Les baskets de ma vie

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"Elle avait juste besoin que quelqu'un la regarde de la façon dont elle regardait le monde..."

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Si ce n'est l'éventualité d'un changement de président, je n'aurais jamais pensé que cette journée d'élection bouleverserait ma vie à ce point. En ce pluvieux dimanche de mai, il y a trois ans, j'enfilai avec peu d'entrain mes baskets trouées pour rejoindre le bureau de vote, à quelques minutes de sa fermeture. Le regard accusateur de mon chat, après une journée de procrastination, m'avait poussé à sortir de ma couette pour aller accomplir mon devoir de citoyen.

J'arrivai trempé et dans un état miteux à l'intérieur de cette petite école qui accueillait les isoloirs. Comme à mon habitude, j'effectuais discrètement mon rituel électoral : prendre une bonne poignée de bulletins du candidat que je ne soutenais pas pour ensuite les jeter. Superstition sans doute (surtout à quelques minutes de la fin du scrutin), mais limiter son tas de bulletins me donnait l'impression de lui ôter des voix. C'est avec cette sensation d'agir héroïquement pour le bien de mon pays que j'entrai dans le dernier isoloir vide.

Et c'est là que ma vie a changé.

Alors que j'essayais de faire rentrer tant bien que mal mon petit papier dans l'enveloppe, mon regard fut instantanément attiré vers une paire de baskets rouges aux lacets violets qui se tenait dans l'isoloir voisin. Je n'en avais jamais vu de pareilles. C'était comme un soleil, mais version baskets. Accompagnées de jolies jambes. Sur la peau nue de la propriétaire des chaussures se dessinait, au-dessus du talon, une discrète envolée d'hirondelles.

Mes baskets ne voulaient plus partir d'ici. Moi non plus d'ailleurs. Comme pour mieux l'imaginer, je prêtai l'oreille aux moindres mouvements de la mystérieuse fille aux chaussures rouges, qui semblait indécise. Et peut-être aussi un peu maladroite. Appelons cela un faux mouvement, ou le destin : ses bulletins s'étalèrent au sol et sa petite enveloppe atterrit à mes pieds.

D'un geste décidé, ma basket ridicule trouée droite et moi-même la glissions de son côté pour la lui restituer. « Merci ! ». Le son de sa voix, puis le doux éclat de rire provoqué sans doute à la vue de ma chaussure me firent à nouveau décoller. Elle rit de plus belle quand, troublé, je fis à mon tour malencontreusement tomber le tas de bulletins que je destinais à la poubelle. Il paraît que pour séduire une fille, il faut la faire rire. Mais le problème, c'est que plus elle riait, plus c'est moi qui tombait amoureux !

Il me sembla que je ramassais des milliers de bulletins... Quel crétin d'en avoir pris autant ! Les baskets rouges avaient quitté l'isoloir voisin. Après avoir enfin tout remis dans ma poche, je sortis précipitamment du mien en les cherchant du regard. Sans succès.

Je décampai de l'école en trombe. À l'autre bout de la place, je crus apercevoir ma Cendrillon aux souliers rouges tourner à l'angle de la rue.

Sans hésiter, je lui ai couru après. Elle était là, elle avançait dos à moi sous son parapluie jaune, me laissant découvrir, plus haut que ses mollets, une petite robe noire froissée et des cheveux bruns en fouillis.

Aujourd'hui, elle s'avance face à moi, avec ce sourire qui illumine mes jours depuis trois ans. Au bras de son père, elle remonte l'allée centrale de l'église Saint-Marc. Elle est magnifique... Dans sa robe blanche... et ses jolies baskets rouges.

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