J’aimais ma nouvelle paire de chaussures. Je l'aime toujours, même si, aujourd'hui, d'autres vertigineux escarpins l'ont rejointe dans le placard. Même si, entre temps, elles ont beaucoup vécu... [+]
Quand on a traversé le vieux pont de pierre , celui qui enjambait un torrent rageur, l'air était doux, ça sentait bon.
J'avais la promesse d'une belle soirée.
Mon fils aîné marchait devant, à côté de sa compagne A. . Mes deux autres garçons babillaient joyeusement.
Nous, on se tenait par la main. Je sentais que se ne serait pas une soirée comme les autres...
Il y avait quelque chose dans la démarche de mon grand fils A. ( lui aussi) d'inhabituel, un frémissement. Je le ressentais très fort, comme si je respirais à sa place.
L'endroit était insolite. C'était un restaurant troglodyte où un habile jeu de lumières valorisait les plis et les replis de l'antre et adoucissait les stalactites (petite leçon de chose au plus jeune sur le « tite »qui tombe et le « mite » qui monte) .
Une maîtresse d'école le reste toute sa vie...
En l'occurrence, il y en a deux autour de la table...
Nous nous retrouvons attablés un peu à l'écart, en cercle.
Une table ronde dans le ventre d'une grotte. Je trouve mon fils A.un peu nerveux.
C'est l'instant d'après que ma vie bascule.
Des moments comme ceux-là, j'en ai vécu plusieurs au sens où il y a un avant qui ne reviendra pas et un après qu'il va falloir construire.
Certains de ces instants sont rapides comme l'éclair et vous précipitent dans le néant . Quand la mort passe, elle est si laide qu'elle ne s'attarde pas. Elle n'a rien à offrir. Elle prend et elle s'en va, vous éclabousse de son absurdité.
D'autres moments prennent leur temps car ils sont tournés vers la vie et sa magie.
« Bon, il faut que je vous dise un truc, lance mon fils A., vous allez être papi et mamie ! »
Mamie?Mamie ! Moi ? Les larmes ruissellent comme l'eau calcaire sur les parois de la grotte. J'attendais cette phrase si fort !
Je scrute ma belle-fille, cherchant une matérialisation de cette nouvelle : elle est toujours aussi jolie quoiqu'un peu pâle, mais une petite flamme brûle dans son regard avec cet air qui précise « je porte le mystère et l'avenir, me manipuler avec précaution. »
Je pose les yeux sur mon fils avec étonnement et fierté. Son beau regard rêveur et mélancolique s'est habillé de mille sourires scintillants.
Le temps s'arrête,
Le repas est sans doute délicieux, nous rions, faisons des projets,j'entends de la musique flotter.
C'est là qu'elles se pointent, insidieuses, viscérales, envahissantes, roulant sur la nappe, glissant dans l'assiette avec indécence, plongeant dans mon verre avec frivolité ;les questions !
C'est quoi au juste être « mamie » ?
Penaude ! C'était clair, je ne savais pas répondre à cette question, comme un étudiant pris en flagrant délit d'ignorance face à un jury d'oral d'examen.
Quelques mots me revenaient : « génial, formidable, le plus beau rôle, tu verras c'est pas du tout la même chose qu'être maman. C'est être parent en mieux !!!
Je me répétais les paroles des copines, voilà Monsieur l'examinateur, c'est tout ce que je sais sur le sujet ! Allais-je être recalée ?
Je cherchai un appui dans mes souvenirs et me tournai vers mes grands-mères.
Allais-je être grand-mère comme cette Emma morte quand j'étais encore toute petite et dont tout ce qu'il me restait était un chignon blanc et deux yeux bleu acier qui me pourfendaient quand je m'approchais du buffet de la cuisine ?
Serais-je cette Rolande vulgaire et brutale qui ne voulait pas que je me lave dans sa baignoire au motif qu'elle ne souhaitait pas « mélanger sa crasse à la mienne .»
Comment se réfugier dans le giron , dans les rondeurs et la douceur d'une grand-maman lorsque celle-ci est un dragon pompant toute la journée sur ses Gitanes maïs ?
Effrayant !
Moi je me sentais une femme qui aimait la vie, qui aimait plaire et je ne fumais pas !
En désespoir de cause, je me tournai vers ma propre mère... Tout un programme !
Serai-je cette Paulette à l'ego malade, pervers et ravageur qui avait dévasté toute la famille ?
Serai-je celle qui , lassée de jouer un temps à la mère-grand et faute d'avoir été le centre de l'univers, s'était détournée des premiers et avait rejeté le troisième sans même daigner le regarder ?
J'étais épouvantée ! Je n'avais pas de modèle, pas de socle sur lequel m'appuyer si ce n'est la volonté de ne pas ressembler à ces femmes.
Il m'est alors revenu « Poupette » la mamie surjouée du film « la boum ».Mais je ne me voyais pas me faire appeler par un nom de chien même si , par ailleurs, je n'hésitais pas à donner des noms humains à mes animaux. Ça ne fonctionnait que dans un seul sens.
Bon enfin, le dynamisme même feint et la bonne humeur de « Poupette » trouvaient écho en moi, au moins !
Aimerai-je assez cet enfant, moi qui ne l'aurai pas porté ? Allais-je le reconnaître ? Etait-il possible d'aimer aussi fort que j'aimais mes fils ?
Est-ce qu'il m'aimera ?Et quand il sera grand, voudra-t-il venir dans ma maison ? Que pourrais-je lui transmettre qu'il n'aura déjà appris avec ses parents ?
Serons-nous complices ? Serai-je assez belle ? Saurai-je retrouver les gestes ? Et quelle sera ma place dans sa vie ?
Ces questions me torturèrent pendant des mois... Elles prouvaient au moins une chose, c'est que j'étais déjà impliquée dans la vie de ce bébé.
Elles trouvèrent une réponse toutes en même temps , un 24 décembre lorsque j'ai pu prendre Lina dans mes bras pour la première fois.
Je l'ai reconnue, c'était ma petite fille, Lina aux grands yeux bleus : la mer où elle vit a mis son bleu d'été dans ses prunelles un jour d'été, Lina qui sent bon, Lina au sourire espiègle, Lina ma blondinette.
En fait, c'est elle qui m'enseigne comment être grand-mère, simplement, avec confiance et amour. Elle tisse lentement un lien si fort que je n'ai plus peur et, ensemble, on invente l'histoire de notre vie à deux, débarrassée des fantômes sordides et hideux des grand-mères indignes et sèches.
Une vie pleine de rires, de joie, de tendresse, de bienveillance et d'intelligence.
Les enfants nous réparent et nous aident à grandir.
J'avais la promesse d'une belle soirée.
Mon fils aîné marchait devant, à côté de sa compagne A. . Mes deux autres garçons babillaient joyeusement.
Nous, on se tenait par la main. Je sentais que se ne serait pas une soirée comme les autres...
Il y avait quelque chose dans la démarche de mon grand fils A. ( lui aussi) d'inhabituel, un frémissement. Je le ressentais très fort, comme si je respirais à sa place.
L'endroit était insolite. C'était un restaurant troglodyte où un habile jeu de lumières valorisait les plis et les replis de l'antre et adoucissait les stalactites (petite leçon de chose au plus jeune sur le « tite »qui tombe et le « mite » qui monte) .
Une maîtresse d'école le reste toute sa vie...
En l'occurrence, il y en a deux autour de la table...
Nous nous retrouvons attablés un peu à l'écart, en cercle.
Une table ronde dans le ventre d'une grotte. Je trouve mon fils A.un peu nerveux.
C'est l'instant d'après que ma vie bascule.
Des moments comme ceux-là, j'en ai vécu plusieurs au sens où il y a un avant qui ne reviendra pas et un après qu'il va falloir construire.
Certains de ces instants sont rapides comme l'éclair et vous précipitent dans le néant . Quand la mort passe, elle est si laide qu'elle ne s'attarde pas. Elle n'a rien à offrir. Elle prend et elle s'en va, vous éclabousse de son absurdité.
D'autres moments prennent leur temps car ils sont tournés vers la vie et sa magie.
« Bon, il faut que je vous dise un truc, lance mon fils A., vous allez être papi et mamie ! »
Mamie?Mamie ! Moi ? Les larmes ruissellent comme l'eau calcaire sur les parois de la grotte. J'attendais cette phrase si fort !
Je scrute ma belle-fille, cherchant une matérialisation de cette nouvelle : elle est toujours aussi jolie quoiqu'un peu pâle, mais une petite flamme brûle dans son regard avec cet air qui précise « je porte le mystère et l'avenir, me manipuler avec précaution. »
Je pose les yeux sur mon fils avec étonnement et fierté. Son beau regard rêveur et mélancolique s'est habillé de mille sourires scintillants.
Le temps s'arrête,
Le repas est sans doute délicieux, nous rions, faisons des projets,j'entends de la musique flotter.
C'est là qu'elles se pointent, insidieuses, viscérales, envahissantes, roulant sur la nappe, glissant dans l'assiette avec indécence, plongeant dans mon verre avec frivolité ;les questions !
C'est quoi au juste être « mamie » ?
Penaude ! C'était clair, je ne savais pas répondre à cette question, comme un étudiant pris en flagrant délit d'ignorance face à un jury d'oral d'examen.
Quelques mots me revenaient : « génial, formidable, le plus beau rôle, tu verras c'est pas du tout la même chose qu'être maman. C'est être parent en mieux !!!
Je me répétais les paroles des copines, voilà Monsieur l'examinateur, c'est tout ce que je sais sur le sujet ! Allais-je être recalée ?
Je cherchai un appui dans mes souvenirs et me tournai vers mes grands-mères.
Allais-je être grand-mère comme cette Emma morte quand j'étais encore toute petite et dont tout ce qu'il me restait était un chignon blanc et deux yeux bleu acier qui me pourfendaient quand je m'approchais du buffet de la cuisine ?
Serais-je cette Rolande vulgaire et brutale qui ne voulait pas que je me lave dans sa baignoire au motif qu'elle ne souhaitait pas « mélanger sa crasse à la mienne .»
Comment se réfugier dans le giron , dans les rondeurs et la douceur d'une grand-maman lorsque celle-ci est un dragon pompant toute la journée sur ses Gitanes maïs ?
Effrayant !
Moi je me sentais une femme qui aimait la vie, qui aimait plaire et je ne fumais pas !
En désespoir de cause, je me tournai vers ma propre mère... Tout un programme !
Serai-je cette Paulette à l'ego malade, pervers et ravageur qui avait dévasté toute la famille ?
Serai-je celle qui , lassée de jouer un temps à la mère-grand et faute d'avoir été le centre de l'univers, s'était détournée des premiers et avait rejeté le troisième sans même daigner le regarder ?
J'étais épouvantée ! Je n'avais pas de modèle, pas de socle sur lequel m'appuyer si ce n'est la volonté de ne pas ressembler à ces femmes.
Il m'est alors revenu « Poupette » la mamie surjouée du film « la boum ».Mais je ne me voyais pas me faire appeler par un nom de chien même si , par ailleurs, je n'hésitais pas à donner des noms humains à mes animaux. Ça ne fonctionnait que dans un seul sens.
Bon enfin, le dynamisme même feint et la bonne humeur de « Poupette » trouvaient écho en moi, au moins !
Aimerai-je assez cet enfant, moi qui ne l'aurai pas porté ? Allais-je le reconnaître ? Etait-il possible d'aimer aussi fort que j'aimais mes fils ?
Est-ce qu'il m'aimera ?Et quand il sera grand, voudra-t-il venir dans ma maison ? Que pourrais-je lui transmettre qu'il n'aura déjà appris avec ses parents ?
Serons-nous complices ? Serai-je assez belle ? Saurai-je retrouver les gestes ? Et quelle sera ma place dans sa vie ?
Ces questions me torturèrent pendant des mois... Elles prouvaient au moins une chose, c'est que j'étais déjà impliquée dans la vie de ce bébé.
Elles trouvèrent une réponse toutes en même temps , un 24 décembre lorsque j'ai pu prendre Lina dans mes bras pour la première fois.
Je l'ai reconnue, c'était ma petite fille, Lina aux grands yeux bleus : la mer où elle vit a mis son bleu d'été dans ses prunelles un jour d'été, Lina qui sent bon, Lina au sourire espiègle, Lina ma blondinette.
En fait, c'est elle qui m'enseigne comment être grand-mère, simplement, avec confiance et amour. Elle tisse lentement un lien si fort que je n'ai plus peur et, ensemble, on invente l'histoire de notre vie à deux, débarrassée des fantômes sordides et hideux des grand-mères indignes et sèches.
Une vie pleine de rires, de joie, de tendresse, de bienveillance et d'intelligence.
Les enfants nous réparent et nous aident à grandir.
Ca s'invente avec l'enfant
Le maître du jeu !
Bravo, Camille-Marie. Vous avez mon vote.