— Agathe, ne te penche pas trop de ce côté, tu sais que le soleil n'est pas bon pour toi. Où en étais-je ? Ah, oui, deux mailles à l'endroit ; j'espère que ça lui plaira. Parce que ça va ... [+]
Mon père n'était pas maniaque, non, il n'était pas névrosé, non plus, il était inquiet. Une inquiétude sournoise qu'il traînait depuis son enfance car n'ayant jamais rien eu à lui, il mettait à l'abri le peu qu'il lui restait. Il était né sous une étoile filante associée au signe astrologique de l'écureuil véloce sans pour autant avoir eu de dispositions pour la finance mais sûrement plus pour la provision, version « au cas où ».
L'époque s'y prêtait d'ailleurs, après la guerre la société de consommation n'avait pas encore prit son essor, jusqu'au milieu des « seventies » bien des choses restaient relativement rares, tout au moins pas aussi accessibles qu'aujourd'hui. De plus, son étoile filante de naissance l'ayant poussé à embrasser une vie itinérante, l'écureuil véloce trouva hors de l'hexagone un environnement à sa mesure dans lequel sa nature profonde put s'épanouir.
Dans un large périmètre autour de nos différentes habitations il était impossible de trouver le moindre clou, la plus petite visse ou boulon, l'écureuil était passé par là. La visse, le boulon, le bouton, le clou, le ressort, l'élastique était promptement mis dans une boîte, pas n'importe quelle boîte cependant. C'eut été trop simple, des boîtes de café ou de lait en poudre, enfin de ces boîtes qui laissent voir le contenant. Elles abritaient les plus gros sujets, les plus petits spécimens trouvaient place dans d'anciennes boîtes de médicaments, à l'époque souvent métalliques, ou bien dans des grosses boîtes d'allumettes. Tout ça au nom du principe sacro saint « au cas où, ça servira bien un jour ».
Ces boîtes à leur tour étaient regroupées dans des boîtes à chaussures, au passage on aura compris que chez nous les boîtes avaient plus d'une vie, qu'il était hors de propos de les jeter. La boîte à chaussures a deux avantages majeurs, son format parallépipèdique permet l'empilement, le rangement dans un carton, il est possible aussi d'écrire sur son couvercle, avec application en écriture ronde ou en anglaise « visses, clous » voire même parfois « divers ».
Le carton, réceptacle des boîtes est issu du commerce de denrées périssables, de l'électronique ou simplement d'un déménagement. Un vrai carton de boîtes se reconnaît à ses coins usés et même abîmés, à des traces de gros ruban adhésif, et aussi à ces inscriptions maintes fois barrées et rectifiées. On ne le retrouve pas n'importe où, il est toujours là où il ne devrait pas être. Car le carton a une vie, c'est un être sensible et indépendant qui a peur de se montrer. Si vous recherchez un carton, soyez bien sûr que ce sera le tout dernier au fond, sous les autres cartons qui le cachent, car les cartons sont solidaires.
Ainsi donc, nous empilions avec ordre et méthode nos boîtes et nos cartons. De temps en temps, mon père sonnait l'alarme sous la pression d'une urgence, prioritaire, forcément : « as tu vu mon...? », forcément son garçon était le premier soumis à la question : « tu n'as pas pris le.. ? », invariablement l'anxiété montant, il passait au « ce n'est pas possible, on a encore touché à mes affaires, je l'avais mis dans ma boîte ! » A ce moment là, surgissait l'arbitre du foyer, ma mère, qui lui rappelait : « avec ta manie de mettre les petites boîtes dans les grandes, les grandes dans les carton,» c'était reparti pour un tour. Le temps de retrouver la petite boîte qui, allez savoir pourquoi, était allée se cacher dans un tiroir, du meuble qui avait changé de place, comme la maison, comme la ville, comme le pays.
Au bout du voyage, le carton est le témoin des jours anciens. Certains s'ouvrent après plusieurs décennies libérant l'odeur d'antan, plus que ce qu'ils contiennent c'est là leur seul vrai trésor, exhalaison d'enfance, de période enchantée qui s'évanouit doucement sous notre nez.
Un jour, mon père a arrêté ses pérégrinations, il est parti rejoindre son étoile filante ; lorsqu'il fallut refermer sa dernière boîte, il manquait un boulon.
Avec ma sœur nous l'avons regardé une dernière fois, il ne bougeait pas, ce n'était pas une farce ultime de l'écureuil.
Pourtant ils ne l'ont jamais retrouvé ce boulon, ils ont du aller en prendre un dans leur boîte à eux, leur boîte de « au cas où ».
L'époque s'y prêtait d'ailleurs, après la guerre la société de consommation n'avait pas encore prit son essor, jusqu'au milieu des « seventies » bien des choses restaient relativement rares, tout au moins pas aussi accessibles qu'aujourd'hui. De plus, son étoile filante de naissance l'ayant poussé à embrasser une vie itinérante, l'écureuil véloce trouva hors de l'hexagone un environnement à sa mesure dans lequel sa nature profonde put s'épanouir.
Dans un large périmètre autour de nos différentes habitations il était impossible de trouver le moindre clou, la plus petite visse ou boulon, l'écureuil était passé par là. La visse, le boulon, le bouton, le clou, le ressort, l'élastique était promptement mis dans une boîte, pas n'importe quelle boîte cependant. C'eut été trop simple, des boîtes de café ou de lait en poudre, enfin de ces boîtes qui laissent voir le contenant. Elles abritaient les plus gros sujets, les plus petits spécimens trouvaient place dans d'anciennes boîtes de médicaments, à l'époque souvent métalliques, ou bien dans des grosses boîtes d'allumettes. Tout ça au nom du principe sacro saint « au cas où, ça servira bien un jour ».
Ces boîtes à leur tour étaient regroupées dans des boîtes à chaussures, au passage on aura compris que chez nous les boîtes avaient plus d'une vie, qu'il était hors de propos de les jeter. La boîte à chaussures a deux avantages majeurs, son format parallépipèdique permet l'empilement, le rangement dans un carton, il est possible aussi d'écrire sur son couvercle, avec application en écriture ronde ou en anglaise « visses, clous » voire même parfois « divers ».
Le carton, réceptacle des boîtes est issu du commerce de denrées périssables, de l'électronique ou simplement d'un déménagement. Un vrai carton de boîtes se reconnaît à ses coins usés et même abîmés, à des traces de gros ruban adhésif, et aussi à ces inscriptions maintes fois barrées et rectifiées. On ne le retrouve pas n'importe où, il est toujours là où il ne devrait pas être. Car le carton a une vie, c'est un être sensible et indépendant qui a peur de se montrer. Si vous recherchez un carton, soyez bien sûr que ce sera le tout dernier au fond, sous les autres cartons qui le cachent, car les cartons sont solidaires.
Ainsi donc, nous empilions avec ordre et méthode nos boîtes et nos cartons. De temps en temps, mon père sonnait l'alarme sous la pression d'une urgence, prioritaire, forcément : « as tu vu mon...? », forcément son garçon était le premier soumis à la question : « tu n'as pas pris le.. ? », invariablement l'anxiété montant, il passait au « ce n'est pas possible, on a encore touché à mes affaires, je l'avais mis dans ma boîte ! » A ce moment là, surgissait l'arbitre du foyer, ma mère, qui lui rappelait : « avec ta manie de mettre les petites boîtes dans les grandes, les grandes dans les carton,» c'était reparti pour un tour. Le temps de retrouver la petite boîte qui, allez savoir pourquoi, était allée se cacher dans un tiroir, du meuble qui avait changé de place, comme la maison, comme la ville, comme le pays.
Au bout du voyage, le carton est le témoin des jours anciens. Certains s'ouvrent après plusieurs décennies libérant l'odeur d'antan, plus que ce qu'ils contiennent c'est là leur seul vrai trésor, exhalaison d'enfance, de période enchantée qui s'évanouit doucement sous notre nez.
Un jour, mon père a arrêté ses pérégrinations, il est parti rejoindre son étoile filante ; lorsqu'il fallut refermer sa dernière boîte, il manquait un boulon.
Avec ma sœur nous l'avons regardé une dernière fois, il ne bougeait pas, ce n'était pas une farce ultime de l'écureuil.
Pourtant ils ne l'ont jamais retrouvé ce boulon, ils ont du aller en prendre un dans leur boîte à eux, leur boîte de « au cas où ».