Jean a garé la vieille camionnette brinquebalante devant la maison. Il porte un sac sur l'épaule qui le fait fléchir, c'est lourd le papier... Il avance avec précaution pour ne pas glisser sur une ... [+]
A celui qui lui demandait pourquoi, sans être breton, il aimait tant la Bretagne, il répondait : "Autant demander à un parisien s'il aime l'air pur". Et si l'on insistait sur ses connaissances de la région, il avait cette phrase à vous clouer " Faut-il avoir lu tout Victor Hugo pour l'aimer?" Hugo il s'appelait, mais ça n'avait rien à voir. Un jour, au lycée, il avait lu « Les Djinns » du recueil « Les Orientales », ce poème qui débute par des vers de deux pieds, enfle en son milieu jusqu'au décasyllabe et retombe dans le silence, à nouveau sur deux pieds, quand les génies, après avoir effrayé les hommes, s'effacent et retournent d'où ils sont venus. Il avait trouvé ce poème aussi magnifique par son contenu que par l'image géométrique du texte, un demi-losange, une presque voile.
Des histoires de marins sur les flots déchaînés, on en a tous rêvé. Ou bien, enfant, de pompiers qui sauvent le monde ou de voyageurs qui le parcourent. Il était venu s'installer ici, à la pointe de la péninsule, au bout de ce nez d'Armorique par où s'engouffre, en siphonnant, le bon air frais du pays. Pourquoi pas ici, avait-il fini par se dire, hostile à ces hordes de sudistes bronzant alignés comme des brochettes, piètre buveur de bière de l'Est et déçu par la linéarité de la côte aquitaine. Il s'était si bien fondu dans le paysage, avait si loyalement adopté les coutumes de ces gens rudes et taiseux, qu'on l'appelait, au début par dérision, plus tard par admission, « le Breton ».
Mais n'est pas breton qui veut. Et marin encore moins. La mer, il ne la prit jamais, se contentant de visiter les îles ou les phares quand les éléments le permettaient. En revanche, il devint, un comble, la meilleure adresse locale pour... les galettes de sarrasin. Après tout, chacun fait avec les moyens du bord. Lui, son bord n'était pas celui d'un chalut malmené par la houle mais celui de la plaque chauffante qu'il fallait ébarber sans relâche, aux heures de pointe. Piètre marin donc, il affrontait « ses » marées humaines, ces amateurs qui envahissaient bruyamment son échoppe chaque soir et n'en repartaient que les bras chargés de ses fameuses galettes. Son bateau, c'était cette boutique qu'il racheta pour une bouchée... de crêpe, transforma et affubla de cet étrange nom : « Les Djinns ». Quand on lui demandait pourquoi, et pourquoi pas... par exemple : « Chez Hugo », il répondait : « Moi je me comprends, vous n'avez qu'à lire Victor », mystérieux et l'œil guilleret, tout en étalant une louchée de pâte sur le disque brûlant, pour une nouvelle galette dorée.
Puis, afin que la croisière fût parfaite, une « seconde » fit son apparition au gouvernail de la baraque, Louisette, à la gouaille si joyeuse et qui n'avait pas son pareil pour maintenir le cap jusqu'à la fermeture. Si bien qu'on pouvait se demander ce qui tous les soirs attirait plus les foules, les galettes ou Louisette. Hugo finit par installer un vrai bar, derrière lequel sa Louisette fit recette. En effet, les bénéfices doublèrent en six mois et il fut question d'ouvrir un second établissement. Qui n'ouvrit jamais. Ulysse, un marin aux yeux bleus et au prénom homérique, pas si jeune, un briscard pour tout dire, qui drainait l'air du large en faisant escale ici à chaque retour de pêche, embarqua la Louisette sur son chalutier, un vrai celui-là, avec des tas de filets verdâtres, un treuil et tout ça...
C'est un nuage de fumée noire qui donna l'alerte. Une galette oubliée ou pire... un sabotage. La pâte carbonisée lança une première flammèche sur le rouleau blanc servant à emballer. La cabane s'enflamma comme une torche et avec sa coque en bois et ses produits gras, le petit navire sombra dans une tempête de feu. Le corps d'Hugo ne figurant pas parmi les décombres, on ne parla ni de suicide ni de meurtre. Juste de disparition.
Comme dans le poème, tout avait commencé en douceur. Culminant à l'arrivée de ce Djinn aux yeux bleus, la tension était redescendue, digérée par le temps. L'histoire se fondit dans les rues du village et une nouvelle légende courut. Hugo avait gagné mais les légendes sont dangereuses et notre héros s'y brûla les ailes. L'enseigne "Les Djinns", si mystérieuse pour une crêperie, disparut à jamais, dans l'indifférence. Quoique d'aucuns l'aperçurent dans d'autres ports, chanteur de tavernes ou conteur pour enfants, Hugo resta introuvable. Demeure Victor.
Des histoires de marins sur les flots déchaînés, on en a tous rêvé. Ou bien, enfant, de pompiers qui sauvent le monde ou de voyageurs qui le parcourent. Il était venu s'installer ici, à la pointe de la péninsule, au bout de ce nez d'Armorique par où s'engouffre, en siphonnant, le bon air frais du pays. Pourquoi pas ici, avait-il fini par se dire, hostile à ces hordes de sudistes bronzant alignés comme des brochettes, piètre buveur de bière de l'Est et déçu par la linéarité de la côte aquitaine. Il s'était si bien fondu dans le paysage, avait si loyalement adopté les coutumes de ces gens rudes et taiseux, qu'on l'appelait, au début par dérision, plus tard par admission, « le Breton ».
Mais n'est pas breton qui veut. Et marin encore moins. La mer, il ne la prit jamais, se contentant de visiter les îles ou les phares quand les éléments le permettaient. En revanche, il devint, un comble, la meilleure adresse locale pour... les galettes de sarrasin. Après tout, chacun fait avec les moyens du bord. Lui, son bord n'était pas celui d'un chalut malmené par la houle mais celui de la plaque chauffante qu'il fallait ébarber sans relâche, aux heures de pointe. Piètre marin donc, il affrontait « ses » marées humaines, ces amateurs qui envahissaient bruyamment son échoppe chaque soir et n'en repartaient que les bras chargés de ses fameuses galettes. Son bateau, c'était cette boutique qu'il racheta pour une bouchée... de crêpe, transforma et affubla de cet étrange nom : « Les Djinns ». Quand on lui demandait pourquoi, et pourquoi pas... par exemple : « Chez Hugo », il répondait : « Moi je me comprends, vous n'avez qu'à lire Victor », mystérieux et l'œil guilleret, tout en étalant une louchée de pâte sur le disque brûlant, pour une nouvelle galette dorée.
Puis, afin que la croisière fût parfaite, une « seconde » fit son apparition au gouvernail de la baraque, Louisette, à la gouaille si joyeuse et qui n'avait pas son pareil pour maintenir le cap jusqu'à la fermeture. Si bien qu'on pouvait se demander ce qui tous les soirs attirait plus les foules, les galettes ou Louisette. Hugo finit par installer un vrai bar, derrière lequel sa Louisette fit recette. En effet, les bénéfices doublèrent en six mois et il fut question d'ouvrir un second établissement. Qui n'ouvrit jamais. Ulysse, un marin aux yeux bleus et au prénom homérique, pas si jeune, un briscard pour tout dire, qui drainait l'air du large en faisant escale ici à chaque retour de pêche, embarqua la Louisette sur son chalutier, un vrai celui-là, avec des tas de filets verdâtres, un treuil et tout ça...
C'est un nuage de fumée noire qui donna l'alerte. Une galette oubliée ou pire... un sabotage. La pâte carbonisée lança une première flammèche sur le rouleau blanc servant à emballer. La cabane s'enflamma comme une torche et avec sa coque en bois et ses produits gras, le petit navire sombra dans une tempête de feu. Le corps d'Hugo ne figurant pas parmi les décombres, on ne parla ni de suicide ni de meurtre. Juste de disparition.
Comme dans le poème, tout avait commencé en douceur. Culminant à l'arrivée de ce Djinn aux yeux bleus, la tension était redescendue, digérée par le temps. L'histoire se fondit dans les rues du village et une nouvelle légende courut. Hugo avait gagné mais les légendes sont dangereuses et notre héros s'y brûla les ailes. L'enseigne "Les Djinns", si mystérieuse pour une crêperie, disparut à jamais, dans l'indifférence. Quoique d'aucuns l'aperçurent dans d'autres ports, chanteur de tavernes ou conteur pour enfants, Hugo resta introuvable. Demeure Victor.
Oui, la Bretagne, indispensable aux amoureux d'authenticité et des rudesses du paysage maritime... ( et des crêpes, le meilleur des repas complets ! )
Belle description des paysages et des ambiances.
Merci !
Une histoire à la fois douce et terrible et une écriture qui coule comme une source au milieu d'un pré.