Lègue-moi ta force

Toute histoire commence un jour, quelque part. La nôtre dans une simple enveloppe blanche tâchée d’encre.
Je la regarde sans pouvoir la prendre, la tête à mille lieues de là. Et pourtant, je suis venue de plein gré chercher la réponse de ma destinée. Je pense toujours au meilleur avant le pire. Pourtant, en cet instant, cette paralysie prouve le contraire. Mes yeux remplis d’eau, mes mains qui tremblent, ma peau qui frissonne. Toutes des preuves de ma peur.
J’ai conscience que quelqu’un me secoue, je reviens au présent. Je tends la main vers ce rectangle de papier qui décidera de mes émotions.
Je cours plus que je marche, prendre un bus. Là, assise je laisse couler ma frustration. Chaque goutte marquant le poids de ma douleur. L’incertitude me rogne les os. En plein été, j’ai les mains froides.
Comment un bout de papier peut ainsi contrôler mon âme.
Le seul choix que j’ai, c’est d’ouvrir ou pas cette enveloppe et mettre fin à mon agonie. Encore qu’ici rien n’est sûr.
Ma curiosité l’emporte sur la bienséance. J’ouvre avec beaucoup de précautions l’enveloppe et je déplie la feuille. Les yeux guettant un langage médical que je comprendrais. Même après ma troisième lecture, je n’étais pas plus avancée que ça. Mon moteur de recherche en ligne, sans pitié, m’a éclairé. Tous mes pires doutes s’alignaient devant moi.
En quelque minute, je me suis jouée le film de ma vie désormais. Encaissant chaque étape sans anesthésie.
Des pairs yeux inspirant pour la plupart le dégout me fixaient. Que penser d’une jeune fille sanglotant à la lecture d’une enveloppe blanche. Les conclusions sont peu nombreuses et non rassurantes. Le débat de la débauche juvénile s’instaure rapidement dans la puanteur des sueurs, du tabac et de l’alcool. Je deviens le sujet de débat dans cet autobus surchargé.
S’ils savaient comme j’aurais préférée être tout ce qu’ils décrivaient
Des tonnes de questions, d’incertitudes s’entrechoquaient dans ma petite tête. Je pense à mes grands-parents, ont-ils été atteints sans qu’on le sache. Est-ce héréditaire ? Pas que je m’inquiétais pour ma personne, non je cherchais seulement une explication à tout ça.
Je n’arrête pas de me demander pourquoi. Est-ce qu’à un moment de la durée, elle a fait quelque chose de grave et le moment est venu de payer. Est-ce qu’elle a été trop exposée à la technologie ?
Je fus tentée de déchirer l’enveloppe. Dire au médecin que je l’ai égarée. Il aurait alors demandé de refaire le test.
La douleur qu’elle a endurée au moment de l’examen et après, m’en a dissuadée.
J’ai remis l’enveloppe au médecin d’un air coupable. Il m’a pardonné mon impair. Faut dire que la situation inspirait pitié.
Il savait que je savais. Je savais qu’il savait.
Aucun étonnement sur son jeune visage. Peut-être est-il habitué au pire et s’y attendait. Je lui ai demandé s’il y avait moyen que ça soit erroné. Il ne m’a pas rassurée. Comment pouvait-il quand il fut le seul à avoir une réponse sensée.
Pourtant, je persiste à douter de lui. C’était pour moi le seul moyen de m’attacher à un brin d’espoir. Ça ne pouvait pas nous arriver.
Mon père ne pouvant pas être présent ce jour-là. Je fus donc autorisée à être là quand on lui annoncera la nouvelle. Cependant, le médecin a tenu à me faire la morale. Du genre, garde tes émotions pour toi, tu dois être forte pour elle.
Qu’est-ce qu’il en sait celui-là ?
Mais il avait raison, je dois être forte et contrôler mes émotions.
On entre dans cette salle terne puant les médocs.
Le simple fait qu’il a tiré le rideau devrait alarmer ma mère. Et pourtant, elle est restée sereine à entendre le docteur lui annoncer une fin certaine. La bombe n’a pas eu l’effet habituel et même escompté. Aucunes réactions. Pas une larme, pas un cri, ni même un bref hochement de sourcil. Je me demande encore si elle a compris l’enjeu. Rien dans son attitude ne montrait l’inquiétude.
À un certain moment, j’ai dû m’assurer qu’elle a tout compris. Lui parlant des ravages que le malin avait fait et continue à faire dans le monde. Cependant, il m’a échappé qu’elle m’avait mis au monde, qu’elle est cette femme qui pansait mes moindres maux. Cette brave femme qui m’a conseillée tant de fois. Et donc, assez intelligente soi-même pour comprendre à quel degré le malin pouvait être destructeur.
En quelque jour, j’ai appris à être forte. À refouler mes larmes pour plus tard. Mes nuits sont devenues mes jours. Et quand enfin je somnolais, mes oreilles eux restaient éveillées. Guettant le moindre soupir de ma mère qui luttait contre la douleur. Mes sens ont perdu de leur capacité. Je ne mangeais quasiment plus car, mes lèvres n’arrivait pas à faire la différence entre le doux et l’amer. Le moindre bruit m’irritait. Je suffoquais plus que je respire. Le rouge devenait gris.
Rien n’avait de sens.
J’ai eu pour elle l’attitude qu’elle devait avoir en telles circonstances.
Mon corps devenait l’habitat de toutes les émotions. Tantôt je pleurais à ne pouvoir aider, tantôt je me mettais en colère contre la lenteur, l’insouciance du système local.
Je haïssais l’infirmière qui lui enfonce la grosse aiguille. Je prenais cette même infirmière dans mes bras à l’annonce de la moindre bonne nouvelle.
Pendant que je sombrais dans l’abime, celle qui le devrait inspire courage et combat la tête altière.
Elle souffrait en silence. On pouvait voir son corps souffrir mais pas ses mots. Son sourire sincère a menti sur ce qu’elle endure.
Dans ses jours les plus sombres, elle réconfortait ses visiteurs avec la pression de ses doigts.
Sur ses ailes je l’ai vu porter le fardeau des autres. S’inquiétant toujours d’untel ou untel.
Même dans son agonie, elle souriait et partageait l’espoir d’un avenir meilleur. ‘’ Je ne combats pas le cancer, dit-elle toujours, on cohabite ensemble pendant un moment.’’ On a compris ces dires plus tard quand ce dernier a reçu des amis en visite. Le diabète étant le plus tenace d’entre tous. Ma mère en bonne colocataire a fait des concessions. S’abstient de ses plaisirs de la vie qu’elle adorait. Je l’ai vu apprendre à aimer d’autres mets qu’elle n’affectionnait jadis.
On a tous dû changer nos habitudes à un certain moment. Sous mes yeux, J’ai vu ma petite sœur grandir pour devenir une femme au foyer hoir pair. Prendre soin de la maisonnée en bras de fer. Elle décidait et nous autre, on suivait. Encore aujourd’hui, je la regarde avec admiration.
Mon père, lui, multipliait les heures supplémentaires, travaillant même les dimanches. Car il fallait continuellement transférer de l’argent en terre étrangère. Au début, je croyais que c’était pour lui un moyen de s’évader. Plus tard, il est devenu évident que c’était le meilleur moyen d’aider.
On ne pouvait pas tous être avec elle quand elle est partie à la recherche de meilleurs soins. L’un de mes petits frères a été celui qui pouvait l’accompagner. Puisque même bouger lui était difficile, il a dû prendre soin d’elle. Lui donner à manger, brosser ses dents et même la coiffer. Il lui faisait même une manucure dans ses meilleurs jours. La situation n’était pas idéale mais, jamais, je ne lui ai entendu rechigner. Il épargnait les moindres centimes pour éviter qu’on s’inquiète pour autre chose que la maladie.
Comme mon père, je ne pouvais pas quitter le travail pour aller lui rendre visite. Ainsi, il ne se passait un jour sans qu’on se téléphone. Elle me racontait ses journées et me demandait souvent de lui traduire des mots. Elle voulait pouvoir remercier les infirmières et montrer sa reconnaissance à tous ces gens qui lui venaient en aide. Ces moments avec elle m’apaisaient grandement.
À tous les ‘’comment vas-tu ?’’ Je répondais que je vais bien pour éviter que je souffre à expliquer. Pendant longtemps, mes lèvres ont continué à murmurer l’espoir que mon esprit refusait de croire. Pourtant, nous avons été sauvés sans l’avoir su, quand des années à l’avance on a approuvé sa demande de visa. Un brin d’espoir quand elle est partie consulter des spécialistes.
Je suppliais, quémandais grâce à celui qui peut tout.
Le premier verdict parlait de jour quand le deuxième planifiait les années. Et depuis l’espoir renait.
Hier quand le téléphone sonnait, je frissonnais d’angoisse. Aujourd’hui, J’attribue à ma mère cette sonnerie qui chante la victoire. Ce lien qui rétrécie la distance devient mon plus fidèle ami.
L’espoir, J’ai appris à le cultiver serrer dans les jupons de ma mère souffrante. Le courage aussi de supporter sans rechigner.
Dans ses vieux jours, j’ai appris à être meilleure.
A un certain moment, je ne pleurais plus. Je savais que le malin pouvait reprendre force. Mais, j’avais aussi la certitude de toujours sentir la pression de sa main, le sourire sur ses lèvres et entendre ses paroles réconfortantes quoiqu’il arrive.
Avec elle, on aime plus.
Avec elle, on rit plus.
Avec elle, le choc fissure mais ne brise pas.
Sans elle, on continue à aimer, à rire, et à être bien pour soi-même et pour autrui.
La tête haute, elle continue à défier ce rongeur de cancer. Son attitude semble-t-il a eu gain de cause. L’ennemi féroce est devenu très timide.
On ne sait pas encore ce qu’il adviendra du méchant. Mais, on évite de lui accorder plus de pouvoir qu’il en a déjà.
Si elle part avant moi, j’aimerais bien recevoir sa force en héritage.