— Division Midgley, porte 234, répondit laconiquement un des employés au jeune homme qui patientait à l'accueil.
Sur cette maigre indication, il s'engouffra dans un long couloir aux murs
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"Retrouve-moi aux premières gouttes de pluie". Pour Vito, ces quelques mots énigmatiques étaient toujours synonymes de début de mission. Le "boss", comme Vito aimait l'appeler, avait pour habitude de les employer lorsqu'il envoyait son fidèle associé sur cette île mystérieuse. Et en effet, qu'elle était bien étrange cette île. Avec elle, cartes et boussoles pouvaient rester au placard. Vito, comme tant d'autres, l'avait foulée des milliers de fois. Pourtant, à chacun de leurs voyages, ses paysages n'étaient jamais restés les mêmes.
On s'y aventurait car elle regorgeait d'un spécimen de minerai convoité par les créateurs de tous bords. Vito partait en prospection. Charge ensuite au "boss" de façonner les matériaux bruts rapportés pour en faire ressortir leur originalité et leur éclat.
Ces derniers temps, les expéditions de Vito s'étaient enchainées à un rythme effréné. Le "boss" s'impatientait et ce n'étaient pas les trouvailles décevantes des dernières missions qui allaient arranger son humeur. Cette fois-ci, il fallait un résultat pour le prospecteur. Mais pour tout dire, cela commençait mal. L'île s'était laissé envelopper d'une brume épaisse qui rendait son exploration difficile et incertaine. En vieux baroudeur expérimenté, Vito avait sa petite astuce pour patienter face aux caprices de l'île. Il connaissait l'emplacement d'une vieille caverne. Au fil des missions, l'explorateur y avait accumulé un tas de minerais en tous genres, comme dans ces greniers où l'on entasse de tout et de rien en s'imaginant que cela servira bien un jour. Dans cet amas de vieilles trouvailles poussiéreuses, Vito nourrissait le maigre espoir d'y trouver quelque chose qui ferait l'affaire. Mais il fallut se rendre à l'évidence: rien n'était vraiment nouveau. Quand on veut servir un bon repas on ne peut pas toujours compter sur les ingrédients de la veille, lui répétait le "boss". Cela sentait le "déjà-vu". Le "boss" n'apprécierait pas. Et puis, comme souvent, l'île donnait cette impression que l'on pouvait toujours trouver mieux. En effet, la brume poisseuse des débuts venait de se dissiper. Cet événement invita Vito à prendre une direction au hasard. Face à lui, un immense désert se dessinait. De toute façon au début c'était toujours un désert. Cette terre nue et sans fin pouvait venir à bout de la motivation des explorateurs les plus tenaces. Dans ces moments-là, et par fourberie, l'île savait se rendre accueillante. Elle se laissait balayer par un vent doux et protecteur et remplissait soudainement ses horizons d'oasis frais et confortables. Happés par ces paradis artificiels propices à une longue pause, même les plus aventureux pouvaient en oublier de progresser. Si elle ne se laissait pas explorer, l'île aimait faire perdre un précieux temps à ses visiteurs. Et du temps le "boss" n'en donnait pas beaucoup. Vigilant, Vito continua sa traversée, non sans se retourner encore et encore sur les beaux paysages qui le narguaient à l'horizon.
La technique de tout pionnier de l'île était de trouver un "sentier". Ces sortes de chemins que l'on découvrait on ne sait trop comment, par hasard ou à l'abri d'un détour, étaient souvent la voie royale pour ramener quelque chose d'exceptionnel au "boss". Et justement Vito finit par trouver un bout de "sentier". En le suivant, le désert laissa peu à peu place à un relief accidenté qui se prêtait bien mieux à de fantastiques trouvailles. Après de nombreux détours dans ce dédale de chemins, la patience et l'expérience de Vito payèrent. Dans une sorte de clairière, il aperçut au loin quelque chose de grand, brillant et aux multiples facettes. Une fameuse "pépite" comme il appelait affectueusement le minerai de l'île. Il aurait pu s'arrêter là et attendre patiemment l'heure du retour, mais c'était oublier les ruses de l'île. À peine ce moment de découverte savouré par son visiteur, l'île laissa apparaître de nouveaux "sentiers", inconnus et prometteurs. Pour Vito, l'appel d'une seconde quête se fit ressentir. La pluie ne se pointait toujours pas. Il songeait qu'il pouvait abandonner sa première "pépite" et en découvrir une bien plus inspirante encore pour le "boss". Il s'enfonça. L'île se réjouissait en secret.
Sur ce nouveau sentier, Vito devait ramper, se faufiler et s'orienter sans relâche dans sa progression. Le temps lui restait linéaire et passait indéniablement. Et puis enfin, apparut au loin un objet flamboyant, difficile d'accès certes, mais prometteur. Il regroupa ses ultimes forces et gravit les derniers reliefs pour atteindre ce qu'il était venu chercher. Hélas sa soif de prospection fut bien vaine. Un pauvre minerai, sans intérêt, à l'apparence trompeuse, était tout ce qui l'attendait au bout de ce "sentier". Il avait été mené dans une impasse et avait tout perdu. L'île, comme tant de fois, s'était moquée de lui, tissant méthodiquement son piège comme une araignée tisserait sa toile.
L'horizon changea à nouveau en paysages idylliques, appuyé par ce vent au doux parfum qui réchauffe les visiteurs égarés. Vito n'avançait plus. Pourquoi continuer après tout ? Il avait droit aux plaisirs de l'île. Et puis comme toujours lors des retours infructueux de son associé, le "boss" fera quelques va-et-vient tourmentés dans son bureau, et finira par le renvoyer sur l'île. Cela s'était déjà produit et se reproduira. Mais Vito n'oubliait pas. Depuis la naissance du "boss", il avait bâti cette collaboration et cette confiance unique. Chacun existait parce que l'autre existait. Il n'avait pas le droit d'abandonner et en particulier face à cette île sournoise. Il avait su la dompter, parfois. Il devait oublier la plénitude trompeuse qu'elle lui offrait. Quelques signes de pluie à l'horizon se dessinaient à présent et le décidèrent à essayer un nouveau "sentier". Il avait repéré la présence d'une bifurcation sur le sentier maudit. De longs virages, des montées, des descentes et puis il entrevit enfin face à lui un objet. Un objet grand, brillant et aux multiples facettes: il avait tourné en rond et était revenu à la clairière du début ! Il s'effondra au pied de sa première trouvaille. Toutefois après l'avoir inspectée avec plus de détails que la première fois, il s'empressa de la collecter. Il comprit que, comme beaucoup d'autres, il avait été manipulé par cette île, qu'il avait perdu beaucoup de temps à chercher la perfection et que finalement le plus intéressant se trouvait devant lui depuis le départ. Une goutte d'eau, puis une autre tomba sur la "pépite". Le signal du "boss".
Le "boss", ce n'était autre que moi, et je sortais de ma douche. Vito, ma fidèle imagination, comme très souvent revenait en héros de l'ile de la Page Blanche. Il a su suivre les "sentiers" de l'inspiration et résister tant bien que mal au doux et enivrant parfum de la procrastination. Cela faisait des jours que je tournais en rond dans mon bureau, flirtant peu à peu avec les doutes de l'écrivain. En lutte avec cette torture mentale, j'avais besoin de renouveau pour balayer le vide qui habitait ma pensée. Grâce à sa persévérance sans failles pour me ramener une idée, sa "pépite", je peux à nouveau coucher sur le papier des récits enthousiastes. Pour tous ceux qui ont tenté un jour de tenir une plume, cet éclat imprévisible de l'imagination est une délivrance, notre petite renaissance à nous.
Vito est déjà reparti. Ne tarde pas trop mon ami, mes charmants lecteurs et moi-même t'attendons impatiemment pour une prochaine nouvelle.
On s'y aventurait car elle regorgeait d'un spécimen de minerai convoité par les créateurs de tous bords. Vito partait en prospection. Charge ensuite au "boss" de façonner les matériaux bruts rapportés pour en faire ressortir leur originalité et leur éclat.
Ces derniers temps, les expéditions de Vito s'étaient enchainées à un rythme effréné. Le "boss" s'impatientait et ce n'étaient pas les trouvailles décevantes des dernières missions qui allaient arranger son humeur. Cette fois-ci, il fallait un résultat pour le prospecteur. Mais pour tout dire, cela commençait mal. L'île s'était laissé envelopper d'une brume épaisse qui rendait son exploration difficile et incertaine. En vieux baroudeur expérimenté, Vito avait sa petite astuce pour patienter face aux caprices de l'île. Il connaissait l'emplacement d'une vieille caverne. Au fil des missions, l'explorateur y avait accumulé un tas de minerais en tous genres, comme dans ces greniers où l'on entasse de tout et de rien en s'imaginant que cela servira bien un jour. Dans cet amas de vieilles trouvailles poussiéreuses, Vito nourrissait le maigre espoir d'y trouver quelque chose qui ferait l'affaire. Mais il fallut se rendre à l'évidence: rien n'était vraiment nouveau. Quand on veut servir un bon repas on ne peut pas toujours compter sur les ingrédients de la veille, lui répétait le "boss". Cela sentait le "déjà-vu". Le "boss" n'apprécierait pas. Et puis, comme souvent, l'île donnait cette impression que l'on pouvait toujours trouver mieux. En effet, la brume poisseuse des débuts venait de se dissiper. Cet événement invita Vito à prendre une direction au hasard. Face à lui, un immense désert se dessinait. De toute façon au début c'était toujours un désert. Cette terre nue et sans fin pouvait venir à bout de la motivation des explorateurs les plus tenaces. Dans ces moments-là, et par fourberie, l'île savait se rendre accueillante. Elle se laissait balayer par un vent doux et protecteur et remplissait soudainement ses horizons d'oasis frais et confortables. Happés par ces paradis artificiels propices à une longue pause, même les plus aventureux pouvaient en oublier de progresser. Si elle ne se laissait pas explorer, l'île aimait faire perdre un précieux temps à ses visiteurs. Et du temps le "boss" n'en donnait pas beaucoup. Vigilant, Vito continua sa traversée, non sans se retourner encore et encore sur les beaux paysages qui le narguaient à l'horizon.
La technique de tout pionnier de l'île était de trouver un "sentier". Ces sortes de chemins que l'on découvrait on ne sait trop comment, par hasard ou à l'abri d'un détour, étaient souvent la voie royale pour ramener quelque chose d'exceptionnel au "boss". Et justement Vito finit par trouver un bout de "sentier". En le suivant, le désert laissa peu à peu place à un relief accidenté qui se prêtait bien mieux à de fantastiques trouvailles. Après de nombreux détours dans ce dédale de chemins, la patience et l'expérience de Vito payèrent. Dans une sorte de clairière, il aperçut au loin quelque chose de grand, brillant et aux multiples facettes. Une fameuse "pépite" comme il appelait affectueusement le minerai de l'île. Il aurait pu s'arrêter là et attendre patiemment l'heure du retour, mais c'était oublier les ruses de l'île. À peine ce moment de découverte savouré par son visiteur, l'île laissa apparaître de nouveaux "sentiers", inconnus et prometteurs. Pour Vito, l'appel d'une seconde quête se fit ressentir. La pluie ne se pointait toujours pas. Il songeait qu'il pouvait abandonner sa première "pépite" et en découvrir une bien plus inspirante encore pour le "boss". Il s'enfonça. L'île se réjouissait en secret.
Sur ce nouveau sentier, Vito devait ramper, se faufiler et s'orienter sans relâche dans sa progression. Le temps lui restait linéaire et passait indéniablement. Et puis enfin, apparut au loin un objet flamboyant, difficile d'accès certes, mais prometteur. Il regroupa ses ultimes forces et gravit les derniers reliefs pour atteindre ce qu'il était venu chercher. Hélas sa soif de prospection fut bien vaine. Un pauvre minerai, sans intérêt, à l'apparence trompeuse, était tout ce qui l'attendait au bout de ce "sentier". Il avait été mené dans une impasse et avait tout perdu. L'île, comme tant de fois, s'était moquée de lui, tissant méthodiquement son piège comme une araignée tisserait sa toile.
L'horizon changea à nouveau en paysages idylliques, appuyé par ce vent au doux parfum qui réchauffe les visiteurs égarés. Vito n'avançait plus. Pourquoi continuer après tout ? Il avait droit aux plaisirs de l'île. Et puis comme toujours lors des retours infructueux de son associé, le "boss" fera quelques va-et-vient tourmentés dans son bureau, et finira par le renvoyer sur l'île. Cela s'était déjà produit et se reproduira. Mais Vito n'oubliait pas. Depuis la naissance du "boss", il avait bâti cette collaboration et cette confiance unique. Chacun existait parce que l'autre existait. Il n'avait pas le droit d'abandonner et en particulier face à cette île sournoise. Il avait su la dompter, parfois. Il devait oublier la plénitude trompeuse qu'elle lui offrait. Quelques signes de pluie à l'horizon se dessinaient à présent et le décidèrent à essayer un nouveau "sentier". Il avait repéré la présence d'une bifurcation sur le sentier maudit. De longs virages, des montées, des descentes et puis il entrevit enfin face à lui un objet. Un objet grand, brillant et aux multiples facettes: il avait tourné en rond et était revenu à la clairière du début ! Il s'effondra au pied de sa première trouvaille. Toutefois après l'avoir inspectée avec plus de détails que la première fois, il s'empressa de la collecter. Il comprit que, comme beaucoup d'autres, il avait été manipulé par cette île, qu'il avait perdu beaucoup de temps à chercher la perfection et que finalement le plus intéressant se trouvait devant lui depuis le départ. Une goutte d'eau, puis une autre tomba sur la "pépite". Le signal du "boss".
Le "boss", ce n'était autre que moi, et je sortais de ma douche. Vito, ma fidèle imagination, comme très souvent revenait en héros de l'ile de la Page Blanche. Il a su suivre les "sentiers" de l'inspiration et résister tant bien que mal au doux et enivrant parfum de la procrastination. Cela faisait des jours que je tournais en rond dans mon bureau, flirtant peu à peu avec les doutes de l'écrivain. En lutte avec cette torture mentale, j'avais besoin de renouveau pour balayer le vide qui habitait ma pensée. Grâce à sa persévérance sans failles pour me ramener une idée, sa "pépite", je peux à nouveau coucher sur le papier des récits enthousiastes. Pour tous ceux qui ont tenté un jour de tenir une plume, cet éclat imprévisible de l'imagination est une délivrance, notre petite renaissance à nous.
Vito est déjà reparti. Ne tarde pas trop mon ami, mes charmants lecteurs et moi-même t'attendons impatiemment pour une prochaine nouvelle.