Lettre à un voisin

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L'écriture c'est l'inconnu. Avant d'écrire on ne sait rien de ce qu'on va écrire. En toute lucidité. Marguerite Duras.

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Tous les matins, je vous croisais dans ma rue, celle qui longe le cimetière. D'un pas rapide, je partais faire mes courses. Vous, vous alliez à petits pas, le dos courbé, prenant appui sur votre canne.
Au début, je faisais peu attention à vous. Un petit homme âgé, menu. Ensuite, jour après jour, j'ai pris le temps de vous découvrir.
Vous portiez un gros manteau, même quand les rayons du soleil réchauffaient la rue. C'est seulement au cœur de la canicule que vous l'abandonniez pour une veste de costume. Une calotte blanche en coton crocheté ne quittait pas votre tête. À cette calotte et à certains traits de votre visage, j'avais déduit que vous veniez d'Afrique du Nord. Votre silhouette se perdait dans des vêtements trop grands pour vous. Parfois, des chaussettes un peu détendues godaillaient sur vos chevilles, et vous ressembliez alors à un petit garçon distrait. Vos yeux – je ne peux pas dire votre regard puisque je ne l'ai jamais croisé –, étaient marron doux et votre teint frais et lisse.

Souvent, j'ai eu envie de faire votre connaissance, par petites étapes. En douceur.
Et puis, un jour de soleil, je vous aurais proposé qu'on aille s'asseoir dans le petit square de l'espace culturel, là où nous aurions eu une belle vue sur Paris. Je vous aurais tenu le bras pour remonter la rue Bernard, si pentue.
Au début, nous aurions peu parlé pour que vous puissiez reprendre votre souffle. Nous nous serions assis sur un banc devant le mobile en acier qui bouge si joliment au rythme du vent. J'aurais écouté l'histoire de votre vie, par bribes.
Mais rien de cela ne s'est fait ; il y a si longtemps que je ne vous vois plus.

Aujourd'hui, je me sens un peu orpheline. Alors permettez-moi de commencer l'histoire, en attendant.
Vous vous appelleriez Brahim, Brahim Mokkedem, de Kabylie.
Vous me raconteriez votre village d'Azzefoun, la beauté des montagnes, mais aussi le vent chaud qui dessèche la terre, la bouche des femmes et des enfants. Peu à manger, le soleil qui brûle tout et qui donne si soif.
Vous me raconteriez l'homme venu au village chercher des bras jeunes et valides pour travailler, quelque part en France.
Vous me raconteriez le départ pour ce pays où l'on gagne sa vie, de l'autre côté de la mer.
Vous me raconteriez...

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