Le parfum des couleurs

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1. La vie d'avant

Samedi pluvieux

Mathieu caresse son chat, renverse son café froid et se lève. Son corps est engourdi par une journée paresseuse. Le café coule de la table au tapis. 17 heures. Juste le temps d'une balade avant la nuit. Son téléphone s'agite sous les messages. Un verre avec des amis sur une péniche branchée ou rester lové dans le canapé ? Il se laisse le temps pour décider. Besoin d'air. Dehors, les bruits l'agressent. Il pleut. Un samedi pluvieux. Un autre encore. L'impression que les nuages sont restés accrochés au Sacré-Cœur. Cette fichue ville pue quand il pleut. Les hommes sont maussades. Son téléphone encore. Max insiste pour qu'il les rejoigne. Il cède et grimpe les escaliers quatre à quatre. Comme si tout à coup, monter dans un métro titubant, s'entasser dans un bar et se saouler d'un mauvais rosé étaient devenus ses priorités. Le tourbillon de la soirée finit par l'emporter. Un décolleté s'offre à lui au détour d'une table. La péniche tangue comme pour l'enivrer davantage. Les heures s'écoulent au rythme des beats. 120 € et 4 bouteilles plus tard, il s'engouffre dans un Uber pool et retarde son heure de couché ; à humeur changeante décision erratique. Sitôt arrivé, l'angoisse qu'il avait laissée là l'attend. L'impression d'avoir avalé une bille. Froide et lourde. Calée sur le sternum, elle reste bloquée. Demain il réfléchira. Là, il s'endort sur ses questions et son téléphone.


Mélancolie du dimanche

Il se réveille, mal. Le pull colle à la peau. La pluie n'a pas quitté Paris. Elle s'acharne sur sa fenêtre. Il a la bouche pâteuse. Il hésite puis finit par attraper une cigarette... qu'il regrette. Il faut qu'il arrête ! Il faudrait aussi qu'il fasse des lessives, des courses... L'impression qu'il dort depuis des mois. Un sommeil sans repos. Il se réveille l'esprit agité, le corps fatigué. Ouvrir un livre, jouer de la guitare, le plaisir du marché le dimanche matin... Quelque temps maintenant qu'il coule. Comme l'eau usée dans l'évier. Comme s'il fallait laisser filer la vie pour s'économiser. Tout juste assez d'énergie pour atteindre la machine à café.


2. Confinement

Jour 15, lâcher prise

Mathieu cherche à comprendre : « Ce matin j'ai chialé. Sans raison. » Au début le message d'un ami, rien de plus. Il annule leur apéro Skype. Trop compliqué avec la petite. Elle est ingérable depuis le début du confinement. Pierre est séparé depuis six mois et organise comme il peut sa vie de papa célibataire. De toute façon, il a du mal avec le concept. Il se met à lister mentalement les amis qu'il ne voit plus, les soirées qu'il ne fait pas et sa gorge se serre. Ça fait quelque temps maintenant qu'il évite de vivre. Lorsqu'il lève les yeux, devant lui, il devine sa planche à dessin derrière un tas de fringues sales et un carton de pizza. Quelques larmes commencent à rouler le long de ses joues. Il s'allonge et pense à ses vieux en train de continuer à vivre. À la campagne, le confinement ne bouleverse pas beaucoup les habitudes. Il n'y est pas allé depuis Noël. Sa mère lui a proposé de venir début mars. Pas eu envie de les voir le couvrir de leur regard inquiet devant un fils pâle et sans projets. Sa vue se brouille et il chiale carrément.

— Allô ?
— Allô M'man. C'est moi.
— Mon fils ! Tout va bien ?
— C'est qui ?
— Tout va bien M'man. J'appelle juste pour prendre des nouvelles.
— C'est Mathieu.
Il entend sa main couvrir le combiné pendant qu'elle répond à son père. Puis le crissement de la chaise sur le carrelage, et le pas boiteux du vieux qui s'approche. Sa gorge se serre à nouveau.
— T'es sûr que tout va bien, mon grand ?
Il écoute sa respiration et l'imagine voûtée, accrochée au téléphone comme à un radeau.
— Ça va. Comment va P'pa ?
Il sent sa présence dans le bruit de ses doigts frottant sa barbe blanche piquante. Les larmes montent à nouveau.
— Ça va, ça va. Tu manges bien au moins ?
— Oui, j'me fais des trucs.
Ça grossit. Comme une vague qui gonfle à l'approche d'un rocher. Et il est le rocher.
— J'vous laisse, M'man. Embrasse papa pour moi. Bon app'.
Il raccroche et la vague se brise. Ses sanglots viennent s'étouffer dans sa gorge. Un long râle et il s'effondre. Ça devait faire cinq ans qu'il n'avait pas pleuré. Depuis Jeanne. Jour 15, lâcher prise.


Le parfum des couleurs

Ce matin, il doit sortir acheter des croquettes pour son chat. Il est 10 heures. Dans la cage d'escalier flotte un parfum. Subtil. Il lui échappe presque. Sa voisine de palier a dû sortir quelques minutes avant. Il se demande ce qu'elle fait. Une fille comme elle n'achète pas des croquettes pour chat. Dehors, le soleil du printemps est puissant. Il décide de faire un détour pour marcher. Il tombe sur une fresque. Les couleurs sont vives, les traits sont assurés. Elle le nargue. Elle l'interpelle même. Au Franprix, rayon fournitures, il achète une boîte de feutres, un 2B, une gomme, attrape au vol un sachet de croquettes et se sauve du magasin. Sur le chemin du retour, des jets de couleurs lui traversent l'esprit. Sitôt chez lui, il jette à la volée son sweat et ses clés, vire d'un mouvement de bras tout ce qui encombre sa table à dessin et allume son enceinte portative. Dépêche mode calé en fond sonore, il essaime des coups de crayon agités. Chaque trait est une griffure. Il saigne le papier à blanc. Un coup de balai du voisin le sort de sa transe. Il regarde l'heure : 22 heures ! La musique est trop forte. Il n'a rien avalé de la journée. Il est exténué. Il ouvre un paquet de chips et s'allonge sur son canapé, repu et apaisé.


Le réveil

Depuis quelques jours, son corps est réveillé, les cinq sens à bloc. Il tourne dans son appartement. Pour s'échapper, il peint. Il a même ressorti son vieil argentique. Il descend parfois dans la cour prendre quelques clichés. Besoin d'air, de lumière, de mouvement. Aujourd'hui il décide de faire un peu de sport. Il enfile des baskets, un vieux t-shirt. Un peu tard pour aller courir un dimanche matin. Avec un peu de chance, il aura évité le flot des joggers. En sortant, il croise sa voisine. Une certaine douceur se dégage de son corps. Et son parfum léger qui flotte encore, en apesanteur.
— Ça va ? Pas trop dure la reprise depuis la fin du confinement ?
En prononçant ces mots, il s'insulte intérieurement. Pas pire que les banalités.
— Je ne suis pas vraiment encore retournée au bureau.
Elle a une poitrine généreuse de près. Il n'avait pas remarqué, ça la rend sexy.
— Ah oui, télétravail. Moi aussi suis chez moi. À l'occas', prenons un café dans la cour au soleil. Enfin, j'veux dire, moi je viens souvent dans la cour, j'aime bien.
— Avec plaisir. Oui je sais. Ma fenêtre de chambre donne sur l'arbre juste là.
Il rougit comme un gosse.
— Je t'ai vu quelques fois dévisager les rosiers.
Elle est taquine, il aime bien.


Le café

« Salut, c'est Mathieu. J'ai trouvé ton numéro dans le groupe WhatsApp des voisins. Ça va ? » Il écrit et efface son message trois fois avant de l'envoyer. « Mathilde écrit... » Ça palpite à gauche. « Oui ça va. Alors on se le prend ce café ? » « Allez ! »
Mathilde descend dans la cour et s'installe sur une chaise au soleil. Elle réajuste sa mèche et regarde son reflet dans la fenêtre. Le bruit de la porte qui s'ouvre. Mathieu apparaît encombré de ses grandes jambes et d'un plateau chargé. Elle photographie cette image mentalement.
— Sucre ?
— Non merci.
Ils restent assis côte à côte, quelques secondes, silencieux, à siroter leur café. Puis Mathieu se lève et lui tend son appareil.
— Je te montre ?
Un peu surprise, Mathilde se lève et s'approche.
— Laisse aller ton émotion et quand tu te sens prête, t'appuies. Rien de plus simple.
Mathilde se prête au jeu. Elle cale l'appareil sur sa joue gauche, l'observe la dévisager à travers l'optique. « Clic ». Ça le fait rire. Elle attrape son sourire au vol et baisse l'objectif. Un bref instant de gêne lorsque leurs regards se confrontent. Mathieu s'approche, encercle son visage et vient poser ses lèvres contre les siennes. Avec assurance. Marc est à sa fenêtre. « Clic ! ».

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