Il vit un coucher de soleil, démesuré.
Le firmament croissait d'un rouge violent.
Il entendit crier le cheval roussi de
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Le rêve est l’aquarium de la nuit
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Le regard vague, le doigt encoigné au bord des lèvres entrouvertes, elle se balance sur la musique du soir. Des sons aigrelets que la boîte petite blanche au cordon tiré fait résonner et que Marinette connaît du bout du cœur. Car c’est maman qui chante « dors... mon petit ange dors... » quand elle vient à la maison de l’ancien pêcheur, au mur bleuté de bouillie bordelaise qu’on n’utilise plus ; la treille a bien vieilli.
Accoudée à la croisée de la fenêtre entrebâillée, la fillette aime ce moment où le jour s’en va et où la nuit arrive. De nouvelles couleurs l’annoncent. Dans la chambrette à l’étage, elles dorent la tapisserie à grandes fleurs jaunes et bleues que Marinette a renoncé depuis belle lurette à compter, remettant à plus tard son entraînement. Elle regarde les vaguelettes mangeant un bout de plage, entend au loin le chant des coques qui se heurtent doucement, celui des drisses et balancines. Elle reste encore un peu, dit au revoir au jour et à la mer avant d’aller au lit.
Pépé est là, maigre silhouette sur son fauteuil d’osier, dos incliné un peu vers l’avant, ample chemise en flanelle à carreaux dont le vert et le bleu ont passé, pantalon grisâtre baillant autour de jambes maigrichonnes, l’une croisée sur l’autre, comme indissociables, mains au relief veineux posées dessus, Charentaises fidèles aux pieds. Sa tête dodeline de vieillesse... « Pépé rumine encore », pense la petite. — Mais ça reste une énigme quand il dit « laisse-moi donc un peu tranquille, je rumine » : Marinette sait bien que les vaches ruminent... mais que fait pépé alors ? -...
C’est son artiste de fille – la mère de Marinette – qui cause bien du tourment à l’ancien... En ce moment, elle se pavane sûrement dans les salles de concert, avec sa robe rouge démon qui attire l’œil du mâle. Quels vilains mots, mais il ne peut empêcher cette colère, c’est terrible... Quand on y pense ! comme elle était douée pour la musique Flora ! Et comme elle était belle ! elle aimait aguicher les garçons, de qui elle tenait ça, nom de nom ? Et pourquoi n’a-t-il su la protéger des feux qui la rendaient fragile somme toute ? Dont d’aucuns ont profité pardi... elle avait pas dit qui était le père quand son ventre n’a plus arrêté de se tendre, tissant la vie là-dedans, en silence... Pourquoi se tordre toujours les méninges de ces questions ? Ah ! Flora... soupire le vieil homme...
Marinette entend « Flora » et la voilà qui pleurniche. Pépé se lève, néglige la canne posée au bras du fauteuil et avance vers le lit à petits pas prudents. « Ma minette jolie, ne pleure plus... Écoute... maman met sa musique dans ta tête, elle joue le piano. Écoute comme c’est beau le jase » - le vieux n’arriva jamais à dire « d’jazz », ça faisait tant rire Flora — Marinette tente d’écouter, dans sa tête. Les larmes magiquement se sèchent, mais son visage est encore un peu renfrogné, boudeur. Dans les yeux bleu océan s’attarde une toute petite goutte dont une lumière coquine aura bientôt sans doute raison. « Elle est où maman », ose-t-elle encore. « Chut ma doucette... il ne faut pas de bruit pour entendre. Elle joue pour toi maman. Et ma foi, pour moi aussi ! Et même pour mémé tout là-haut ! Là tu vois, on est comme au concert ! ».
À la fenêtre, on ne voit plus la mer, la nuit a pris sa place. Le vieux aussi a repris sa place, posé tout pareil sur le fauteuil d’osier, les jambes croisées, les mains dessus. Il songe, l’esprit tranquille, balloté gentiment par le roulis léger des vagues, la tendresse dissipant les vilaines pensées : sans sa Flora, il n’y aurait pas de Marinette, lumière de ses vieux jours...
Mais voilà qu’il sursaute. Car tout à coup, une sorte de fureur s’empare du petit bout de femme ; la gosse se rue vers la commode, choppe prestement des ciseaux posés dessus qui n’ont rien à faire là, jette un coup d’œil au miroir accroché au mur, attaque par dedans une frange déjà pas bien épaisse et crie : « Je veux des grands cheveux comme maman, pas ceux-là ! ». La voilà qui tire encore une mèche de dessous que l’arme pour sûr va amocher. Pépé l’arrête d’un regard courroucé que la gamine n’affrontera pas car là, c’est du sérieux. Ses petits yeux devenus méchants, gris et tristes, semblent demander pardon et elle repose doucement les ciseaux.
Dieu ! Qu’elle est vilaine maintenant. Voyez ces pauvres petits cheveux marron foncé si mal taillés ! Pépé se relève à nouveau, soutenant ses reins. « Mais qu’est-ce qui t’a pris ma parole ! Ne fais plus jamais ça Marinette d’accord ? »... Tête baissée, la bouche un peu en cul de poule, elle regarde pépé par en dessous, sachant parfaitement comment l’amadouer. « Tu verras, quand tu seras grande tes cheveux seront encore plus beaux, plus souples. Quand elle était petite, comme toi Flora, eh ben elle avait des queues d’rat ! Je m’en rappelle bien, tu sais. Tu lui diras rien, hein mon ange ! ».
Pépé ne gronde pas. Il rassure. Il blague et il rit. Marinette sourit d’un sourire de confiance, le nez relevé, les yeux plantés dans le regard rayonnant du pépé. « Et maintenant, au lit, gredinette ! ». La fillette plonge sous son édredon, rassurée, guillerette. Elle pose une main sur le drap blanc brodé par mémé pour le trousseau. Pépé la lui prend tendrement, s’assied au bord du lit et demande le livre pour l’histoire. Elle sourit, reconnaissante, attrape le livre sur la table de nuit... Le calme vient la voir, les yeux clignotent bientôt. Et Marinette s’endort sur la phrase énigmatique que lit l’ancêtre : « Le rêve est l’aquarium de nos nuits ».
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« Le rêve est l’aquarium de la nuit », Victor Hugo, Les travailleurs de la mer.
Accoudée à la croisée de la fenêtre entrebâillée, la fillette aime ce moment où le jour s’en va et où la nuit arrive. De nouvelles couleurs l’annoncent. Dans la chambrette à l’étage, elles dorent la tapisserie à grandes fleurs jaunes et bleues que Marinette a renoncé depuis belle lurette à compter, remettant à plus tard son entraînement. Elle regarde les vaguelettes mangeant un bout de plage, entend au loin le chant des coques qui se heurtent doucement, celui des drisses et balancines. Elle reste encore un peu, dit au revoir au jour et à la mer avant d’aller au lit.
Pépé est là, maigre silhouette sur son fauteuil d’osier, dos incliné un peu vers l’avant, ample chemise en flanelle à carreaux dont le vert et le bleu ont passé, pantalon grisâtre baillant autour de jambes maigrichonnes, l’une croisée sur l’autre, comme indissociables, mains au relief veineux posées dessus, Charentaises fidèles aux pieds. Sa tête dodeline de vieillesse... « Pépé rumine encore », pense la petite. — Mais ça reste une énigme quand il dit « laisse-moi donc un peu tranquille, je rumine » : Marinette sait bien que les vaches ruminent... mais que fait pépé alors ? -...
C’est son artiste de fille – la mère de Marinette – qui cause bien du tourment à l’ancien... En ce moment, elle se pavane sûrement dans les salles de concert, avec sa robe rouge démon qui attire l’œil du mâle. Quels vilains mots, mais il ne peut empêcher cette colère, c’est terrible... Quand on y pense ! comme elle était douée pour la musique Flora ! Et comme elle était belle ! elle aimait aguicher les garçons, de qui elle tenait ça, nom de nom ? Et pourquoi n’a-t-il su la protéger des feux qui la rendaient fragile somme toute ? Dont d’aucuns ont profité pardi... elle avait pas dit qui était le père quand son ventre n’a plus arrêté de se tendre, tissant la vie là-dedans, en silence... Pourquoi se tordre toujours les méninges de ces questions ? Ah ! Flora... soupire le vieil homme...
Marinette entend « Flora » et la voilà qui pleurniche. Pépé se lève, néglige la canne posée au bras du fauteuil et avance vers le lit à petits pas prudents. « Ma minette jolie, ne pleure plus... Écoute... maman met sa musique dans ta tête, elle joue le piano. Écoute comme c’est beau le jase » - le vieux n’arriva jamais à dire « d’jazz », ça faisait tant rire Flora — Marinette tente d’écouter, dans sa tête. Les larmes magiquement se sèchent, mais son visage est encore un peu renfrogné, boudeur. Dans les yeux bleu océan s’attarde une toute petite goutte dont une lumière coquine aura bientôt sans doute raison. « Elle est où maman », ose-t-elle encore. « Chut ma doucette... il ne faut pas de bruit pour entendre. Elle joue pour toi maman. Et ma foi, pour moi aussi ! Et même pour mémé tout là-haut ! Là tu vois, on est comme au concert ! ».
À la fenêtre, on ne voit plus la mer, la nuit a pris sa place. Le vieux aussi a repris sa place, posé tout pareil sur le fauteuil d’osier, les jambes croisées, les mains dessus. Il songe, l’esprit tranquille, balloté gentiment par le roulis léger des vagues, la tendresse dissipant les vilaines pensées : sans sa Flora, il n’y aurait pas de Marinette, lumière de ses vieux jours...
Mais voilà qu’il sursaute. Car tout à coup, une sorte de fureur s’empare du petit bout de femme ; la gosse se rue vers la commode, choppe prestement des ciseaux posés dessus qui n’ont rien à faire là, jette un coup d’œil au miroir accroché au mur, attaque par dedans une frange déjà pas bien épaisse et crie : « Je veux des grands cheveux comme maman, pas ceux-là ! ». La voilà qui tire encore une mèche de dessous que l’arme pour sûr va amocher. Pépé l’arrête d’un regard courroucé que la gamine n’affrontera pas car là, c’est du sérieux. Ses petits yeux devenus méchants, gris et tristes, semblent demander pardon et elle repose doucement les ciseaux.
Dieu ! Qu’elle est vilaine maintenant. Voyez ces pauvres petits cheveux marron foncé si mal taillés ! Pépé se relève à nouveau, soutenant ses reins. « Mais qu’est-ce qui t’a pris ma parole ! Ne fais plus jamais ça Marinette d’accord ? »... Tête baissée, la bouche un peu en cul de poule, elle regarde pépé par en dessous, sachant parfaitement comment l’amadouer. « Tu verras, quand tu seras grande tes cheveux seront encore plus beaux, plus souples. Quand elle était petite, comme toi Flora, eh ben elle avait des queues d’rat ! Je m’en rappelle bien, tu sais. Tu lui diras rien, hein mon ange ! ».
Pépé ne gronde pas. Il rassure. Il blague et il rit. Marinette sourit d’un sourire de confiance, le nez relevé, les yeux plantés dans le regard rayonnant du pépé. « Et maintenant, au lit, gredinette ! ». La fillette plonge sous son édredon, rassurée, guillerette. Elle pose une main sur le drap blanc brodé par mémé pour le trousseau. Pépé la lui prend tendrement, s’assied au bord du lit et demande le livre pour l’histoire. Elle sourit, reconnaissante, attrape le livre sur la table de nuit... Le calme vient la voir, les yeux clignotent bientôt. Et Marinette s’endort sur la phrase énigmatique que lit l’ancêtre : « Le rêve est l’aquarium de nos nuits ».
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« Le rêve est l’aquarium de la nuit », Victor Hugo, Les travailleurs de la mer.
Merci Cali
Revenez vite semer vos jolis mots.
Belle complicité entre le papy et sa petite fille
Finaliste ou non, l'important c'est de continuer à écrire de jolies histoires...☺