Les mots du cœur

《 Partagé entre agriculture et écriture, ma plume s'est posée sur une terre fertile, et avec elle, rime ma belle vie de polygame. L'écriture est la voie royale vers la discipline où chaque pas ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part, la nôtre aurait pu commencer un soir d’été entre quatre murs. Allongé, l’esprit évasif, je m’interrogeais sur ma dernière année de licence. Surtout sur la manière dont j’affronterais cette fameuse épreuve des soutenances. Je m’y voyais déjà. De mon lit, je pouvais ressentir toute la pression qui se lisait seulement la veille sur le visage de nos ainés, comme on aimait affectueusement les appeler. Avoir été témoin que même les moins éloquents à s’y soumettre réussissaient pourtant à y survivre, m’apaisait le temps d’un battement de cils. Mais inlassablement, mes pensées revenaient sur l’un des passages délicats, connu par l’un ou l’autre des candidats : une hésitation, un bégaiement, un examinateur pointu sur les questions. Il n’en fallait pas plus pour qu’à nouveau je me demandasse, si je pourrais surmonter ces moments-là. Le temps me paraissait figé et les mêmes questionnements repassaient incessamment en boucle dans ma tête. Sans aucune lumière à l’horizon de ce tunnel d’anxiété qui viendrait me sortir de ma torpeur.

Visiblement, mon insouciance sur les aires de jeux de l’université dans l’après-midi était très loin déjà et laissait place à une angoisse grandissante. Pourtant mon tour n’arriverait plus tard que dans un an. Avoir décidé de ne pas suivre l’avant dernier jour des présentations me paraissait comme le meilleur des choix de ménager mes émotions. Assis à les suivre, je ne pouvais m’empêcher de me dire : « Notre promotion sera la prochaine à s’y soumettre. » De ma place je partageais les émotions du candidat en face, cela en rajoutait à mon angoisse. C’était sans aucune hésitation que je préférai une transpiration par mon sport favori à de nouvelles sueurs froides.

J’avais à cœur de mériter ma réputation d’excellent joueur acquise auprès des résidents universitaires, chaque fois que je jouais. Devenu ami avec la plupart d’entre eux à travers le foot, de nature plutôt réservée, il me rapprochait plus facilement des gens. À la fin de la partie, je m’empressai de rejoindre ma cabine où une bonne douche m’attendait. Un studio réservé pour deux que je m’arrangeai à en être le seul occupant. Il permettait aux moins nantis, qui venaient de déménager dans une nouvelle ville pour des études universitaires, d’avoir un logement décent. Mais très vite la gaieté qui régnait dans les résidences, ainsi que les rencontres qu’elles favorisaient, finissaient par séduire ceux qui pouvaient s’offrir une location d’appartement. Il n’était pas rare de retrouver de nouveaux arrivants, à la fois locataires et résidants universitaires. La situation était telle que les plus démunis s’y trouvaient de moins en moins une place. Barrés par les plus aisés qui se payaient la leur sur la nouvelle liste des dossiers retenus pour intégrer les résidences. Le nombre de chanceux n’ayant pas soudoyé jusqu’au dernier des plantons, de la direction des œuvres universitaires et sportifs, diminuait année après année. Dans le même temps, le cortège de ceux qui avaient toutes les peines du monde à s’acquitter de la somme forfaitaire ne dégarnissait guère. Voilà comment je me suis retrouvé avec les deux clés de ma cabine, ayant payé le double. Un vrai marché s’organisait ; entre ceux qui revendaient leur place aux plus chers de leur prix et la connivence avec le chef cité pour occuper la place d’un défaillant. Le plus offrant finissait par remporter les enchères.

Il n’était pas non plus rare d’entendre de bouche à oreille que telle résidente aurait payé par son corps le droit de cité. Coureur de jupon qu’il était, le chef cité, trouvait tous les moyens pour attirer l’une de ses convoitises dans son bureau, qu’il verrouillait à double tour. Par le plus heureux des hasards, ce dernier se trouvait dans la résidence réservée aux filles.
A chaque nouvelle liste des reçus en résidence pour les neuf prochains mois que dureraient l’année universitaire ; un bal de va-et-vient se succédait pendant des jours en direction du bureau de monsieur Casimir. Il venait d’entamer sa deuxième année de service, toujours avec le même sourire laconique que dégageait son visage aux rides bien marquées. Ventru, de moyenne taille, de loin on pouvait facilement le distinguer de par sa démarche bien caractéristique, des bras qui avaient l’air de vouloir prendre leur envol. Selon certaines indiscrétions, il aurait dans son bureau une pièce secrète qui lui faisait office de chambre à coucher. Cependant, elles étaient bien connues, les longues heures qu’il y passait tard dans la nuit après celles de service.

C’est dans cette succession de files, que pour la première fois, mes yeux se posaient sur Ella. Je me disais : « Tiens voilà une qui n’a pas pu se trouver à temps une chambre à louer. » La cité des Koburus était devenue une ville en chantier. Il ne se passait pas un jour où de nouvelles constructions ne poussaient de terre. La demande était si forte qu’avant la fin des travaux chaque chambre se trouvait déjà son premier locataire. Les nouveaux étudiants pour ne pas à leur dépaysement rajouter l’épineuse course au logement, payaient la caution des chambres avant même qu’elles ne devenaient habitables. « Ou peut-être qu’elle souhaite faire comme moi ? » Me demandais-je à nouveau : moi qui occupait la même pièce depuis ma première année et qui avait pourtant un appartement à quelques mètres de l’université. Je ne m’étais jamais résigné à m’en séparer malgré n’avoir jamais pu arriver à m’y plaire. À chaque fin de mois depuis maintenant deux ans, le propriétaire en percevait la redevance. Je n’y laissais que les documents des années antérieures dont je n’avais plus besoins. Aussi quelques ustensiles de cuisines, et un matelas douillé, pour m’y rendre seulement lorsque l’envie de changer de décor me prenait. Mais que ce soit l’un ou l’autre de ces cas, lorsqu’on franchit le seuil du bureau du CC, c’est pour disputer de clé de cabine.

Très vite ma réalité me rattrapa, le laps de temps que cette silhouette particulière me la faisait oublier venait de passer. L’amertume me regagnait, mon cœur saignait à nouveau, il ne manquait que des larmes sur mon visage inondé de tristesse. Ce jour-là, je venais de recevoir un coup de massue sur la tête, Lucie, celle avec qui je sortais depuis un an déjà, venait tout juste de me faire un aveu. Un peu plus tôt elle m’appela pour savoir si je me trouvais dans ma loge. Je lui répondis que j’y étais mais que je devrais bientôt me rendre sur le terrain de foot où l’on m’attendait pour commencer la partie. Bien aidée par sa moto, elle me rejoignait quelques minutes plus tard.

— Comment vas-tu chérie?

— Pas tellement bien Alex, j’ai quelque chose à te dire mais promets-moi moi de ne pas te fâcher après.

J’avais du mal à la reconnaitre, sa nature joviale et la lueur dans ses yeux avaient disparu, jamais nos conversations n’avaient pris un ton aussi sérieux. Mais résolu à vite me libérer de ce contretemps pour ne pas essuyer les remontrances de mes partenaires de jeu, rapide fut ma réponse sans tergiverser.

— Ok, je t’écoute, ne t’inquiète pas.

— Je m’étais rendue la dernière fois chez un vieil ami...

La voix tremblante, elle s’arrêta, elle ne pouvait plus retenir ses larmes et dans un dernier effort comme si elle se faisait violence, elle finit par me dire :

— Il m’a embrassé par surprise, je me suis laissée faire comme pour voir jusqu’où il voulait aller, il m’a déshabillé mais avant que le pire ne se produise je me suis sauvée. 

Au fur et à mesure qu’elle me décrivait la scène, une peur grandissait en moi, la peur de l’entendre sortir les mots : « J’ai couché avec un autre homme », et à la fin elle laissa bientôt place à des suspicions. J’en étais rapidement arrivé à me dire que si cela avait pu se produire, l’histoire s’était terminée autrement. Me retrouvant assis à même le sol désespérément à la quête d’un réconfort. Lucie me jura qu’elle me disait la vérité, qu’elle ne savait pas ce qui l’avait prise, qu’elle ne pouvait pas me cacher son égarement au nom de l’amour qu’elle me vouait et me demanda de lui pardonner...
En manque d’air je sortis de la chambre, laissant derrière moi des échos de larmes et mes envies de jouer. Je pouvais tout pardonner à celle que j’aimais sauf une trahison. La fin de son histoire n’y changeait rien. L’âme meurtrie, je pris la décision de la quitter, d’enterrer nos rêves et nos projets, de me concentrer uniquement sur mes études.

Ella venait de s’installer, aider par sa cousine avec qui elle partageait l’une des cabines de la résidence des filles. Je m’y rendais souvent pour prendre des unités de communication. Certaines étudiantes en faisaient le commerce pour en tirer de petits revenus. Je frappais donc à l’une des portes où se lisait : « Ici en vente des unités. »

— Oui ! Que voulez-vous ?

— J’aimerais prendre des unités.

La voix à laquelle je venais de répondre ne m’étais guère familière. Je pouvais entendre le bruit de ses pas s’avancer vers la porte et après l’instant d’attente, elle l’ouvra.

— S’il te plaît, n’est-elle pas là, Brunelle ?

— Oui, entrez ! Elle est sous la douche.

Brunelle tout comme moi occupait la même cabine depuis deux ans déjà à la différence d’avoir une colloque et toujours la même. À l’exception de cette année, rejoint par son jeune frère qui venait d’obtenir son baccalauréat, les parents de sa meilleure amie décidaient de les installer dans une location. Mon opération de recharge effectuée, je me dirigeais vers l’escalier de sortie lorsqu’une autre voix, elle aussi non familière m’arrêta : « S’il vous plaît ! » En me retournant, j’aperçu pour la seconde fois Ella et cette fois-ci de plus près. Elle était à la recherche du numéro de cabine du président du bureau des résidents, ce à quoi je n’avais eu aucun mal à l’aider. Il s’agissait de Charles, un ami, nous étions inscrits dans la même faculté et j’étais son ainé de promotion. Serge et Floris, eux aussi membres du bureau des résidents, nous y attendaient. Elle insista ardemment ensuite pour que je la raccompagne après s’être inscrite sur la liste des résidants. Contraint de la ramener jusqu’à sa porte, pendant qu’elle me remerciait pour ma sollicitude, je la quittais avec un signe d’au revoir.

— Alex, c’est qui encore celle-là ?

Charles sans frapper à la porte, venait de se précipiter dans ma cabine, suivi de Serge et Floris.

— Personne, je viens de la rencontrer tout comme vous.

Un soulagement pouvait se lire sur leur visage, ils étaient tous tombés sous le charme de la belle Ella et venaient de s’apercevoir que je ne serais pas un obstacle à leur quête. Dans leur enthousiasme, ils se lançaient le défi que le premier parmi eux qui arriverait à l’attirer dans son lit empocherait la mise de 15.000 FCFA. En me quittant ils ne manquaient pas l’occasion de me le rappeler comme à leur habitude, que je pouvais mettre n’importe quelle fille dans mon lit mais que je n’en faisais rien. « Etait-ce à cause de mon visage juvénile qui contrastait avec mes vingt-et-un ans ou ma peau de teint clair qui attirait sur moi les regards ? » Comme les autres fois j’esquissai juste un sourire sans y répondre. Ma récente séparation aurait pu y changer quelque chose sans la promesse que je m’étais faite.

J’avais du mal à trouver le sommeil, toujours plongé dans ma crise d’anxiété. Depuis ma dernière rencontre avec Lucie j’avais le stress à fleur de peau. Ses nombreuses tentatives de me revoir et ses nombreux messages ne m’auront pas fait changer de décision. Je  souffrais certes dans l’âme de son absence. Il sonnait déjà minuit et je cherchais désespéramment les bras de Morphée quand j’entendis taper à la porte.

— Qui est-ce, à une heure pareille ?

— Alex, c’est moi !

C’était la voix d’Ella derrière la porte, le visage lourd d’insomnie après avoir hésité à me lever, je me dirigea vers la porte et l’ouvris.

— Puis-je entrer ?

— Oui, fais comme chez toi !

Je l’invitais à s’asseoir sur la chaise à côté des deux lits superposés en m’allongeant. Elle déclina mon invitation, s’asseyant sur le bord du lit, me fixant d’un regard affectueux. Elle me raconta son long périple pour me retrouver. Qu’elle s’était rendu chez Charles qui semblait avoir oublié le numéro de ma cabine. Ensuite, qu’elle s’était résolue à demander de l’aide à chaque résident qu’elle croisait. Enfin qu’elle fut récompensée de sa persévérance, quelqu’un lui ayant servi de guide jusqu’à ma porte. Un moment de silence s’installa ensuite, je fermai les yeux, elle venait de s’allonger près de moi et je pouvais sentir son regard sur moi. Elle qui était vite devenue au-delà de mes amis, la convoitise de tous les résidents. L’air déçu que je ne semblais pas m’intéresser à elle, elle demanda à prendre congé de moi. Je la ramenai chez elle après avoir habillé ses épaules dénudées avec l’une de mes chemises à longue manche pour la protéger du froid. Les jours qui suivirent nous rapprochaient de plus en plus et peu à peu ma carapace se fissurait.

Le vent se faisait désirer, la nuit semblait se vider de toute sa chaleur pour laisser place à l’harmattan. Débout, me tenant au balcon de mon arrière-cour, je venais de recevoir un message d’Ella qui m’invitait à la rejoindre chez elle. Après le bain que réclamait mon corps, je m’y rendis. Seule, sa cousine était en voyage et son retour n’était prévu que dans trois jours. Assis côte à côte, elle me mettait mal à l’aise. Elle venait de poser sa main sur la mienne comme si elle ressentait toute ma fébrilité ; rapprochant ses fines lèvres de mon oreille droit, elle me murmura : « Moi je ne trahirai jamais ta confiance, je t’ai aimé au premier regard, tu es celui que mon cœur désire et celui avec qui j’ai envie de vivre ma première fois. » J’étais sous le choc, à dix-huit ans, une fille aussi belle et sûre d’elle venait de me faire entendre quelque chose de très rare pour son âge. Je me rendis compte que si je devais confier sans crainte mon cœur de nouveau à une fille que ça ne pouvait être qu’elle. Je faisais confiance à l’amour pour une nouvelle fois, je faisais confiance à l’amour pour une dernière fois.