1645, quelque part au large de Casablanca.
Tout autour de moi, le bois craque, la mer cogne et les mouettes stridulent. Et parmi ce fracas marin, les voix rauques des matelots qui grondent sur le
... [+]
- Bernard.
- Quoi "Bernard" ?
- Bah Bernard Laporte. La porte quoi.
Silence décontenancé.
- Tu t’figures que ça me fait rire dans un moment pareil ? C’que tu peux manquer d’maturité parfois.
- C’que tu peux être d'un chiant parfois ?
- T’occupe. L’entrée va pas s’garder toute seule.
Riton a reproduit mon intonation dans un mimétisme parfait. Je ne sais pas pourquoi je continue de traîner cette andouille avec moi. Il crée davantage d’ennuis qu’il n’en résout. Mais y a cette espèce de lien familial, celui du cœur, qui nous unis depuis toujours. Je lui dois la vie, et c’est ça que je traine depuis des années, en réalité. Le fait de lui être redevable. Et puis, il est peut-être benêt, faut quand même dire qu’il a bon fond. Il a jamais hésité à me suivre dans mes entreprises les plus foireuses.
En attendant, ça résout en rien le problème que j’ai sous les yeux. On est toujours bloqué devant cette porte blindée. Depuis une demi-heure que je trifouille le canon, elle a pas bronché. Chaque minute qui s’écoule fait tiquer ma montre bracelet un peu plus fort que la trotteuse qui gratte en ternaire, un peu à la manière d’une valse mal graissée. Et j’ai cette affreuse impression que la panique se colle à moi, me dégouline sur le front, qu’elle m’encrasse les neurones, m’empêche de me concentrer sur l’unique chose qui compte : la porte.
Je secoue sec la tête pour chasser l’idée que le vigile pourrait finir sa ronde plus tôt et je m'y recolle.
La trompette calée dans le barillet de la serrure, je reprends ma mélodie muette. Trois ans déjà que je joue les « maestro du crochetage ». Foutue caméra. Un soir de sortie, alors qu’on avait décidé de s’occuper d’un quartier résidentiel un peu huppé, la police est arrivée au milieu de notre affaire. Le repérage avait pas été bien réalisé, m’apprendra à pas passer derrière l’autre rigolo, fait qu’on a pas su pour la caméra de perron. Les proprios ont prévenu la police, et notre joli couple s’est retrouvé à la une de toutes les chaines pendant une petite semaine. C’est eux qu’ont choisi le nom stupide de « maestro », sous prétexte que j’utilise une vieille trompette en guise d’outil à crocheter. Le principe de l’objet est assez simple en soi. De ma propre manufacture, et j’en suis pas peu fier. L’instrument est tronqué de son pavillon, remplacé par un tube et des boutons qui se soulèvent quand je presse le piston correspondant. Une serrure, c’est tout con. Une rangée de goupilles composées d’une partie passive et d’une partie active de longueurs variables, séparées par ce qu’on appelle leur ligne de césure. L’idée, c’est d’aligner les lignes de césure, alors on peut faire pivoter l’ensemble des goupilles actives et déverrouiller la serrure. Mais pour ça, il faut réussir à trouver la bonne combinaison des positions de goupilles. Un cambrioleur classique s’y prendrait une par une, mais j’ai trouvé le moyen de me charger des goupilles quatre par quatre avec ma trompette étrange et ma dextérité de musicien hors pair.
Je joue réellement. J’entends dans ma tête sonner les notes comme si je les jouais. J’ai écrit en musique les combinaisons les plus courantes et les plus probables pour les jouer en priorité, le reste vient après. Une même combinaison n’est jamais jouée deux fois.
J'ai le pouce en feu. Pour tester chaque accord, j’enfonce un cinquième piston qui remplace l’embouchure de la trompette, ce qui a pour effet de faire tourner les bouchons, et les goupilles actives avec si la ligne de césure est libérée. J’ai déjà essayé de former Riton à la tâche mais c’est beaucoup trop technique pour sa pauvre cervelle. Et pourtant, c’est d’une simplicité pure.
- Bernard.
- Oh, la ferme Riton !
- Mais... Bernard.
- Arrête avec ton Bernard à la fin, qu’est-ce tu veux ?
- Bern...
L’autre, je le vois du coin de l’œil qui lève un doigt timide vers le seuil de la porte que j’essaie de forcer. Une espèce de filet de fumée s’en échappe. Blanchâtre, épais, qui sent le soufre et le charbon à barbecue.
- Mais c’est pas possible, j’ai pas touché au système de sécurité ! Impossible que ça soit en train de cramer.
La panique est là, impossible d’y échapper. Je vois déjà notre butin transformé en feu de joie. Moi qui croyais qu’on aurait moins à s’efforcer en acceptant de voler une liasse de document plutôt qu’un paquet de lingots ! Et cette serrure qui me résiste sans que je comprenne pourquoi.
Mes doigts s’excitent, j’accélère la cadence, je saute sûrement certains accords, pas grave, faut que je trouve cette foutue combinaison, fissa. Ce qui se trouve derrière nous vaudra largement assez pour ne voler que par plaisir.
Clic !
On sursaute tous les deux. Le trésor est à nous.
Alors je choppe la poignée et fonce à l’intérieur pour sauver ce que le feu n’a pas encore détruit. Mais je me retrouve dans l’obscurité la plus totale. Bien la première fois qu’il y a fumée sans feu. A la place, un froid glacial et un courant d’air humide venu de nulle art. C’est un placard à balai fortifié, pas une galerie souterraine. Juste pour vérifier, je tends mes mains en avant et rencontre de la pierre froide. Aucune étagère. Aucun document.
- Riton !
Je me retourne pour sortir. Quelque chose cloche, l’ambiance est malaisante, l’info était bidon, il faut pas que je m’attarde là-dedans.
Clac !
La porte s’est refermée sur moi.
Et la trompette est restée avec cette andouille de Riton.
- Quoi "Bernard" ?
- Bah Bernard Laporte. La porte quoi.
Silence décontenancé.
- Tu t’figures que ça me fait rire dans un moment pareil ? C’que tu peux manquer d’maturité parfois.
- C’que tu peux être d'un chiant parfois ?
- T’occupe. L’entrée va pas s’garder toute seule.
Riton a reproduit mon intonation dans un mimétisme parfait. Je ne sais pas pourquoi je continue de traîner cette andouille avec moi. Il crée davantage d’ennuis qu’il n’en résout. Mais y a cette espèce de lien familial, celui du cœur, qui nous unis depuis toujours. Je lui dois la vie, et c’est ça que je traine depuis des années, en réalité. Le fait de lui être redevable. Et puis, il est peut-être benêt, faut quand même dire qu’il a bon fond. Il a jamais hésité à me suivre dans mes entreprises les plus foireuses.
En attendant, ça résout en rien le problème que j’ai sous les yeux. On est toujours bloqué devant cette porte blindée. Depuis une demi-heure que je trifouille le canon, elle a pas bronché. Chaque minute qui s’écoule fait tiquer ma montre bracelet un peu plus fort que la trotteuse qui gratte en ternaire, un peu à la manière d’une valse mal graissée. Et j’ai cette affreuse impression que la panique se colle à moi, me dégouline sur le front, qu’elle m’encrasse les neurones, m’empêche de me concentrer sur l’unique chose qui compte : la porte.
Je secoue sec la tête pour chasser l’idée que le vigile pourrait finir sa ronde plus tôt et je m'y recolle.
La trompette calée dans le barillet de la serrure, je reprends ma mélodie muette. Trois ans déjà que je joue les « maestro du crochetage ». Foutue caméra. Un soir de sortie, alors qu’on avait décidé de s’occuper d’un quartier résidentiel un peu huppé, la police est arrivée au milieu de notre affaire. Le repérage avait pas été bien réalisé, m’apprendra à pas passer derrière l’autre rigolo, fait qu’on a pas su pour la caméra de perron. Les proprios ont prévenu la police, et notre joli couple s’est retrouvé à la une de toutes les chaines pendant une petite semaine. C’est eux qu’ont choisi le nom stupide de « maestro », sous prétexte que j’utilise une vieille trompette en guise d’outil à crocheter. Le principe de l’objet est assez simple en soi. De ma propre manufacture, et j’en suis pas peu fier. L’instrument est tronqué de son pavillon, remplacé par un tube et des boutons qui se soulèvent quand je presse le piston correspondant. Une serrure, c’est tout con. Une rangée de goupilles composées d’une partie passive et d’une partie active de longueurs variables, séparées par ce qu’on appelle leur ligne de césure. L’idée, c’est d’aligner les lignes de césure, alors on peut faire pivoter l’ensemble des goupilles actives et déverrouiller la serrure. Mais pour ça, il faut réussir à trouver la bonne combinaison des positions de goupilles. Un cambrioleur classique s’y prendrait une par une, mais j’ai trouvé le moyen de me charger des goupilles quatre par quatre avec ma trompette étrange et ma dextérité de musicien hors pair.
Je joue réellement. J’entends dans ma tête sonner les notes comme si je les jouais. J’ai écrit en musique les combinaisons les plus courantes et les plus probables pour les jouer en priorité, le reste vient après. Une même combinaison n’est jamais jouée deux fois.
J'ai le pouce en feu. Pour tester chaque accord, j’enfonce un cinquième piston qui remplace l’embouchure de la trompette, ce qui a pour effet de faire tourner les bouchons, et les goupilles actives avec si la ligne de césure est libérée. J’ai déjà essayé de former Riton à la tâche mais c’est beaucoup trop technique pour sa pauvre cervelle. Et pourtant, c’est d’une simplicité pure.
- Bernard.
- Oh, la ferme Riton !
- Mais... Bernard.
- Arrête avec ton Bernard à la fin, qu’est-ce tu veux ?
- Bern...
L’autre, je le vois du coin de l’œil qui lève un doigt timide vers le seuil de la porte que j’essaie de forcer. Une espèce de filet de fumée s’en échappe. Blanchâtre, épais, qui sent le soufre et le charbon à barbecue.
- Mais c’est pas possible, j’ai pas touché au système de sécurité ! Impossible que ça soit en train de cramer.
La panique est là, impossible d’y échapper. Je vois déjà notre butin transformé en feu de joie. Moi qui croyais qu’on aurait moins à s’efforcer en acceptant de voler une liasse de document plutôt qu’un paquet de lingots ! Et cette serrure qui me résiste sans que je comprenne pourquoi.
Mes doigts s’excitent, j’accélère la cadence, je saute sûrement certains accords, pas grave, faut que je trouve cette foutue combinaison, fissa. Ce qui se trouve derrière nous vaudra largement assez pour ne voler que par plaisir.
Clic !
On sursaute tous les deux. Le trésor est à nous.
Alors je choppe la poignée et fonce à l’intérieur pour sauver ce que le feu n’a pas encore détruit. Mais je me retrouve dans l’obscurité la plus totale. Bien la première fois qu’il y a fumée sans feu. A la place, un froid glacial et un courant d’air humide venu de nulle art. C’est un placard à balai fortifié, pas une galerie souterraine. Juste pour vérifier, je tends mes mains en avant et rencontre de la pierre froide. Aucune étagère. Aucun document.
- Riton !
Je me retourne pour sortir. Quelque chose cloche, l’ambiance est malaisante, l’info était bidon, il faut pas que je m’attarde là-dedans.
Clac !
La porte s’est refermée sur moi.
Et la trompette est restée avec cette andouille de Riton.