Les lueurs de Balkouma

Toute histoire commence un jour, quelque part, et la mienne commence dans un petit village de Yala, où vivait un homme appelé Balkouma (grand sorcier), chassé du village pour cause de sorcellerie. Balkouma et son fils Massy allèrent un peu loin dans les confins du village où ils vivaient leur misère et solitude. Un jour, étalé sur son lit fait en cinq bois d’arbres soutenus par quatre fourches, il scruta encore les lueurs de la journée qui ont de partout traversé le toit de sa case dont une partie s’est affaissée, il se tourna et se retourna encore, puis tenta de se lever paresseusement en s’appuyant sur son coude droit. Le voilà enfin assis sur son lit d’infortune, il baillait, la bouche grandement ouverte, les yeux semi-clos puis referma sa bouche, en faisant craquer ses dents. D’un revers de main il nettoya nonchalamment ses yeux, resta un moment immobile, la tête légèrement inclinée et soutenue par une de ses mains, balayant d’un regard ce qu’il y a comme fortune dans cette case de misère puis redressa la tête, les mains soigneusement jointes, Une sorte de désespoir le gagnait mais, il fit un effort pour se dépasser. Entre temps, Son fils Massy se dirigea vers une veille calebasse pyrographée, seul héritage que sa mère lui avait laissé avant sa mort ; il s’en saisissait, repoussa légèrement le bout du secko qui sert de battant à leur porte puis ressortit, S’étira un moment, retourna vers son père, une loque humaine allongée sur une natte de roseaux où la flamme avait presque rongé une partie. Balkouma leva péniblement sa tête et tenta d’identifier celui dont les pats venaient de troubler sa quiétude. Une main tenait la calebasse à moitié pleine tandis que l’autre écarta le battant de la porte en secko en partie détruite par les termites.
Père, lança enfin Massy :
- As-tu bien passé la nuit ?
- Excellente par la grâce du ciel, mais ton avenir me préoccupe. Tu sais mon fils, la misère, l’exclusion, sont certes des phénomènes irréversibles au sein de toute société humaine mais ce qui m’obsède c’est ce que tout le village nous rejette sans égard. Peut-être que cette rupture du maillon social qui fait de nous les rejetons est sans aucun doute naturelle mais...
Soudain, ils entendirent quelqu'un frapper à la porte. Le père se précipita pour ouvrir et à sa grande surprise, il aperçut le chef du village qui, d’un ton calme, lui adressa un bonjour puis lui demanda s’il n’a pas reçu la convocation qu’il lui a été envoyé hier. Étonné, Massy attendit patiemment l’objet de cette visite du chef, s’approchant davantage de son père en vue de s’enquérir de ce que celui-ci aura à dire à son père.
Balkouma très émotionné par une visite d’une personnalité aussi importante du village, multipliait des salutations, faisait des courbettes. Tout cela n’a aucunement éveillé la sympathie du chef qui somma la pauvre famille de le suivre sans retard puis, prit congé. Ils se demandèrent ce qui pouvait bien encore arriver. S’agirait-il d’évacuer encore ce lopin de terre ? inutile de perdre le temps. Balkouma retourna dans sa cabane, portait son grand boubou rongé par le temps, puis prirent la route en direction de chez le chef du village. La peur dans l’âme, ils cheminèrent à queue leu. Il était 5h, certain villageois n’ont manifestement pas encore exprimé leurs désirs de quitter le lit.
D’aucun par contre se sont déjà regroupés sous l’arbre à palabre chez le chef.
Arrivèrent alors les deux infortunés. Les regards haineux et méprisant de cette foule les terrifiaient, mais ; d’un moral de fer, ils se maîtrisèrent et parvinrent à prendre place un peu à l’écart. Les menaces furent palpables. Mais de quoi seront-ils reprochés au juste ?
Arriva un juré, puis le chef du village, qui s’installa majestueusement, racla sa gorge, salua l’assemblée puis ordonna a Balkouma et son fils de venir s’installer au milieu, ce qui fut fait. Les veines du cou du vieil étendu annonçaient son profond désarroi. Mais il n’était pas à son coup d’essai, le même sort lui a été déjà réservé un an après la mort de sa pauvre épouse lorsqu’on l’avait accusé de sorcellerie et expulsé de chez lui pour les confins du village.
Ce jour-là, le brusque décès de l’épouse de son voisin lui fut imputé. Tout le village s’accordaient à dire que la sorcellerie est d’une valeur sacrée pour leur clan. Mais cette fois-ci, il entend résister quel qu’en soit le prix. Sous une pluie d’injures et des railleries le père et le fils attendaient à connaitre l’objet de cette convocation. Une nette accalmie se fit observer lorsqu’un homme se leva, se détacha du groupe et se dirigea pour prendre place au milieu de l’assemblée. En ce moment, un silence de mort s’installa, Le vieil homme jeta un regard furtif sur son accusateur sans bien comprendre de quoi il sera accusé. Ensuite, regarda autour de lui, aucun semblable n’est prêt à les soutenir. Aucun ne fut de leur coté. Ils semblaient évidemment isolés de tous. Dès lors, ces deux infortunés se rendirent compte qu’ils vont désormais être seuls face à l’épreuve. Cette atmosphère les déstabilisait complètement. Le vieil homme baissa la tête, la releva, regarda droit vers le juré, racla sa gorge et attendit. Apparemment il semblait reprendre courage. Un silence soudain s’installa lorsque le chef prit la parole en ce terme :
- Balkouma, Massas est venu se plaindre auprès de nous en ce sens que tu aurais envoûté sa sœur. Ainsi si tu es appelé ici, c’est pour confirmer ou infirmer cette accusation.
- Chef, dit Balkouma, je ne prétends pas convaincre cette assemblée mais...
Il fut interrompu par une rafale d’injures...
- De grâce, souffrez de m’écouter reprend-il inlassablement d’une voix lézardée tandis que les larmes perlant encore aux paupières tombèrent sur ses joues creuses. Je comprends vos courroux, mais la sorcellerie dont je fais actuellement l’objet doit être démontrée ; j’aurais souhaité que vous, notre chef demandiez a Massas de prouver ma culpabilité. Je vous assure que moi et mon fils n’avons pour rêve et désire que de vivre avec vous sans inquiétude.
Un des sages composant le juré, se tournant vers le chef et demanda La parole. Elle lui fut donnée. En ces termes, il tenta de convaincre cette assemblée :
- Avons-nous perdu le bon sens ? aillons un peu d’égard pour cet homme et son fils que d’aucuns connaissent pourtant bien. Vous ne pourriez isoler ces êtres dans un si effroyable solitude. A mon avis, je pense que leur malheur actuel c’est d’être tout simplement des misérables créatures, née pauvres. Je ne prétends nullement défendre leur cause ; mais je vois dans les yeux de Balkouma un homme au cœur meurtris. Chers frères, donnons a Massas et ses frères l’opportunité de nous démontrer la culpabilité de cet homme.
Le chef se tourna légèrement vers Massas, lui demanda de prouver la culpabilité de balkouma vis-à-vis de sa sœur. Ce dernier, beaucoup réconforté par les soutiens de la communauté, prit la parole :
- chef, personne ne prétend ne pas connaitre les origines de Balkouma. Ainsi nous savons tous qu’ils sont d’origine sorcière car la mère de Balkouma l’a été au su et vu de toute la communauté. Ma sœur malheureusement est tellement malade que nous ne pourrions la faire venir ici, mais, elle nous a fait savoir que le dimanche passé, elle venait du marché hebdomadaire lorsque Balkouma l’a rencontré sur le chemin du retour. Celui-ci lui a adressé une salutation tout en regardant, les yeux écarquillés le panier garni de poissons qu’elle rapportait du marché. Arrivée à la maison, la nuit venue, elle a eu un rêve qui faisait apparaitre clairement Balkouma en train de vouloir l’étrangler. Elle s’est débattue et s’est levée pour enfin avertir son mari. Le lendemain matin, alors quelle tentait de ce lever pour balayer à l’accoutumée sa cour, elle fut retenue sur son lit d’abord par une forte fièvre, s’en suit alors cette horrible maladie. Tous ces faits relatés suffisent pour que nous accusions Balkouma et nous tenions que celui-ci relâche sans tarder notre sœur.
En ce moment-là, un des goumiers (sujets) du chef s’approcha de celui-ci, se penchant vers lui, et lui glissa à l’oreille un message. Le contenu semble difficile à décrypter par la foule. Celui-ci acquiesça le conseil de son subordonné et ordonna aussitôt qu’on aille chercher le devin. Sans tarder, il rejoint ce monde de curieux sous l’arbre à palabre avec un coq à la main. Après avoir pris connaissance de la déclaration des deux antagonistes, il se leva, fit des incantations, invoqua des esprits, dégaina un couteau de sa ceinture puis trancha la gorge du coq puis le lâcha. Au cours de cette opération, lorsque le coq égorgé puis lâché tombe sur le dos, Balkouma sera innocenté mais dans le cas où le coq tombe sur le ventre, celui-ci sera déclaré coupable d’envoûtement de la sœur de Massa aussitôt dit, aussitôt fait. Toute l’assistance retint son souffle puis après plusieurs soubresauts la pauvre volaille s’aplatit sur son ventre par ce geste, pas un seul mouvement. Le sort de Balkouma vient d’être scellé. Personne de sa communauté ne lui pardonnera.
La position hasardeuse de la mort brutale de cette pauvre volaille vient trancher nette : Balkouma est le sorcier envoûteur de la sœur de Massas. Pauvre Balkouma !
Cette vision de la vie de communauté africaine constitue un mystère. Lorsque vous êtes pauvres tous vos gestes et fait sont interprètes comme preuves de sorcellerie. L’homme dans son essence (existence) est un être superstitieux. Les habitants du village ou habite Balkouma sont hautement superstitieux. Les pratiques pareilles font l’unanimité au sein de la communauté et Balkouma en paye les frais.
Cette misérable créature vient d’être à tort ou à raison désigné coupable de la maladie de la sœur de Massas.
Depuis ce matin cette foule était là pour suivre cette affaire point par point. Les enfants ravitaillaient de temps en temps leurs parents en eau. Le devin n’a toujours pas dit son dernier mot vis-à-vis de Balkouma. La nuit tombait pourtant, le disque doré de l’horizon va lentement se cacher derrière la forêt sacrée du village. L’impatience commençait à gagner la foule. La faim et la fatigue troublaient leur détermination. Mais les plus coriaces s’accrochaient imperturbables à leur place. Pour eux, Balkouma devrait leur rendre vaille que vaille compte. Les pressions s’accentuaient sur le devin. Mais celui-ci gardait courageusement le silence. Ceux qui étaient là commençaient à déguerpir mais proférant des menaces et en exigeant du chef que Balkouma remette l’âme de leur sœur dès demain, le contraire lui coutera chers. Alors, le devin intervint enfin, et déclare :
- Ce n’est pas maintenant que je suis devin et ce n’est pas aujourd’hui que je démasque vous, sorciers par cette méthode que mes aïeux m’ont léguée... Balkouma ! Celui-ci d’une voix nonchalante répond :
- Oui...
Et au devin d’enchainer :
- rend l’âme de la pauvre dame, sœur de Massa pour éviter toutes disconvenues, sinon la suite de cette affaire m’inquiète. tu risques d’être livré au lynchage ou au verdict populaire dès demain matin.
Balkouma s’approcha du devin et déclara d’une voix tremblante, pleine de peur et d’angoisse :
- Homme, mon semblable, depuis la nuit de temps, les pauvres, les riches, les sujets, les chefs et les monarques, vivaient tous dans la même cité. Quant a moi, je ne comprends vraiment pas de quoi vous m’accusé, je ne suis jamais de près ni de loin l’envouteur de la sœur de Massas.
Dans la colère le devint rétorque :
- Tu mets en doute le résultat de mon travail ?
- tu mérites en ce moment même d’être châtié. Nous regrettons d’être très clément à ton égard ; et voila que tu feins ne pas reconnaitre l’envoutement de la pauvre dame, alors que mes recherches ancestrales l’on clairement prouvé. Rend l’âme de la sœur de Massas, tu l’as gardée encore chez toi.
Ne sachant comment pour convaincre ses bourreaux, celui-ci versa quelques gouttes de larmes, et attendit désormais la sentence, la mort par lynchage.
Les hurlements de colère, les pressions qui fusent de partout sur le pauvre homme attirèrent l’attention d’un garde-chasse, seul fonctionnaire de l’état déployé dans la région. Celui-ci s’approcha davantage du domicile du chef de la communauté d’où venais les cris et interrogea quelques curieux qui s’y trouvent :
- Que se passe-t-il ?
Cette question tarda à trouver sa réponse ; cependant un homme a l’allure joviale s’avança, puis, d’une main pointée vers le milieu de la foule dévoile :
- Il s’agit d’un sorcier, mangeur d’âmes des gens. D’après les pratiques de notre devin, il fut accusé d’avoir envoûté une femme.
- Manger l’âme d’une personne ? comment ça !
- Mais oui monsieur...
- Pourrais-je voir le chef ?
Il fut aussitôt conduit auprès du chef qui l’accueille avec beaucoup d’empressement et politesse, lui expliqua brièvement l’affaire.
Le chasse-garde le supplia d’ordonner à ce qu’on le conduise au chevet de la présumé envoûtée. Ce qui fut fait sans trop de réticence. Arrivé au domicile de la malade, accompagné du chef et des plus proches parents de celle-ci, il constata que la malade serait en train de souffrir probablement d’un paludisme. Il recommanda à ce qu’elle soit d’urgence transporté à l’hôpital de Yala où résidait un médecin appelé communément par les habitants de la localité ‘doctor’ les proches se concertèrent à huis clos, puis s’exécutèrent. La malade fut alors évacuée dans ce dit centre. De là, la diagnostique du médecin fut sans appel :
Il s’agit bien du paludisme chronique. Pas de temps à perdre. Celle-ci recevra des soins appropriés qui lui permirent de se rétablir en quelques heures. Les sourires commençaient à s’afficher aux lèvres de tous ceux qui étaient présent et qui n’avaient nullement cru qu’il s’agirait du paludisme. Apres quelques jours, La sœur de Massa fut définitivement guérie. Le chef se résigna de libérer Balkouma et son fils qui, jusque-là étaient en garde à vue chez lui.
C’est ainsi que Balkouma et son fils, sans compensation aucune, rentrèrent chez eux. Ils retrouvèrent leur cabane de misère derrière laquelle s’étalaient des bouquets d’arbres mais aussi des herbes épaisses tapissant la cour, demeures des souris et des serpents parfois venimeux avec lesquels ils se partageaient la chambre de fortune. C’est donc non, sans raison que chaque jour qui passe, Balkouma pense à la mort. Il reconnait que dans son village lorsqu’on est misérable on ne peut plus s’attendre aux soutiens des proches et plus souvent mis à la lisière du village. Aucun des parents ou parfois rarement ne vous vienne en aide, vous ne bénéficiez de leur sympathie que sauf le jour de votre disparation. C’est donc qu’en ce moment que la largesse de votre communauté vous sera accordée.