Léanne avait dans sa vie quelques tracasseries : des enfants en rébellion, une histoire de cœur en bandoulière et une situation sociale pour le moins précaire. Elle décida après deux jours... [+]
LE VENT SE LÈVERA-T-IL ENCORE ?
En ces temps d’insouciance, la coutume voulait que la fin des fêtes soit marquée, avec le soutien du zéphyr, par un lâcher de ballons. Leur envol, un court moment, disséminait ses couleurs d’arc-en-ciel au point de masquer la pureté de l’azur. Les baudruches chargées de messages pacifiques étaient supposées transmettre des valeurs que l’on espérait pérenniser. Cette mode laissa s’échapper des millions de ces vœux dont on souhaitait qu’ils traversent frontières et océans afin de porter ces intentions pieuses.
Sans doute en même temps, sur une autre rive, un de ces rassemblements d’individus paisibles et festifs, attirant des foules venues de plusieurs régions du centre se dispersaient à l’issue d’une foire. Ils étaient réunis par une passion et des besoins communs pour des jeux populaires. À cette issue, les familles s’égaillaient, repues et fatiguées, en confiant au vent marin le soin de disséminer les restes non comestibles et leurs contenants. Les plages charriaient un moment un mélange de pailles, touillettes, gobelets, dont le plastique léger formait un radeau oscillant quelques instants avant de disparaître dans les profondeurs. Cela arrivait si promptement, l’océan engloutissant ce qui sur terre offensait les regards, dispensait les humains du fastidieux travail de ramassage.
Cela se reproduisit pendant des décennies tout en laissant à la houle qui, selon les lieux géographiques est appelée de noms spécifiques mais produit les mêmes effets, le soin de balayer ce qui se trouvait sur son passage. Cela eut pour conséquence de chasser des esprits la préoccupation de ce que devenaient ses restes.
Les souffles célestes, capables de caresser un visage, soulever des jupons, étendre des bannières, hisser haut les cerfs-volants, pousser des esquifs, faire tourner les ailes des moulins à vent fournissant une énergie gratuite, étaient aimés des hommes.
Certaines régions étaient plus soumises plus que d’autres aux ventilations tièdes et capricieuses, mais la régularité des saisons laissait prévoir la survenue, plus froide, des périodes automnales où là encore leur balayage ponctuel assurerait le ménage.
Depuis que les navires marchands n’attendaient plus rien des courants naturels pour gonfler leurs voiles, exception faite de ces audacieux solitaires des mers, de considérables embarcations transportaient des vêtements. L’affectation de ces oripeaux bon marché consistait à parer quelques jours, parfois quelques heures, des poitrines de toutes dimensions ou sexe. Ces containers jouxtaient avec d’autres, innombrables, transportant d’assez vilaines poupées maquillées du même rictus. Leur destination, à brève échéance, n’avaient pas encore suscité de réflexion vraiment organisée car, parfois, leurs cargaisons n’auraient même pas le temps d’atteindre les poubelles domestiques. Elle sombraient avec le porte-container et ses énormes réserves d’hydrocarbure.
Alors, les temps changèrent.
Lorsque l’on eut le loisir ou la curiosité de lever les yeux, on commença à observer d’étranges phénomènes. Le passage d’oiseaux migrateurs, bien avant la fin des périodes saisonnières, fit remarquer des vols d’oies sauvages regagnant dès la fin février leur aire nordique. Les courants ascendants sans doute déjà tiédis les incitaient au retour. Plus étonnants et fantastiques de véritables ballets aériens, compliqués, coordonnés, captivaient les spectateurs. Au gré d’un ordre mystérieux, ils avaient l’air de répondre à un même commandement, dans un ensemble complexe. S’appuyant sur des souffles qui paraissaient magiques, des nuées de passereaux obscurcissaient l’horizon. Dans ces figures inconnues tantôt en volutes ou, par un brusque mouvement contraire en formant des spirales, des anneaux enlacés, des pelotes, ces ballets célestes troublaient. Pour inoffensifs et gracieux dans leur démonstration, le nombre de ces volatiles rendait leur vol inquiétant par leur nouveauté ou l’insolite précocité de leur passage. Toute innocence semblait perdue. Même l’installation de cigales, au-dessus de la barrière symbolique des régions méridionales, provoqua une sorte de malaise.
Vint le moment où l’instabilité climatique parvint à déjouer toutes les prévisions.
Les métiers liés à la terre, à la pêche, tentaient de cerner et de compenser par une connaissance intuitive de leur champ d’action, des phénomènes se jouant des annonces météorologiques.
Cette année-là en Alsace, précédant la période automnale, la bise sema la désolation et se mit à épuiser les campagnes et les villes.
Son souffle réfrigérant s’était levé bien avant le début des vendanges, les hâtant et rendant pénible le travail des hommes à l’ouvrage dès l’aube.
Ce brusque tournant saisonnier avait fait craindre pour une cueillette qui semblait jusque-là prometteuse. Elle s’avéra tristement juste. L’avancée de la date des vendanges, offrit des grappes et des grains souvent encore verts. Le cru en pâtit.
Le ramassage des choux en souffrit de même. La terre prématurément blanchie enserrait les racines et même, parfois, une fine couche de glace raidissait les feuilles du pourtour. Il s’imposa d’en sacrifier beaucoup et le poids de la récolte s’avéra très inférieur à celui des années prospères.
Dans les régions limitrophes, il fut décidé de rassembler les vaches encore au pré afin de devancer l’arrivée d’un hiver que les anciens prédisaient rigoureux.
Pour les ramener à l’étable, à la saison qui traditionnellement mobilisait les hommes valides, l’on dut se résoudre à se séparer de bras indispensables à la bonne marche des domaines. L’âcreté de ce vent précoce qui au bout de trois semaines n’avait pas faibli assombrissait les humeurs autant que le ciel.
Le phénomène ne fut pas isolé et même quelquefois anticipé. Dans les campagnes du Midi, accoutumé à sa chronicité capricieuse et imprévisible, le mistral, si froid en toutes saisons déjoua les prédictions coutumières sur sa durée . Dès le printemps, son souffle parut inépuisable. Là aussi, les récoltes de pleine saison subirent un médiocre rendement avec l’envol prometteur des fleurs de pêchers, cerisiers, amandiers et oliviers. Même le maraîchage en raison de gelées tardives en souffrit.
L’été non plus ne vit son haleine suspendue, mais remplacée par ce sirocco redoutable chargé de sable qui, absorbant le soleil sous cette couverture chauffée au rouge, réduisit à néant la moisson espérée.
Des incendies à l’échelle de villes et départements entiers et à l’aune de ces souffles gigantesques, dévoraient édifices, maisons, forêts et ravageaient la faune sauvage. Des moyens de lutte colossaux, mobilisant les populations dans toute leur marge de compétence, ainsi que ceux qui relèvent du matériel furent mis en œuvre. Inexorablement, le passage du feu ne laissait que cendres et ruines.
Il arrive un moment où la conscience, désorientée par des phénomènes inconnus, puise dans une mémoire collective pour tenter de comprendre, justifier et si possible contrarier le mauvais sort.
Descendues des contrées les plus éloignées, les légendes resurgirent. Au sujet de ce vent, qui vient du mot esprit, et celui des hommes éprouvés, on y prêta l’oreille. Durant des jours entiers, on entendait des roulements prometteurs. Entre des nuées célestes chargées de pluies qu’elles ne reversaient plus, et des souffles nocturnes qui faisaient s’entrechoquer les volets ou emportait la totalité des toitures, on crut percevoir un bruit de cavalcade. Le mythe des cavaliers de l’Apocalypse se réveilla. Et selon la rumeur populaire, revenus d’un lointain éther, ils s’approchaient de la terre. Il est bien connu que depuis les Gaulois, les hommes persistent à craindre que le ciel ne leur tombe sur la tête. Et de têtes, peu en contenaient de sagesse.
Il serait permis d’espérer, face à d’antiques peurs qui restent tapies au cœur des inconscients, qu’ajouté à la concordance des faits, l’ensemble de ces anomalies provoque une réflexion communautaire. Mais à part le partage irraisonné de croyances superstitieuses, les humains continuaient à laisser s’envoler des millions d’inutilement symboliques ballons, leurs messages n’atteignant jamais leur cible. Par contre, après leur courte montée aux cieux, ces porteurs supposés de bonnes intentions, inexorablement balayés par les courants atmosphériques, éclataient en montagnes de déchets destinés à retomber d’où ils venaient. Quelle serait la voix qui s’élèverait pour informer l’enfant en pleurs devant la perte accidentelle de son jouet d’oxygène qu’il participait ainsi à une entreprise destructrice ? Que leur innocente apparence tant qu’ils flottaient, tristement réduits en lambeaux lors de leur inévitable crevaison commençaient à recouvrir des champs et des cimes. Et que dire de ces sachets impérissables, qui, leur court emploi terminé, dispersés par le caprice des courants d’air coiffait le faîtage des arbres...
Puis, arriva le moment où tout se figea. Après le grand balayage effectué par des semaines et mois d’autan, tout s’arrêta.
Depuis l’abandon des moulins à vent, l’usage des moulinettes à énergie ne s’était pas perdu. En raison de leur empreinte sonore, les campagnes isolées, les sommets moyens, virent l’installation de géants porteurs d’hélices dont les pales avalaient et brassaient les rafales afin de produire de l’électricité.
De concert, tout s’immobilisa. La moindre brise ne subsista plus.
Les éoliennes s’étaient tues et, à leur arrêt, il ne restait plus aucun courant d’air pour faire seulement tourner ce jouet chéri par les petits enfants à qui l’on offrait souvent ces répliques miniatures. Même le matelas des nuages sombres en qui naguère on décela de funestes cavaliers, ne bougèrent plus et leur obscure couverture sembla se figer à l’horizon.
Au vu de l’accumulation de ces anomalies, l’opinion se divisa.
Les créationnistes s’opposèrent aux rationalistes.
Les premiers, tout en reconnaissant que l’on avait quelque peu abusé des moyens de fabrication, transport et distribution, soutenaient mordicus que depuis toujours des périodes glacières succédaient à celles de réchauffement. Les phénomènes observés ne présentaient rien que de naturel. Un peu de ménage suffirait à remettre de l’ordre.
Les seconds, rassemblés en tenue de pingouin commentaient et criaillaient beaucoup, mais leurs vains discours s’échouaient en inutiles colloques, symposiums ou conférences. Pour finir, aucune mesure à l’échelle de la transformation qui se produisait sous leurs yeux, n’émergeait ou n’était mise en application.
Face à ce monde vieilli, à ces sages qui l’étaient si peu, à ces politiques ou diplomates en costume, la raison, enfin, trouva un écho.
Une minuscule ébauche de femme, une moderne Walkyrie aux tresses blondes, du haut de ses quinze ans leva ses armées et réveilla la réflexion.
L’autorité, pas plus que la sagesse, n’attendent le nombre des années. Ce n’est pas sa voix, encore si ténue qu’elle fit retentir, mais son message.
— J’ai le droit d’observer dans les oiseaux autre chose que de fatales prédictions. De goûter au miel des abeilles, de contempler le lever du soleil sans craindre de voir fusionner la terre sous ses rayons. Celui d’assister à l’éclosion des bourgeons, fleurir les coquelicots, fouler un sable vierge léché par les vagues. Je veux traverser des prairies où, à nouveau, les sauterelles jailliront sous mes pas, entendre le chant du grillon et sentir le vent se lever pour caresser mon visage.
Arrêtez, arrêtez vos folies, vos vains mouvements, l’accumulation de ces bibelots de la fausse richesse dont vous n’avez pas anticipé la façon dont vous pourriez vous en débarrasser. Laissez-nous la place, exercer notre sagesse, écoutez nos paroles. Jeunes, levons-nous ! il est temps !
Sinon, qu’emportera le vent, de nos vies, de nos joies,
À son souffle implorant l’affectueux pardon ?
Saurons-nous donc un jour ce que chantait sa voix,
Et quels sont ces présents dont ils nous a fait don ? *
De par le monde, enfin, une foule juvénile, mais qui avait entendu le message se dressa en barrage face à l’immobilité et la négligence.
Il était permis de tout en espérer, même si la convalescence risquait de durer longtemps. Voir le retour des saisons, les nuages se disperser, pouvoir enfin recommencer à contempler les étoiles...
Toutefois, l’immédiate conséquence visible fut un désir unanime de ressembler à leur jeune leader. Toutes les filles laissèrent pousser leurs cheveux afin d’imiter sa coiffure. Pour celles chez qui cet allongement prendrait trop de temps, les extensions capillaires prirent le relais.
On achemina donc, de toute urgence, la matière première venue d’Inde par porte-container.
* Pierre Platon
En ces temps d’insouciance, la coutume voulait que la fin des fêtes soit marquée, avec le soutien du zéphyr, par un lâcher de ballons. Leur envol, un court moment, disséminait ses couleurs d’arc-en-ciel au point de masquer la pureté de l’azur. Les baudruches chargées de messages pacifiques étaient supposées transmettre des valeurs que l’on espérait pérenniser. Cette mode laissa s’échapper des millions de ces vœux dont on souhaitait qu’ils traversent frontières et océans afin de porter ces intentions pieuses.
Sans doute en même temps, sur une autre rive, un de ces rassemblements d’individus paisibles et festifs, attirant des foules venues de plusieurs régions du centre se dispersaient à l’issue d’une foire. Ils étaient réunis par une passion et des besoins communs pour des jeux populaires. À cette issue, les familles s’égaillaient, repues et fatiguées, en confiant au vent marin le soin de disséminer les restes non comestibles et leurs contenants. Les plages charriaient un moment un mélange de pailles, touillettes, gobelets, dont le plastique léger formait un radeau oscillant quelques instants avant de disparaître dans les profondeurs. Cela arrivait si promptement, l’océan engloutissant ce qui sur terre offensait les regards, dispensait les humains du fastidieux travail de ramassage.
Cela se reproduisit pendant des décennies tout en laissant à la houle qui, selon les lieux géographiques est appelée de noms spécifiques mais produit les mêmes effets, le soin de balayer ce qui se trouvait sur son passage. Cela eut pour conséquence de chasser des esprits la préoccupation de ce que devenaient ses restes.
Les souffles célestes, capables de caresser un visage, soulever des jupons, étendre des bannières, hisser haut les cerfs-volants, pousser des esquifs, faire tourner les ailes des moulins à vent fournissant une énergie gratuite, étaient aimés des hommes.
Certaines régions étaient plus soumises plus que d’autres aux ventilations tièdes et capricieuses, mais la régularité des saisons laissait prévoir la survenue, plus froide, des périodes automnales où là encore leur balayage ponctuel assurerait le ménage.
Depuis que les navires marchands n’attendaient plus rien des courants naturels pour gonfler leurs voiles, exception faite de ces audacieux solitaires des mers, de considérables embarcations transportaient des vêtements. L’affectation de ces oripeaux bon marché consistait à parer quelques jours, parfois quelques heures, des poitrines de toutes dimensions ou sexe. Ces containers jouxtaient avec d’autres, innombrables, transportant d’assez vilaines poupées maquillées du même rictus. Leur destination, à brève échéance, n’avaient pas encore suscité de réflexion vraiment organisée car, parfois, leurs cargaisons n’auraient même pas le temps d’atteindre les poubelles domestiques. Elle sombraient avec le porte-container et ses énormes réserves d’hydrocarbure.
Alors, les temps changèrent.
Lorsque l’on eut le loisir ou la curiosité de lever les yeux, on commença à observer d’étranges phénomènes. Le passage d’oiseaux migrateurs, bien avant la fin des périodes saisonnières, fit remarquer des vols d’oies sauvages regagnant dès la fin février leur aire nordique. Les courants ascendants sans doute déjà tiédis les incitaient au retour. Plus étonnants et fantastiques de véritables ballets aériens, compliqués, coordonnés, captivaient les spectateurs. Au gré d’un ordre mystérieux, ils avaient l’air de répondre à un même commandement, dans un ensemble complexe. S’appuyant sur des souffles qui paraissaient magiques, des nuées de passereaux obscurcissaient l’horizon. Dans ces figures inconnues tantôt en volutes ou, par un brusque mouvement contraire en formant des spirales, des anneaux enlacés, des pelotes, ces ballets célestes troublaient. Pour inoffensifs et gracieux dans leur démonstration, le nombre de ces volatiles rendait leur vol inquiétant par leur nouveauté ou l’insolite précocité de leur passage. Toute innocence semblait perdue. Même l’installation de cigales, au-dessus de la barrière symbolique des régions méridionales, provoqua une sorte de malaise.
Vint le moment où l’instabilité climatique parvint à déjouer toutes les prévisions.
Les métiers liés à la terre, à la pêche, tentaient de cerner et de compenser par une connaissance intuitive de leur champ d’action, des phénomènes se jouant des annonces météorologiques.
Cette année-là en Alsace, précédant la période automnale, la bise sema la désolation et se mit à épuiser les campagnes et les villes.
Son souffle réfrigérant s’était levé bien avant le début des vendanges, les hâtant et rendant pénible le travail des hommes à l’ouvrage dès l’aube.
Ce brusque tournant saisonnier avait fait craindre pour une cueillette qui semblait jusque-là prometteuse. Elle s’avéra tristement juste. L’avancée de la date des vendanges, offrit des grappes et des grains souvent encore verts. Le cru en pâtit.
Le ramassage des choux en souffrit de même. La terre prématurément blanchie enserrait les racines et même, parfois, une fine couche de glace raidissait les feuilles du pourtour. Il s’imposa d’en sacrifier beaucoup et le poids de la récolte s’avéra très inférieur à celui des années prospères.
Dans les régions limitrophes, il fut décidé de rassembler les vaches encore au pré afin de devancer l’arrivée d’un hiver que les anciens prédisaient rigoureux.
Pour les ramener à l’étable, à la saison qui traditionnellement mobilisait les hommes valides, l’on dut se résoudre à se séparer de bras indispensables à la bonne marche des domaines. L’âcreté de ce vent précoce qui au bout de trois semaines n’avait pas faibli assombrissait les humeurs autant que le ciel.
Le phénomène ne fut pas isolé et même quelquefois anticipé. Dans les campagnes du Midi, accoutumé à sa chronicité capricieuse et imprévisible, le mistral, si froid en toutes saisons déjoua les prédictions coutumières sur sa durée . Dès le printemps, son souffle parut inépuisable. Là aussi, les récoltes de pleine saison subirent un médiocre rendement avec l’envol prometteur des fleurs de pêchers, cerisiers, amandiers et oliviers. Même le maraîchage en raison de gelées tardives en souffrit.
L’été non plus ne vit son haleine suspendue, mais remplacée par ce sirocco redoutable chargé de sable qui, absorbant le soleil sous cette couverture chauffée au rouge, réduisit à néant la moisson espérée.
Des incendies à l’échelle de villes et départements entiers et à l’aune de ces souffles gigantesques, dévoraient édifices, maisons, forêts et ravageaient la faune sauvage. Des moyens de lutte colossaux, mobilisant les populations dans toute leur marge de compétence, ainsi que ceux qui relèvent du matériel furent mis en œuvre. Inexorablement, le passage du feu ne laissait que cendres et ruines.
Il arrive un moment où la conscience, désorientée par des phénomènes inconnus, puise dans une mémoire collective pour tenter de comprendre, justifier et si possible contrarier le mauvais sort.
Descendues des contrées les plus éloignées, les légendes resurgirent. Au sujet de ce vent, qui vient du mot esprit, et celui des hommes éprouvés, on y prêta l’oreille. Durant des jours entiers, on entendait des roulements prometteurs. Entre des nuées célestes chargées de pluies qu’elles ne reversaient plus, et des souffles nocturnes qui faisaient s’entrechoquer les volets ou emportait la totalité des toitures, on crut percevoir un bruit de cavalcade. Le mythe des cavaliers de l’Apocalypse se réveilla. Et selon la rumeur populaire, revenus d’un lointain éther, ils s’approchaient de la terre. Il est bien connu que depuis les Gaulois, les hommes persistent à craindre que le ciel ne leur tombe sur la tête. Et de têtes, peu en contenaient de sagesse.
Il serait permis d’espérer, face à d’antiques peurs qui restent tapies au cœur des inconscients, qu’ajouté à la concordance des faits, l’ensemble de ces anomalies provoque une réflexion communautaire. Mais à part le partage irraisonné de croyances superstitieuses, les humains continuaient à laisser s’envoler des millions d’inutilement symboliques ballons, leurs messages n’atteignant jamais leur cible. Par contre, après leur courte montée aux cieux, ces porteurs supposés de bonnes intentions, inexorablement balayés par les courants atmosphériques, éclataient en montagnes de déchets destinés à retomber d’où ils venaient. Quelle serait la voix qui s’élèverait pour informer l’enfant en pleurs devant la perte accidentelle de son jouet d’oxygène qu’il participait ainsi à une entreprise destructrice ? Que leur innocente apparence tant qu’ils flottaient, tristement réduits en lambeaux lors de leur inévitable crevaison commençaient à recouvrir des champs et des cimes. Et que dire de ces sachets impérissables, qui, leur court emploi terminé, dispersés par le caprice des courants d’air coiffait le faîtage des arbres...
Puis, arriva le moment où tout se figea. Après le grand balayage effectué par des semaines et mois d’autan, tout s’arrêta.
Depuis l’abandon des moulins à vent, l’usage des moulinettes à énergie ne s’était pas perdu. En raison de leur empreinte sonore, les campagnes isolées, les sommets moyens, virent l’installation de géants porteurs d’hélices dont les pales avalaient et brassaient les rafales afin de produire de l’électricité.
De concert, tout s’immobilisa. La moindre brise ne subsista plus.
Les éoliennes s’étaient tues et, à leur arrêt, il ne restait plus aucun courant d’air pour faire seulement tourner ce jouet chéri par les petits enfants à qui l’on offrait souvent ces répliques miniatures. Même le matelas des nuages sombres en qui naguère on décela de funestes cavaliers, ne bougèrent plus et leur obscure couverture sembla se figer à l’horizon.
Au vu de l’accumulation de ces anomalies, l’opinion se divisa.
Les créationnistes s’opposèrent aux rationalistes.
Les premiers, tout en reconnaissant que l’on avait quelque peu abusé des moyens de fabrication, transport et distribution, soutenaient mordicus que depuis toujours des périodes glacières succédaient à celles de réchauffement. Les phénomènes observés ne présentaient rien que de naturel. Un peu de ménage suffirait à remettre de l’ordre.
Les seconds, rassemblés en tenue de pingouin commentaient et criaillaient beaucoup, mais leurs vains discours s’échouaient en inutiles colloques, symposiums ou conférences. Pour finir, aucune mesure à l’échelle de la transformation qui se produisait sous leurs yeux, n’émergeait ou n’était mise en application.
Face à ce monde vieilli, à ces sages qui l’étaient si peu, à ces politiques ou diplomates en costume, la raison, enfin, trouva un écho.
Une minuscule ébauche de femme, une moderne Walkyrie aux tresses blondes, du haut de ses quinze ans leva ses armées et réveilla la réflexion.
L’autorité, pas plus que la sagesse, n’attendent le nombre des années. Ce n’est pas sa voix, encore si ténue qu’elle fit retentir, mais son message.
— J’ai le droit d’observer dans les oiseaux autre chose que de fatales prédictions. De goûter au miel des abeilles, de contempler le lever du soleil sans craindre de voir fusionner la terre sous ses rayons. Celui d’assister à l’éclosion des bourgeons, fleurir les coquelicots, fouler un sable vierge léché par les vagues. Je veux traverser des prairies où, à nouveau, les sauterelles jailliront sous mes pas, entendre le chant du grillon et sentir le vent se lever pour caresser mon visage.
Arrêtez, arrêtez vos folies, vos vains mouvements, l’accumulation de ces bibelots de la fausse richesse dont vous n’avez pas anticipé la façon dont vous pourriez vous en débarrasser. Laissez-nous la place, exercer notre sagesse, écoutez nos paroles. Jeunes, levons-nous ! il est temps !
Sinon, qu’emportera le vent, de nos vies, de nos joies,
À son souffle implorant l’affectueux pardon ?
Saurons-nous donc un jour ce que chantait sa voix,
Et quels sont ces présents dont ils nous a fait don ? *
De par le monde, enfin, une foule juvénile, mais qui avait entendu le message se dressa en barrage face à l’immobilité et la négligence.
Il était permis de tout en espérer, même si la convalescence risquait de durer longtemps. Voir le retour des saisons, les nuages se disperser, pouvoir enfin recommencer à contempler les étoiles...
Toutefois, l’immédiate conséquence visible fut un désir unanime de ressembler à leur jeune leader. Toutes les filles laissèrent pousser leurs cheveux afin d’imiter sa coiffure. Pour celles chez qui cet allongement prendrait trop de temps, les extensions capillaires prirent le relais.
On achemina donc, de toute urgence, la matière première venue d’Inde par porte-container.
* Pierre Platon