L'inversion des valeurs

Toute histoire commence un jour, quelque part... Bientôt ce sera le début de campagne éléctorale dans ce pays subsaharien. Dans cet Etat qui doit jusque là sa caractéristique la plus démocratique à son nom, les gens restent toujours sceptiques quant à l’organisation des scrutins réfletant la volonté du peuple.
Fataki est l’un des caciques de l’actuel régime au pouvoir. Cet homme grand et mince, connu pour sa facilité à bien s’exprimer, a toujours dit à ses amis que pendant son jeune âge il rêvait de devenir une star de basketball mais après il s’était rendu compte que ses 2,04 m de taille ne lui suffisaient pas pour concrétiser son rêve; Il pense qu’il lui fallait un peu plus de talent. Il s´était ainsi tourné vers une deuxième opportunité: son oncle, un ancien maire de la capitale du pays pendant l’ancien régime renversé au pouvoir et qui avait choisi de vivre son exile à Bruxelles, l’avait invité à le réjoindre. Ici comme dans la plus part d’autres pays africains, avoir l’occasion de vivre à Mikili, comme les gens de la place désignent le monde occidental, est l’une de rares occasions que tout jeune ambitionne et dans l’imaginaire de ces jeunes esprits, peut-être seul le Paradis a une idéalisation plus parfaite que celle Mikili.

Un bon disciple de Kabamba...

Fataki avait vécu vingt ans en Bélgique auprès de son oncle Kabamba. Ce dernier apprenait au jeune certaines astuces pour “réussir” sa carrière politique et ne cessait de lui répeter que la véritable aubaine se trouve au pays et qu’à Mikili c’est juste l’endroit pour savourer les fruits de son travail. Il conseillait à son neveu de toujours être souple et d’avoir l’oeil ouvert aux moindres occasions de rallier la haut sphère politique de son pays; car, selon lui, il n’y a pas d’autre chemin aussi rapide pour améliorer sa vie. C’est ainsi qu’ayant pris l’habitude de participer aux rencontres des politiciens de son pays venus à Bruxelles, un jour il marqua les esprits par son intervention lors d’une de ce genre de réunions: le porte-parole du gouvernement était à court d’argument pour répondre à la question d’une journaliste belge mettant en cause la gestion du pays par l’actuel régime. Dans cette atmosphère génante pour les répresentants du régime, le jeune inconnu Fataki a faufilé son intervention pour défendre malicieusement le régime de son pays avec une élégante éloquence. À la fin de la rencontre, son cadeau n’a pas tarder d’arriver: il est le dernier avec qui le porte-parole veut parler avant de laisser la salle:
- jeune homme, de quel pays es-tu? Le porte-parole s’adressa à lui d’un air magistral.
- Je suis de la République Démocratique du Congo, lui répondit Fataki.
- Tu es de mon pays! Je sens que tu peux lui être plus utile. Ton nom? Demanda le porte-parole.
- Je suis Fataki.
- Et bien Fataki, tiens ceci, ma carte de visite. Contacte-moi, on a bésoin de gens comme toi dans notre groupe.

Le porte-parole s’en alla convaincu qu’il faut une bonne place dans le gouvernement pour ce jeune talent, car, pensait-t-il: “si le jeune nous a défendu avec brio sans qu’il n’ait rien reçu d’avance et sans qu’il ne soit l’un d’entre nous, certainement qu’il le fera mieux si on l’intègre au groupe et on lui fait gouter un peu de miel”. C’est ainsi que quelques mois après, Fataki rentra au pays, déjà père d’une fillette, Feza et d’un garçonnet, Kadima.
Le temps semble passer vite, ça fait déjà vingt-deux ans que Fataki fait partie du régime au pouvoir et à présent il est ministre du plan. C’est rare de trouver quelqu’un à travers le pays qui parle en bien du régime mais, hélas, à chaque quatre ans, c’est toujours le camp de Fataki qui remporte les élections. On croirait que c’est peut-être le peuple d’ici qui est animé de deux envies opposées: l’une qu’il démontre quotidiennement, affichant l’insatisfaction face à leurs dirigeants et l’autre, opposée á la première et qu’il ne manifeste qu’à l’exacte moment de vote! La campagne électorale commencera bientôt et comme pour les trois dernières fois, Fataki, ce farouche défenseur du régime, a été encore choisi para son camp comme coordonateur de leur campagne. Kadima, son fils, est arrivé fraichement du Maroc où il a eu son diplôme en droit.

Ici ne vaut pas “tel père, tel fils”...

Il est 7 heures du matin à Kinshasa, la capitale du pays. Ce samedi, les rayons solaires tardent encore à émerger et Kadima s’est réveillé tôt pour se placer avec son livre à la veranda du deuxième niveau de leur villa, une résidence située dans l’une des rares quartiers sécurisés et urbanisés de la ville.
- Bonjour papa! S’adressa Kadima à Fataki en voyant ce dernier venir vers lui.
- Bonjour! Ce moment est idéal pour qu’on parle de ta carrière politique. Il est temps que tu intègres le groupe, dit Fataki.
- Quel groupe? Demanda Kadima.
-Le nôtre. Tu es déjà diplômé et bientôt tu auras 24 ans, il faut que notre famille soit assurée d’avoir un représentant dans l’avenir pour la défendre au niveau de la haute sphrère du pays. L’argent, nous l’avons déjà mais on doit s’assurer d’avoir toujours quelqu’un qui défendra les intérêts des nôtres. Ta grande soeur Feza c’est une femme, cette responsabilité revient donc à toi, l’homme de la famille.
- Je comprends! intervint Kadima. Mais je ne sais pas si telle est ma vocation!
- Ne me déçois pas! Ne dis pas que tu veux tourner le dos à la porte que j’ai ouverte pour les nôtres. Le gros du travail je l’ai fait, ce qui reste c’est de maintenir cette porte ouverte aussi longtemps que possible pour que les fils de vos fils en bénéficient aussi un jour. Plus que ça, Il n’y a pas plus grand héritage qu’un père puisse laisser à sa descendence dans ce pays! Comme me le disait mon feu oncle Kabamba, Il faut être souple!

- Je ne crois pas que ce peuple continuera à accepter la façon dont elle est dirigée. Hormi notre commune dont la plus part des maisons appartiennent aux membres du régime, le reste du pays c’est l’enfer: la majorité vit dans la misère, pas de route ni services de base. Tout ceci, votre actuel plus grand opposant, Médard, le clame haut et fort avec raison et il gagne de plus en plus des sympathisants, dit Kadima.
- Bien que nous fassions croire le contraire au peuple dans nos discours, la vérité est que ce n’est ni nous ni ce pauvre Médard qui réussira à redresser ce pays. Depuis l’indépendance les choses fonctionnent de la même façon ici: un groupe succède à l’autre après que l’un a perdu au profit de l’autre et tous ceux qui tentent de se présenter en libérateur du peuple comme Médard, finissent mal et leurs familles restent malheureuses! Regarde ce message que j’ai reçu, ajouta Fataki.
Kadima, s’inclina à droite, du coté de son père qui lui tendit la main lui montrant un message à l’écran de son smartphone.
- Médard est assassiné? Quelle méchanceté! s’indigna Kadima. Vous y êtes pour quelque chose?
- Bonne question! Répondit ironiquement Fataki. c’est nous qui controlons ce pays, ajouta-t-il d’un air énervé. Ne te trompe pas, ce pauvre Médard s’il aurait pris le pouvoir, il enlèverait son masque de sauveur et n’aurait pitié non plus te toi qui porte mon nom. Sois réaliste et ne laisse pas passer ta chance. Notre président a encore de la force pour assumer le pouvoir jusqu’à cinq mandats de plus et après, si nous réussissons à maintenir le pouvoir, on aura besoin de son successeur issu de notre groupe. Moi j’aurai déjà um âge avancé et comme le président n’a comme enfants que ses trois filles, mon calcule est que celui parmi ses proches qui aura un fils bien préparé, aura la chance de voir son fils succéder au raïs. Voilà pourquoi ta préparation doit commencer dès cette campagne, c’est juste un stage initiatique pour toi. Ne t’en fais pas, dans ce jeu, nous jouons toutes les cartes en avance; les dites élections ne sont qu’une formalité servant à renouveler la légitimité de notre pouvoir selon cette mode de notre époque.
- Je ne partage pas ta vision, j’ai toujours cru qu’une personne suffit pour amorcer un changement. J’ai rendez-vous au centre ville, dit Kadima en se levant du fauteuil d’un air déçu.
- Ne soit pas bête! Il s’agit de ton avenir! Et aussi, n’oublie pas de considérer la proposition de ta mère. La fille dont elle t’a parlé a tous les critères pour être ma belle-fille, ajouta Fataki pendant que Kadima s’en allait.

Tata Mundele n’appréhende pas la vie comme sa fille...

Dans un quartier modeste, à quelques 15 km de chez Fataki, vit Jean-Kalume. Un soixantenaire affectueusement surnommé “Tata Mundele”, papa blanc en  langue locale, à cause de son teint clair que sa progéniture avait aussi hérité. Fifi, la fille de Jean-Kalume, est connue dans la ville grâce à sa belle silhouette et certains d’entre ces jeunes hommes chomeurs qui garnissent les bords de la rue par où passe Fifi, n’hésitent pas à changer brusquement de sujet à son passage, pour commenter sur elle et quelques uns vont plus loin encore en lançant à la fille de signaux de sifflement. Mais celle-ci a appris à ignorer ses interessés indésirables et reste concentrée pour trouver où poser son pied, à chaque pas, dans cette rue boueuse à fin d’arriver dans l’avenue où elle prend l’un des vieux bus qui y stationnent, pour aller soit à l’université, soit à ces petits studios du centre-ville où elle prête son image pour faire des publicités à certaines de ces quelques entreprises de la ville appartenant aux membres du régime.
Jean-kalume ne sort presque plus de sa maison ce dernier temps à cause de sa santé fragile. Ce soir, il est chez lui en compagnie de l’un de ses amis avec qui il a l’habitude de boire cette boison traditionnelle fortemente alcoolisée nommé lutuku, issue de la distillation de grains de maïs fermentés.
- Uhm! qualité supérieure! S’exclama Jean-Kalume, après avoir avaler sa première gorgée de lutuku.
- Tata Mundele, jamais je n’apporterai à un grand ami du faut lutuku! Surtout quand il s’agit de célébrer la bonne nouvelle là que tu aller m’annoncer au téléphone avant que le signal du réseau ne soit coupé, répliqua l’ami de Jean-Kalume.
- Ah, laisse tomber cette histoire, Intervint Jean-Kalume. J’étais sous l’influence de l’acool, il ne fallait pas que j’en parle!
- Ah non, entre nous c’est la transparence! S’insurgea, l’ami de Jean-kalume. Tu as pu faire un grand deal dans ton travail de commissionnaire?
- Bon, pas grave! Je t’en parle, répondit Jean-Kalume. Il s’agit d’un lien en or que je suis entrain de reussir à me créer par le biais de ma fille Fifi.
- Arrête! Intervint l’ami de Jean-Kalume. Tu es devenu fou? Ta fille est très belle, intelligente et sait orgainiser sa vie décemment et normalement sous d’autres cieux elle serait promise à un avenir radieux. Elle ne mérite pas de subir le sort de ces filles que tu cherchait pour les grands monsieurs du régime et dont tu bénéficiais des primes de commission. Nombreuses de ces filles vivent aujourd’hui grâce aux comprimés antirétroviraux et d’autres ont du mal à   élever seules les enfants qu’elles ont eus et dont les pères, ces puissants seigneurs du régime, ne reconnaissent pas.
- Non non, rien de ça! Protesta Jean-Kalume. Il y a longtemps j’ai arreté de faire la commission de nanas au profit de ces grands monsieurs. Fifi désapprouvait toujours mon travail et Je l’ai finalement abandoné, convaincu que c’était un travail maudit après que toutes mes économies m’ont été escroquées par ce fameux neveu du vice-gouverneur de la ville en voulant acheter de lui deux maisons dans le luxieux quartier du Nord. inutile de te dire que je n’avais même pas oser porte plainte en justice, tu sais toi-même le sort de celui qui fait un bras de fer avec un membre d’une famille de la haute sphère!
- Et alors, dans quelle genre d’affaire tu veux mêler ta fille? Demanda l’ami.
- Bon, tu vois l’actuel ministre du plan? Demanda rhétoriquement Jean-Kalume. Quand je faisais encore mon boulot de commissionnaire, je lui fournissais aussi des nanas et j’avais remaqué qu’il avait une obsession pour les femmes au teint clair. Il aurait même épousé une blanche n’eût été le conseil de son mentor politique qui le lui avait défendu arguant que celà hadicaperait sa carrière politique ici.
- Et alors tu veux mettre ta fille dans l’orbite du ministre? Intervint l’ami.
- Non! Cela ne passerait pas aux oreilles de Fifi! Répliqua Jean-Kalume. La dernière fois que j’ai eu la chance de racontrer le ministre avec son épouse, j’avais réussi à leur proposer ma fille pour son fils. Je savais qu’il est obsedé de belles femmes au teint clair, et qu’ à dé faut de l’avoir pour lui, il aimerais l’avoir au moins pour son fils qu’il considère un peu comme le prolongement de lui-même!
- Waouh! S’exclama l’ami de Jean-Kalume. Tu as peut-être réussi la plus grande affaire de ta vie! Un fils du ministre épouser ta fille! Que du bonheur! Tata Mundele, ne m’oublie pas dans ton royaume!
- T’oublier? jamais! Repliqua Jean-Kalume. Mais tout n’est pas encore fait! Ma fille n’a pas été enthousiaste de cette opportunité, elle a dit qu’elle a déjà un autre garçon qui poursuit ses études en Tunisie. La dernière fois, je lui ai dit que si elle n’accepte pas le fils du ministre je ne permettre pas son mariage avec un autre homme, usant de mon droit de veto coutumier antant que son père. je sais qu’elle a toujours était trop critique du régime mais Il vaut mieux être realiste et avoir de la souplesse, deux qualités indispensables pour survivre dans ce pays!
- Ne lache pas, amène ta fille à accepter! Exhorta l’ami de Jean-Kalume. Il faut être idiot pour sauter une telle occasion.
- Elle doit accepter! Dit Jean-Kalume. Mais ce dernier temps elle ne me parle plus et aujourd’hui c’est le troisième jour qu’elle n’est pas revenue à la maison. Depuis la mort de sa mère l’année passée, elle reste souvent chez sa tante mais elle ne fait jamais plus de deux jours sans revenir ici!
- Bon, je crois qu’il est temps de nous séparer, notre bol de lutuku est déjà vide! Avisa l’ami.
- Je t’accompagne à l’arrêt de bus alors, dit Jean-Kalume.

Pendant que les deux avançaient lentement dans la rue boueuse qui mène à l’arrêt de bus, ces jeunes chomeurs rangés toujours au flanc gauche de la rue, ont soudainement reanimé leur conversation.
- C’est Tata Mudele qui chancèle là! Remarqua un premier jeune. Cette fois il n’aura plus d’argent pour se payer du lutuku! On m’a appris que sa fille qui était la pourvoyeuse de sa famille s’est enfouie. Il paraît qu’elle s’opposait à la volonté de son père de vouloir la marier au fils ministre!
- Refuser un fils du ministre! S’étonna l’une de trois jeunes filles du groupe. Elle doit avoir de vers dans sa boîte crânienne!
- Vous parlez du ministre Fataki? Intervint un troisière jeune. Hier, j’ai appris que son fils aurait fui de chez lui, il serait déjà au Magreb. Il paraît qu’il ne se conforme pas aux propositions de son père.
- Quel con! Répliqua un quatrième jeune. Combien de jeunes comme nous aimeraient être de sa famille?

L’éternelle traversée de la Méditerranée...