Il était une fois un conteur d'histoires, qui décida un jour d'étoffer son répertoire. Après tout, le village commençait à se lasser de toujours entendre les mêmes récits, et d'ailleurs, ces ... [+]
Le monde des sorciers était en effervescence depuis l'annonce faite par Melba, la reine des arachnides. Toutes les toiles d'araignées avaient suspendu leurs programmes habituels, faisant vibrer leurs fils pour que la nouvelle atteigne chaque habitant :
« Un poney magique inconnu a été repéré chez les ordinaires ».
D'où venait-il, pourquoi, comment était-il arrivé là ? Quel était son pouvoir magique ?
Les questions se bousculaient à présent sur les toiles, les explications les plus fantaisistes submergeant les araignées modératrices qui menaçaient d'abandonner leur tâche devenue folle.
Melba déroula son fil de conservation (et non pas de conversation, les deux n'ayant pas du tout la même utilité) pour envelopper la mouche qu'elle n'avait pas eu le temps d'entamer : un journaliste « ordinaire » venait d'arriver.
Les sorciers avaient l'apparence des humains, mais vivaient dans un monde parallèle, car ils possédaient des pouvoirs magiques. Les araignées étaient comme un « pont » entre les deux mondes, elles vivaient chez les hommes tout en restant constamment connectées aux sorciers. C'est pourquoi elles avaient huit pattes, ce qui était un minimum pour pouvoir tisser tout en gérant les messages innombrables filtrés par leurs toiles.
Melba se laissa descendre jusqu'au journaliste.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d'une voix grave.
— Je suis un ordinaire bien informé, puisque je connais votre existence.
— Mais encore ?
— Je travaille pour une chaîne de télévision et j'ai vu de mes propres yeux le petit cheval en question.
— Et ?
— Il est très joli, sa robe est grise avec de discrets reflets bleutés.
— Mais encore ?
— Il pète très régulièrement.
— Comme tous les équidés.
— À cette différence près que ses pets dégagent parfois un petit nuage bleu.
— Avez-vous diffusé cette information auprès des médias de votre monde ?
— À vrai dire, les journaux télévisés ou écrits ne s'intéressent pas à moi, je ne suis pas connu. J'ai besoin de votre contrôle pour évaluer l'importance de mon information et pour la prouver, car personne ne voudra me croire.
— Bien, bien, bien, voilà qui est raisonnable. Je veux le voir.
— Je pourrai en faire un sujet pour mon journal ?
— quelle sorte de sujet ?
— Et bien... un « scoop » si vous préférez.
Les yeux de l'araignée se rétrécirent pour se concentrer sur le journaliste :
— Vous êtes un jeune homme prudent et intelligent puisque vous sollicitez mon avis, donc : vous allez m'accompagner sur les lieux où je pourrai constater les faits. En route !
C'était un ordre, le jeune homme obtempéra sans discuter. L'araignée accrochée à ses cheveux
se balançait au niveau de son oreille.
— Au fait, comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle.
— Adrien Bonne Nouvelle.
— Ha, ça, c'est bien !
Melba grimpa prestement sur la chevelure de son « véhicule » improvisé dès qu'elle aperçut le petit cheval.
Ce dernier galopait, sautait dans tous les sens sur l'herbe tendre de son pré. Il s'arrêta net quand il vit Adrien et s'approcha prudemment. Le jeune homme lui présenta une brassée d'herbe trouvée sur le bord du chemin provoquant une jolie ruade et un prout sonore du poney. Une volute bleutée s'éleva doucement tandis que l'animal se régalait.
— Alors, qu'en pensez-vous ? interrogea Adrien.
— C'est une bombe... Vous devez absolument ajouter de la lavande à son alimentation.
— Pourquoi donc ?
— Pour que ses pets sentent bon, voyons !
— Oh ! Et pourquoi pas de la menthe sauvage ?
— Mon ami, vous vous égarez ! L'histoire est grave. Nous devons faire passer ce poney chez les sorciers de toute urgence.
— Comment faire ? Il appartient forcément à quelqu'un.
— Il appartient à lui-même, figurez-vous ! Un cheval magique n'a que faire d'un propriétaire.
— Je ne sais pas monter à cheval.
— Je m'occupe de tout, soyez rassuré.
À ces mots, Melba se glissa au sol pour rejoindre un arbuste au bord du pré et disparut.
— Me voilà bien, murmura le jeune homme, inquiet de se retrouver seul avec le poney bleu.
La reine des arachnides avait des réseaux (des toiles) dans le monde entier ; il lui était facile de convoquer les araignées des champs pour prévenir qui de droit et préparer le départ du poney. N'oublions pas que les araignées sont partout, mieux vaut les prendre en considération en évitant de les écraser sous prétexte qu'elles sont effrayantes.
Des toiles furent tissées autour du poney, de façon à lui confectionner un joli cocon douillet et léger. On aurait dit un nuage se déplaçant sagement dans le ciel avec, de temps en temps, des traînées bleutées vite dissipées par le vent.
Le voyage vers le monde des sorciers fut téléguidé par les sorciers eux-mêmes et le petit cheval arriva sans encombre dans l'univers magique qui était à présent le sien.
Melba décida de l'appeler « Azul », ce qui veut dire « bleu » en espagnol. Azul n'avait aucun pouvoir magique, il était magique. Les enfants riaient en le voyant, les adultes souriaient et tout le monde était sûr de passer une bonne journée lorsqu'il avait la chance de le croiser alors qu'il lâchait un beau prout bleu.
Adrien Bonne Nouvelle comprit très vite que les médias ordinaires ne le croiraient pas ; il renonça au métier de journaliste pour se consacrer à l'écriture de livres pour les enfants. C'était beaucoup plus agréable et l'histoire d'Azul obtint un joli succès.
Pour ma part, je pense qu'après cette lecture, vous aussi passerez sûrement une bonne journée ou... une bonne nuit !
Le récit est amusant, ironique en parlant des journalistes ; c’est un conte pour enfants qui adorent ce registre, alors vive Azul et ses beaux prouts bleus 😉