Né à l'envers des conventions normalisées, ma génitrice me chia menu, sans douleur. Elle adopta ce même jour la rigidité cadavérique assignée par les mortels avant de rejoindre le caveau d'où ... [+]
La suite des événements à raconter tiendrait en une page si, à l'aube de l'âge ingrat dominé par le désœuvrement, je ne pris pas enfin mon destin à bras-le-corps, bien inspiré par celui de Lucette. Mon inénarrable apathie se métamorphosait en soudaine pulsion animale.
Cette fille possédait à la base du cou un petit grain de beauté qui disparaissait en hiver sous le col roulé de ses pulls et réapparaissait dès le printemps lorsque les chemisiers en boutons dégrisaient l'air ambiant. L'indication subtile de l'entre-clavicules semblait effacer les muscles fins le traversant. Je sais qu'il existe là, forte, une tension, et que l'effet de cette tension sous la peau soulignait la position d'une zone délicate. Beauté, comme un grain. Rien qu'un, à ma connaissance. À l'occasion des cheveux, je ne trouvais pas qu'elle les taillait dans le style large et hardi des statues grecques de nos livres d'histoire. La coupe chez elle se réalisait avec finesse, élégance même. Frange droite sur le front, encadré par deux longues tresses soigneusement rassemblées en un chignon bas près de la nuque.
Lucette me fixa un rendez-vous au lavoir de Soulaines-Dhuys. Je me disais : des galipettes avec cette Lucette ? Mazette, c'est chouette !
Je descendis au lieu-dit Les pierres plates. Vides, elles m'offraient leur assise toujours aussi froide. Puisque les cloches de l'église acclamaient sans ménagement mon avance sur l'horaire, je pris le temps de relire la lettre, simple, fleurie certes, mais succincte.
J'imaginai notre rencontre, en forme d'espoir ardemment désiré pendant les cours d'allemand. Nos regards échangés entre deux versions enflammaient notre besoin de rapprochement.
Deux personnes s'installèrent au bord du bassin, histoire sans doute de profiter de la fraîcheur du lieu. Elles se déchaussèrent et trempèrent leurs pieds nus. Hormis les politesses d'usage, nous n'échangeâmes aucune parole. Elles déblatéraient à propos de nos voisins respectifs, s'indignaient des dernières maladies en vogue et se chicanaient en évoquant la poubelle nucléaire qui, elle, remportait la ferveur de la majorité des habitants du village. Ceux-ci s’enorgueillissaient des subsides obtenus grâce aux enveloppes honteusement délivrées, mais néanmoins légales, au conseil municipal. Ainsi renflouée, la caisse de la collectivité se permettait de financer la rénovation des authentiques maisons champenoises à pans de bois et colombages apparents datant du 18e siècle, la réfection de la petite chapelle et la non moins monumentale toiture de l'église.
La cloche me signifia la demi-heure passée à attendre, à l'attendre, à t'attendre. Entre mes doigts, la missive fleurie se transforma en cocotte, puis en avion. Lorsqu'il atterrit au loin, jusque sur la résurgence de la Dhuys, je pensai aller récupérer la lettre à tout prix.
Le trou profond de plusieurs mètres restait une énigme pour nous autres jeunes Soulainois. Empreint d'interdictions, le site nous attirait, nous invitait même à plonger dans son eau claire. De peur de voir se diluer les rares mots inscrits à mon intention sur la feuille légère, j'oubliai que je ne savais pas nager. De fait, je pus vérifier que l'eau froide, loin de m'avaler, me refoulait sur le bord de la chaussée. Tel un chien détrempé, je me secouai sans perdre de vue les parleuses qui parlaient encore, et ma muse irradiante par son absence.
Sympathique, le soleil de juin entreprit de sécher mes habits.
Au bout de trois heures d'attente, je décidai de rompre avec Lucette, envoyant bouler sa missive.
Lavoir ou pas, je l'oublierai sans lettre.
Cette fille possédait à la base du cou un petit grain de beauté qui disparaissait en hiver sous le col roulé de ses pulls et réapparaissait dès le printemps lorsque les chemisiers en boutons dégrisaient l'air ambiant. L'indication subtile de l'entre-clavicules semblait effacer les muscles fins le traversant. Je sais qu'il existe là, forte, une tension, et que l'effet de cette tension sous la peau soulignait la position d'une zone délicate. Beauté, comme un grain. Rien qu'un, à ma connaissance. À l'occasion des cheveux, je ne trouvais pas qu'elle les taillait dans le style large et hardi des statues grecques de nos livres d'histoire. La coupe chez elle se réalisait avec finesse, élégance même. Frange droite sur le front, encadré par deux longues tresses soigneusement rassemblées en un chignon bas près de la nuque.
Lucette me fixa un rendez-vous au lavoir de Soulaines-Dhuys. Je me disais : des galipettes avec cette Lucette ? Mazette, c'est chouette !
Je descendis au lieu-dit Les pierres plates. Vides, elles m'offraient leur assise toujours aussi froide. Puisque les cloches de l'église acclamaient sans ménagement mon avance sur l'horaire, je pris le temps de relire la lettre, simple, fleurie certes, mais succincte.
J'imaginai notre rencontre, en forme d'espoir ardemment désiré pendant les cours d'allemand. Nos regards échangés entre deux versions enflammaient notre besoin de rapprochement.
Deux personnes s'installèrent au bord du bassin, histoire sans doute de profiter de la fraîcheur du lieu. Elles se déchaussèrent et trempèrent leurs pieds nus. Hormis les politesses d'usage, nous n'échangeâmes aucune parole. Elles déblatéraient à propos de nos voisins respectifs, s'indignaient des dernières maladies en vogue et se chicanaient en évoquant la poubelle nucléaire qui, elle, remportait la ferveur de la majorité des habitants du village. Ceux-ci s’enorgueillissaient des subsides obtenus grâce aux enveloppes honteusement délivrées, mais néanmoins légales, au conseil municipal. Ainsi renflouée, la caisse de la collectivité se permettait de financer la rénovation des authentiques maisons champenoises à pans de bois et colombages apparents datant du 18e siècle, la réfection de la petite chapelle et la non moins monumentale toiture de l'église.
La cloche me signifia la demi-heure passée à attendre, à l'attendre, à t'attendre. Entre mes doigts, la missive fleurie se transforma en cocotte, puis en avion. Lorsqu'il atterrit au loin, jusque sur la résurgence de la Dhuys, je pensai aller récupérer la lettre à tout prix.
Le trou profond de plusieurs mètres restait une énigme pour nous autres jeunes Soulainois. Empreint d'interdictions, le site nous attirait, nous invitait même à plonger dans son eau claire. De peur de voir se diluer les rares mots inscrits à mon intention sur la feuille légère, j'oubliai que je ne savais pas nager. De fait, je pus vérifier que l'eau froide, loin de m'avaler, me refoulait sur le bord de la chaussée. Tel un chien détrempé, je me secouai sans perdre de vue les parleuses qui parlaient encore, et ma muse irradiante par son absence.
Sympathique, le soleil de juin entreprit de sécher mes habits.
Au bout de trois heures d'attente, je décidai de rompre avec Lucette, envoyant bouler sa missive.
Lavoir ou pas, je l'oublierai sans lettre.