère était la cuisinière parfaite, elle était d’ailleurs une référence dans la matière pour les jeunes femmes du village. Et parfois dans la soirée, je pouvais entendre retentir son nom, Maimouna à l’autre côté du mur lui demandant comment prépare-t-on telle sauce ou tel repas. Sa spécialité était la sauce faite à partir des feuilles de l’oseille. Une plante potagère qu’il fallait au préalable décanter à cause de sa teneur en acide avant d’y ajouter au bouillon d’arachides. Ce qu’elle semblait faire sans le moindre effort n’en était pas le cas pour les autres. Après le repas nous nous réunissions autour d’un feu de bois rebelle pour les contes et légendes. De tout cela, mon père avait un grand faible pour l’épopée mandingue. Il avait l’habitude de relater l’histoire comme s’il avait fait partie de la cour royale. Il était tellement doué dans les contes que parfois nous nous y fondions tous en oubliant le temps passé. Bref il était capable de nous faire vivre à peu près les moindres détails de l’histoire. Mon père non seulement était l’un des meilleurs cultivateurs du village mais aussi un grand conteur.IL n’avait pas seulement l’art au bout des doigts, il l’en avait jusqu’au bout de la langue. Il avait de l’éloquence dans sa façon de s’exprimer. Cette dernière qualité était d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle je l’adulais tant. Très souvent les soirs où nous avions des contes, il nous arrivait d’aller au lit à minuit et être sur la route du champ aux premiers chants des coqs. C’était devenu une habitude pour nous. On pouvait entendre depuis les grands arbres ululer certains oiseaux nocturnes, les chauves-souris, les chouettes blanches et mêmes les hiboux qu’on pouvait aisément identifier chacun à partir de leurs cris. C’était la preuve que nous devrions céder de la place aux noctambules. Selon nos coutumes, et nos traditions la nuit n’était pas réservée seulement au monde des vivants mais aussi aux esprits quelle que soit leur nature. Alors on se levait chacun à tour de rôle pour faire quelques part vers notre père avant de s’agenouiller en face de lui en signe de respect afin qu’il nous accorde sa bénédiction pour la nuit. Je pouvais l’entendre prononcer d’une voix légère et adoucie cette longue phrase : Descendant de la lignée de Nandoga, petit-fils de Bomboma et fils de Podjingue, que les ancêtres veillent sur ton sommeil. Et chacun après avoir reçu sa part de bénédiction se dirigeait vers sa chambre. Nos chambres étaient des cases rondes faites en terre rouge battue et pétrie au-dessus desquelles on pouvait voir un toit en chaumes recouverts de pailles au sommet duquel apparaissait une petite marmite renversée. À l’intérieur de chaque chambre se trouvait (aient) un ou deux lits surmonté(s) d’une natte en osiers tressé et d’un long oreiller fait en sac rempli de coton ou parfois même du kapok. Nous étions tous comblés de bonheur. Après à peine deux ou trois heures de sommeil, l’on entendait déjà nos alarmes naturelles qui à la différence de celles de la technologie qu’on ne pouvait pas éteindre. C’étaient les chants des coqs. Nous étions à l’aube bien que l’obscurité battait toujours son plein. Nous réchauffions prestement les restes du repas d’hier soir que nous ingurgitions avant de regagner la route pour le champ. Comme prévu, aujourd’hui nous allons consacrer toute la journée à la décontamination des plantes. Et pour insecticide, nous avions récolté de l’urine des animaux que nous avions diluée légèrement avec de l’eau et de la bouse du bétail préalablement préparée. Afin d’atténuer son acidité qui selon nous pouvait porter atteinte aux plantes. Nous avions l’habitude de faire deux heures de route de notre maison au champ de coton. Une fois arrivés et sans trop perdre du temps nous nous activions à débarrasser les plantes des parasites. Aussitôt emportés par le travail, mon père entonna une chanson que nous chantions tous allègrement afin de ne pas trop s’ennuyer et oublier cette vaste étendue de cultures qui n’attendaient plus que leur tour pour se sauver de l’emprise de leurs parasites. Au retour de la pause, il ne nous restait plus qu’une petite parcelle pour arriver à la fin. Chose que nous reprenions d’ailleurs avec joie. La journée a été longue et fatigante pour nous tous sauf nos parent qui autres semblaient tenir encore droits sur leurs jambes. L’essentiel était qu’on avait fini et nous n’attendions plus que le mot d’ordre de nos parents pour enfin regagner la route pour la maison. Demain jeudi, c’est le jour du marché du Pont noir. Nous avions tous hâte de nous rendre à la maison pour préparer nos marchandises. Pour nous, chaque jour du marché était le meilleur moment de distraction de tout genre. Et puisque notre village était un véritable melting-pot, on pouvait voir une diversité de danses, des denrées alimentaires, des bétails divers et parfois on assistait à des tours de magie aussi.