Les murs(mures)

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Noé, 25 ans, écrivain amateur qui scribouille entre deux lectures.

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Nouvelles :
  • Imaginaire
C'est comme un bruit de souris. Un grattement dans le mur, de tout petits sons qui m'attrapent quand je tends l'oreille. Mais mes murs sont en pierre et, si je ferme les yeux, ce murmure étrange prend la forme de mots.

s-l---la--

J'ai l'habitude, maintenant, de ce drôle de raclement d'ongle qui remonte près de moi quand je tourne les pages de mon livre. C'est comme d'entendre la conversation des voisins. Lointaine, diffuse. Dérangeante. Je m'y accommode. Pour un si bel appartement, c'est un défaut mineur. Je prends volontiers le bruit tant que les murs lourds de lierre et de glycine, le jardin et le salon ensoleillé viennent avec. Ce confort plein de nature, où mon chat va et vient, vaut bien le sacrifice du silence.

j--e---i-

Le murmure glisse de jour comme de nuit – mais à l'heure du soleil, je l'oublie. Mon travail m'occupe et m'accapare, et le son n'est qu'un détail qui se mêle à la mosaïque des murs.
C'est de nuit, quand les ombres avalent ma fenêtre et que le chant de la ville se tasse, que ces mots m'apparaissent.

D'autres diraient que cet appartement est hanté. C'est ce que mon compagnon aurait pensé. Déjà qu'il détestait cet endroit. Ces anciennes façades de pierre pleines de plantes grimpantes et d'odeurs fleuries. Le vent qui s'engouffre par une fenêtre mal fermée et le parquet gondolé. Il n'avait pas le goût du vieux ni du sauvage. À se demander ce qui l'a amené à moi.
Je l'entends encore geindre.

-e-e--s---ir

Le soleil se couche et je profite de mes bruits de souris, avant de trouver le sommeil. Le lendemain, le monde est toujours le même.

Il y a des gens qui s'inquiètent de ce genre d'anomalies. Je ne comprends pas pourquoi. Un bruit, c'est inoffensif. Ces mêmes gens ne s'effraient pas du brouhaha des travaux au pied de leur immeuble, ni des cris des enfants qui jouent dans la rue.
Et puis, j'avoue que c'est amusant de voir mes invités hausser le sourcil quand ils attrapent un mot qui ne vient pas de ma bouche. Ils tiquent, l'oublient aussitôt. L'esprit humain trouve toujours un moyen de rationaliser ce qui est hors de sa portée. Ils jettent la faute aux voisins, j'imagine.

pi---é

Mais aujourd'hui je n'ai personne à accueillir et le travail m'appelle. Il faut bien trouver de quoi verser le loyer de ce cocon. Mon thé avalé sous un rayon de soleil, je glisse une main dans le pelage de mon tendre félin et retrouve mon livre. C'est de là que je tire ma source de revenus. Tout le monde ne comprend pas, et certains voient cette activité comme un loisir immature. Ils ne me prennent pas au sérieux.
À leur place, j'aurais aussi des doutes. Ce genre d'activité en rebute plus d'un. Mais n'est-ce pas justement ce qui joue en ma faveur ?

J-v----or--r

J'attrape l'ouvrage. La couverture est dure, cachée sous un cuir épais que le temps a abîmé. Mais j'aime mon grimoire comme il est, marqué par l'usage et le temps. Ses pages tachées d'une encre éclaircie, pleines des mots que j'y ai inscrits. D'anciennes formules amassées comme des trésors, de-ci de-là, des sorts et des recettes. Je descends au jardin récolter ce qui a poussé, le thym et le laurier, range les quelques poils de chats que j'ai attrapés dans une sacoche.

Dans les escaliers, je les sens qui me suivent.

P-r-it--

Les voisins ne se sont jamais plaints. J'imagine qu'ils n'entendent rien. Ou bien, ils font comme les autres. Ils jettent la faute au murmure du vent, à la musique en fond ou à leur imagination. Après tout, les maisons ne sont jamais complètement silencieuses, pourvu qu'on tende l'oreille.

Mon grimoire ouvert, je caresse le dessin d'une plante identique à la belladone que je cultive au fond du jardin. Ses baies noires et lisses brillent au creux de la main. Mon compagnon les exécrait. C'était trop sauvage pour lui et son amour de la pelouse minutieusement taillée. Il aurait préféré une haie de rosiers.

l--ss--o-ss--t-ir

Mais les rosiers ne me sont d'aucune utilité. Les sorts qui les réclament se comptent sur les doigts d'une main et sont dépourvus d'intérêt. Chasser les mauvaises odeurs, empoisonner les serpents. D'aucuns racontent qu'elles repoussent le mauvais esprit. Mais le mauvais esprit est une invention humaine qui excuse les erreurs et la malchance. Une justification pour ce qu'ils ne savent expliquer.

Mon pilon en main, j'attrape ce qu'il me faut et broie d'un geste sec. On m'a demandé un remède pour les cors aux pieds hier, et le client doit passer dans la soirée. Il a de la chance, mes baies sont à point.

Je-enp--e

Encore une chose que mon compagnon n'aimait pas. Mes onguents le répugnaient. Il n'y voyait qu'une occasion de se moquer quand il invitait des amis. Ça m'irritait - mais là encore, c'était à mon avantage.

Je tasse ma préparation dans un pot. L'odeur est ignoble, mais le client sera satisfait du résultat. Il ne trouvera pas mieux en pharmacie. Aucun médecin ne saurait lui fournir un remède de ce niveau et il le sait, comme tous ceux qui viennent me voir. Ils paient au prix fort un savoir que d'autres méprisent. 

Lai--e-ois-r--ir

Mon compagnon regardait toujours cet argent d'un mauvais œil. Il parlait d'entourloupe et d'affabulation, mais je sais qu'au fond, il aurait préféré que je me contente du peu qu'il me donnait. Que je reste sage, à ma place, à hocher la tête quand il le demandait. Si j'avais travaillé au garage ou à la boulangerie de la rue, il aurait trouvé une nouvelle excuse.
Malheureusement pour lui, ni le pain ni la mécanique ne m'intéressent.

Une sonnerie. J'empoigne mon téléphone.
 Allô ?
C'est une toute petite voix, claire de peur.
 Que puis-je faire pour vous ?
 Je suis bien chez... Enfin...
 Oui.
Une voix hésitante et résignée, comme le sont celles qui n'appellent pas par curiosité.
 J'ai un problème.
Elle se racle la gorge.
 Un problème avec... quelqu'un.
 Quelqu'un de proche ?
Je caresse distraitement les pages de mon grimoire.
 Quelqu'un avec qui je vis, elle avoue.
Une réponse familière. Je sais que j'ai ce qu'il lui faut.
 Passez me voir demain, dans la matinée.
 Merci.
À nouveau le silence. Je repose mon téléphone.
 
Mon numéro ne figure pas sur les annuaires. Il circule de lèvre en lèvre, et ceux qui se le font passer partagent souvent les mêmes angoisses. Rien d'étonnant à ce que je répare les mêmes problèmes.
Ça me convient.

Le grimoire est déjà ouvert à la bonne page. C'est un sortilège complexe, mais il fait des merveilles. Il sera prêt d'ici demain.

Sil--plai-

Mon compagnon m'a ri au nez, quand j'ai évoqué ce sortilège.
Je n'ai qu'à tendre l'oreille pour savoir comme il regrette.

Laisse -oi sort-r

Caressant les murs, j'appuie mon oreille contre la pierre froide. 

Pitié

Puis je retourne à mon grimoire. Il me reste des commandes à honorer, et j'ai un immense respect pour la confiance que mes clients m'accordent.
Ceux-là, au moins, m'apprécient à ma juste valeur.
 

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