Moi Dionysos, fils de Zeus et Sémélé,
Dieu vivant parmi les mortels,
Dieu errant sur cette terre aimée,
Préférant la rugosité du sol sous mes pieds nus aux douceurs des parquets d'or de
... [+]
– 47 euros cinquante. Vous payez par carte ou en liquide ?
Louis fait la grimace. Pour un minimum vieillesse cette somme n'est pas anodine. Cela fera encore trois jours de jeûne ce mois-ci ! Mais l'obsession qui l'habite ne s’embarrasse pas de ce genre de contingences. Ce feu qui brûle en lui n'a jamais cessé de le consumer. Jamais, l'humidité des pierres du hameau tourangeaux de son enfance n'a pu en éteindre la flamme. Jamais le souffle méchant de ses camarades d'internat au collège n'a pu l'étouffer. Leur jeu de mot préféré résonne encore à ses oreilles.
– T'habites à combien de kilomètres de Tours ?
C'était à l'heure de la douche. Juste avant l'humiliation. Le meneur s'appelait Jean. Peut-être voulait-il lui faire payer d'être né dans le même village que lui ? Ce village dont personne ne devait sortir. Mais ses pires ennemis ne furent ni Jean ni les professeurs qui le raillaient, mais bien les mathématiques et la physique. Les chiffres dansaient dans sa tête et les formules se chevauchaient les unes les autres en une gigantesque orgie d'où sortaient ces cris immondes :
– Tu n'es pas de la fête. Jamais nous ne te laisserons pénétrer nos secrets. Reste à la porte et rentre chez toi !
Il les avait écouté. Il était rentré chez lui et avait failli pleurer en voyant le visage satisfait de son père.
– Je t'avais dit que tu n'étais pas fait pour les études. Maintenant, il va s'agir de retrousser ses manches et de se mettre à bosser !
A quatorze ans, sa peau avait commencé à durcir au contact des outils de chantier. A l'inverse, son cœur devint sensible. Il lui montrait la tristesse et la solitude sous chacun des sourires ou des colères de ses contemporains. Peut-être n'y voyait-il que le reflet de sa propre vie ? Toujours est-il, qu'il fit le serment de mettre son grain de sable dans la mécanique de souffrance que les hommes entretenait malgré eux.
La ville avala son hameau. Ses parents étaient morts. Autour de sa maison branlante, poussaient les pavillons de ceux qui avaient fait des études. Tous les matins, ils partaient en direction de Tours et n'en revenaient que le soir pour avoir le plaisir de regarder la télévision en se sachant entouré d'un petit jardin. Louis avait trouvé un emploi d'éboueur. Il regrettait que son père ne l'ait pas vu. Papa était parti trop tôt, mais Louis était certain que du ciel, celui-ci était rassuré de savoir que son fils avait un emploi stable. Il poussa le portail délabré qui délimitait le petit terrain qui entourait sa maison. Comme après chaque pluie, l'humidité en avait fait gonfler les planches et il fut obligé de donner un coup d'épaule pour l'ouvrir. Le bruit lui rappela ce jour de janvier 1991 où les média du monde entier résonnèrent du fracas des bombardements. L'opération Tempête du désert venait de faire entrer la guerre du Golfe dans tous les foyers. C'est à l'instant où il vit en direct un missile faire exploser une jeep, qu'il réalisa la responsabilité écrasante du pétrole dans la plupart des destructions que subissait le monde et qu'il décida de trouver une alternative à ce carburant : une essence qui se trouverait partout, en quantité suffisante pour rassasier la gloutonnerie de voitures toujours plus nombreuses.
– Bonsoir, Monsieur Mercier !
– Oh ! Bonsoir, Yumiko. Pardonnez moi, je rêvassais...
– Maman m'a envoyé le colis avec curry japonais. Je vais faire ce soir. Vous voulez manger avec moi ?
Louis hésite. Généralement, il évite de trop se lier avec les étudiantes qu'il héberge pour améliorer ses revenus. Elles ne font que passer. Mais Yumiko est différente. Elle est un peu la fille qu'il n'a jamais eu. Car son obsession d'aider l'humanité l'en a paradoxalement écarté. Il a fait son éducation scientifique dans les magazines qu'il trouve dans les poubelles, piochant ça et là toutes les informations qui pourraient l'aider. Mais, tout comme au collège, les mots se dérobaient devant ses tentatives de les comprendre et il passa des nuits entières à décrypter quelques lignes. Comment se faire des amis quand on passe ses soirées à lire chez soi ? Mais peut-être que ce soir, il touchera au but. Il a bien le droit de se réchauffer auprès de cette âme pur.
– Ce sera avec plaisir, Yumiko. Je dois aller bricoler un peu, mais je vous rejoins. 19H30 vous convient-il ?
– Oui. Je suis contente. Je dirai à maman.
La joie de Yumiko lui déchire le cœur.
Louis sort dans l'arrière-cour et se dirige vers le vieux garage qui n'a jamais abrité de voiture. Il vérifie que personne ne l'observe puis sort la clé qui ne quitte jamais son cou et ouvre le cadenas. Une fois à l'intérieur, il s'enferme et allume la lumière. Devant ses yeux, apparaît le fruit du travail de toute une vie. À sa gauche, se dresse un énorme alambic cuivré d'un autre siècle marié de la plus monstrueuse manière à des robots ménagers. À sa droite, sur une petite table de bois, un antique moteur de Solex semble sous perfusion. De fins tuyaux de caoutchouc le relie à une étrange machine dont s'échappent des fils, des tubes et d'autres pièces métalliques dont personne, à part lui, n'aurait pu comprendre la raison d'être. Louis l'a baptisé le Fembuteur. Femcarburateur serait plus juste, mais dans l'optique d'une commercialisation, Fembuteur est plus accrocheur. Il y greffe le matériel qu'il vient d'acheter, puis insère un thermoplongeur dans la cuve de verre qui culmine à son sommet. Il ouvre ensuite l'alambic et en tire un demi-verre d'un liquide rose pâle. La conception de ce liquide lui a été inspiré par le titre d'un article qui dépassait d'un sac poubelle. Malheureusement les trois quarts de la page avaient été brûlés. Mais ce titre a été la source de son inspiration et la direction de toutes ses recherches. Louis laisse couler le liquide dans la cuve, allume le Fembuteur, attend un moment que le liquide atteigne le moteur de Solex, puis démarre celui-ci. Il crachote, tousse, amorce un mouvement de piston, puis redevient immobile. Louis se laisse tomber sur une fauteuil d'osier. Une grosse larme vient saler ses lèvres. Le voix de son père murmure à son oreille :
– Encore raté. Quand comprendras-tu ? Tu es bête, c'est comme ça ! Même le docteur l'a dit ! Tu n'est même pas capable de comprendre une recette de cuisine.
– Tais-toi ! Tais-toi ! J'y arriverai. Il suffit juste que le liquide arrive sous forme de vapeur, c'est tout !
Mais oui ! Cette phrase qui lui a échappé contient la solution. Einstein a raison. Les plus belles idées surgissent un jour quand on s'y attend le moins. Il fait pivoter le bouton de température qui contrôlait le thermoplongeur. Un enthousiasme nouveau dirige chacun de ses mouvements. Maintenant, il pose son verre à la sortie de l'alambic et en tourne le robinet. Hélas, pas une goutte n'en sort. L'alambic est vide. Louis laisse échapper un soupir douloureux. Il faut qu'il poursuive son expérience avant le repas. Après il n'en aura plus le cœur. Comme s'il avait vieilli de mille ans, il sort un flacon de chloroforme et un mouchoir, ouvre la porte du hangar et crie :
– Yumiko, pouvez-vous me rejoindre dans le garage ? J'aimerais vous faire participer à une expérience qui changera la face du monde !
Quand il entend les petits pas qui se dirigent vers lui, il se dit que la destinée est bien cruelle de lui avoir donné cette passion qui détruit tout. Si seulement, il n'était pas tombé sur ce bout de page parlant de l'essence de la féminité.
Louis fait la grimace. Pour un minimum vieillesse cette somme n'est pas anodine. Cela fera encore trois jours de jeûne ce mois-ci ! Mais l'obsession qui l'habite ne s’embarrasse pas de ce genre de contingences. Ce feu qui brûle en lui n'a jamais cessé de le consumer. Jamais, l'humidité des pierres du hameau tourangeaux de son enfance n'a pu en éteindre la flamme. Jamais le souffle méchant de ses camarades d'internat au collège n'a pu l'étouffer. Leur jeu de mot préféré résonne encore à ses oreilles.
– T'habites à combien de kilomètres de Tours ?
C'était à l'heure de la douche. Juste avant l'humiliation. Le meneur s'appelait Jean. Peut-être voulait-il lui faire payer d'être né dans le même village que lui ? Ce village dont personne ne devait sortir. Mais ses pires ennemis ne furent ni Jean ni les professeurs qui le raillaient, mais bien les mathématiques et la physique. Les chiffres dansaient dans sa tête et les formules se chevauchaient les unes les autres en une gigantesque orgie d'où sortaient ces cris immondes :
– Tu n'es pas de la fête. Jamais nous ne te laisserons pénétrer nos secrets. Reste à la porte et rentre chez toi !
Il les avait écouté. Il était rentré chez lui et avait failli pleurer en voyant le visage satisfait de son père.
– Je t'avais dit que tu n'étais pas fait pour les études. Maintenant, il va s'agir de retrousser ses manches et de se mettre à bosser !
A quatorze ans, sa peau avait commencé à durcir au contact des outils de chantier. A l'inverse, son cœur devint sensible. Il lui montrait la tristesse et la solitude sous chacun des sourires ou des colères de ses contemporains. Peut-être n'y voyait-il que le reflet de sa propre vie ? Toujours est-il, qu'il fit le serment de mettre son grain de sable dans la mécanique de souffrance que les hommes entretenait malgré eux.
La ville avala son hameau. Ses parents étaient morts. Autour de sa maison branlante, poussaient les pavillons de ceux qui avaient fait des études. Tous les matins, ils partaient en direction de Tours et n'en revenaient que le soir pour avoir le plaisir de regarder la télévision en se sachant entouré d'un petit jardin. Louis avait trouvé un emploi d'éboueur. Il regrettait que son père ne l'ait pas vu. Papa était parti trop tôt, mais Louis était certain que du ciel, celui-ci était rassuré de savoir que son fils avait un emploi stable. Il poussa le portail délabré qui délimitait le petit terrain qui entourait sa maison. Comme après chaque pluie, l'humidité en avait fait gonfler les planches et il fut obligé de donner un coup d'épaule pour l'ouvrir. Le bruit lui rappela ce jour de janvier 1991 où les média du monde entier résonnèrent du fracas des bombardements. L'opération Tempête du désert venait de faire entrer la guerre du Golfe dans tous les foyers. C'est à l'instant où il vit en direct un missile faire exploser une jeep, qu'il réalisa la responsabilité écrasante du pétrole dans la plupart des destructions que subissait le monde et qu'il décida de trouver une alternative à ce carburant : une essence qui se trouverait partout, en quantité suffisante pour rassasier la gloutonnerie de voitures toujours plus nombreuses.
– Bonsoir, Monsieur Mercier !
– Oh ! Bonsoir, Yumiko. Pardonnez moi, je rêvassais...
– Maman m'a envoyé le colis avec curry japonais. Je vais faire ce soir. Vous voulez manger avec moi ?
Louis hésite. Généralement, il évite de trop se lier avec les étudiantes qu'il héberge pour améliorer ses revenus. Elles ne font que passer. Mais Yumiko est différente. Elle est un peu la fille qu'il n'a jamais eu. Car son obsession d'aider l'humanité l'en a paradoxalement écarté. Il a fait son éducation scientifique dans les magazines qu'il trouve dans les poubelles, piochant ça et là toutes les informations qui pourraient l'aider. Mais, tout comme au collège, les mots se dérobaient devant ses tentatives de les comprendre et il passa des nuits entières à décrypter quelques lignes. Comment se faire des amis quand on passe ses soirées à lire chez soi ? Mais peut-être que ce soir, il touchera au but. Il a bien le droit de se réchauffer auprès de cette âme pur.
– Ce sera avec plaisir, Yumiko. Je dois aller bricoler un peu, mais je vous rejoins. 19H30 vous convient-il ?
– Oui. Je suis contente. Je dirai à maman.
La joie de Yumiko lui déchire le cœur.
Louis sort dans l'arrière-cour et se dirige vers le vieux garage qui n'a jamais abrité de voiture. Il vérifie que personne ne l'observe puis sort la clé qui ne quitte jamais son cou et ouvre le cadenas. Une fois à l'intérieur, il s'enferme et allume la lumière. Devant ses yeux, apparaît le fruit du travail de toute une vie. À sa gauche, se dresse un énorme alambic cuivré d'un autre siècle marié de la plus monstrueuse manière à des robots ménagers. À sa droite, sur une petite table de bois, un antique moteur de Solex semble sous perfusion. De fins tuyaux de caoutchouc le relie à une étrange machine dont s'échappent des fils, des tubes et d'autres pièces métalliques dont personne, à part lui, n'aurait pu comprendre la raison d'être. Louis l'a baptisé le Fembuteur. Femcarburateur serait plus juste, mais dans l'optique d'une commercialisation, Fembuteur est plus accrocheur. Il y greffe le matériel qu'il vient d'acheter, puis insère un thermoplongeur dans la cuve de verre qui culmine à son sommet. Il ouvre ensuite l'alambic et en tire un demi-verre d'un liquide rose pâle. La conception de ce liquide lui a été inspiré par le titre d'un article qui dépassait d'un sac poubelle. Malheureusement les trois quarts de la page avaient été brûlés. Mais ce titre a été la source de son inspiration et la direction de toutes ses recherches. Louis laisse couler le liquide dans la cuve, allume le Fembuteur, attend un moment que le liquide atteigne le moteur de Solex, puis démarre celui-ci. Il crachote, tousse, amorce un mouvement de piston, puis redevient immobile. Louis se laisse tomber sur une fauteuil d'osier. Une grosse larme vient saler ses lèvres. Le voix de son père murmure à son oreille :
– Encore raté. Quand comprendras-tu ? Tu es bête, c'est comme ça ! Même le docteur l'a dit ! Tu n'est même pas capable de comprendre une recette de cuisine.
– Tais-toi ! Tais-toi ! J'y arriverai. Il suffit juste que le liquide arrive sous forme de vapeur, c'est tout !
Mais oui ! Cette phrase qui lui a échappé contient la solution. Einstein a raison. Les plus belles idées surgissent un jour quand on s'y attend le moins. Il fait pivoter le bouton de température qui contrôlait le thermoplongeur. Un enthousiasme nouveau dirige chacun de ses mouvements. Maintenant, il pose son verre à la sortie de l'alambic et en tourne le robinet. Hélas, pas une goutte n'en sort. L'alambic est vide. Louis laisse échapper un soupir douloureux. Il faut qu'il poursuive son expérience avant le repas. Après il n'en aura plus le cœur. Comme s'il avait vieilli de mille ans, il sort un flacon de chloroforme et un mouchoir, ouvre la porte du hangar et crie :
– Yumiko, pouvez-vous me rejoindre dans le garage ? J'aimerais vous faire participer à une expérience qui changera la face du monde !
Quand il entend les petits pas qui se dirigent vers lui, il se dit que la destinée est bien cruelle de lui avoir donné cette passion qui détruit tout. Si seulement, il n'était pas tombé sur ce bout de page parlant de l'essence de la féminité.