Tu tournes dans l'appartement. Tu t'affaires à tout couper : le gaz, l'électricité, l'eau, et mon cœur en deux, pour en emporter le beau morceau, le bien saignant. Je finis de scotcher tes ... [+]
Au milieu de mon adolescence, je m'envolai brusquement dans le bleu des mathématiques. Je ne m'y attendais pas : j'avais jusque-là suivi les cours d'une oreille éteinte en griffonnant des dessins et des poèmes. L'univers mathématique me semblait glacé, sec, presque carcéral. Sur mes feuilles, un petit peuple grec guerroyait au milieu de mes pattes de mouche : alpha voulait être premier et traitait bêta de ce qu'il était. Bêta disait que sans lui, etc., epsilon ne la ramenait pas beaucoup, il était voué au petit rien qui embêtait tout le monde, il savait que quand les choses se compliqueraient, il deviendrait indispensable, delta roulait des mécaniques, thêta était inexistant, quant à oméga... Mais j'y reviendrai. Rien d'exaltant, donc, surtout que pour le moment tout se réglait en bas de page, chacun prenait une valeur ou disparaissait, bon vent.
Et puis, dans ce cours austère, on se mit à me parler d'infini... L'infini, c'est ça qui m'envola ! Bien sûr, la rêveuse, poétesse en herbe et philosophe ingénue que j'étais en avait déjà cherché les inaccessibles contours, mais voilà qu'on me demandait de m'en approcher avec un rien de réalité. Alors, je me mis à tracer en rouge désir les asymptotes que mes courbes racoleuses frôlaient de plus en plus près sans jamais les atteindre. Un délice... Puis, surgirent du néant les nombres imaginaires, ces nombres dont le carré pouvait être négatif. Des carrés négatifs ? Toutes mes certitudes furent d'un coup anéanties. J'en restai un moment abasourdie. Peter Pan pouvait aller se rhabiller : dans la vraie vie des vrais gens, il y avait donc des nombres imaginaires... Bien sûr que non, mauvais raisonnement, pas dans la vraie vie ! Et c'est là que je compris que tout cela n'était en fait qu'un jeu.
Malgré tout, on ne s'amusait pas toujours dans ce monde devenu flou : avec i (tiens, et pourquoi pas iota ? Mystère...), le premier des imaginaires, débarqua thêta, et sinus et cosinus, déjà passablement pénibles avec leurs foutues formules, mirent encore la barre un peu plus haut. Mais plus rien ne me faisait peur, j'étais excitée comme une puce dans l'attente de la suite. C'est là que par hasard je tombai irrémédiablement amoureuse d'oméga bien qu'on ne m'en ait jamais parlé. La poésie n'y était pas pour rien : « Tu seras de ma vie l'alpha et l'oméga », avait écrit un humain qui, en plus, s'appelait Lhomme. Où était-il ? me demandai-je, tandis qu'alpha reprenait des couleurs. Je levai un œil torve sur les garçons qui m'entouraient. Il y en avait beaucoup plus que de filles, lesdites filles étant parties étudier les langues ou la littérature, comme j'aurais dû le faire. Les garçons étaient intéressés : j'étais une pièce de choix dans un univers vide. Mais pas moi : à tous manquait l'éclair de joie que je ressentais en me baladant sur un ruban de Möbius, en descendant en luge le velours d'une courbe de Gauss ou en prenant le supersonique de l'exponentielle. Les mathématiques, certes ils les aimaient, mais pas comme il aurait fallu. Ils ne s'amusaient pas, ils travaillaient !
Et, enfin, est arrivé le jour de mon oméga. Je l'ai vu venir de loin, tranquille, en retard comme il le serait toujours, avec son pull rayé improbable. Mais : yeux bleus, boucles noires, sourire taquin, charmeur... Il m'a joué du piano, m'a écrit des poèmes. J'ai tout raconté – le velours de Gauss, le ruban de Möbius, le supersonique – en guettant l'éclair dans ses yeux et, bon sang, il y était ! Et, un soir, tandis qu'il mesurait du pouce mon visage pour vérifier s'il respectait la divine proportion, celle de phi, le nombre d'or, il a attiré mon menton vers le sien et j'ai tout oublié des mathématiques.
Et puis, dans ce cours austère, on se mit à me parler d'infini... L'infini, c'est ça qui m'envola ! Bien sûr, la rêveuse, poétesse en herbe et philosophe ingénue que j'étais en avait déjà cherché les inaccessibles contours, mais voilà qu'on me demandait de m'en approcher avec un rien de réalité. Alors, je me mis à tracer en rouge désir les asymptotes que mes courbes racoleuses frôlaient de plus en plus près sans jamais les atteindre. Un délice... Puis, surgirent du néant les nombres imaginaires, ces nombres dont le carré pouvait être négatif. Des carrés négatifs ? Toutes mes certitudes furent d'un coup anéanties. J'en restai un moment abasourdie. Peter Pan pouvait aller se rhabiller : dans la vraie vie des vrais gens, il y avait donc des nombres imaginaires... Bien sûr que non, mauvais raisonnement, pas dans la vraie vie ! Et c'est là que je compris que tout cela n'était en fait qu'un jeu.
Malgré tout, on ne s'amusait pas toujours dans ce monde devenu flou : avec i (tiens, et pourquoi pas iota ? Mystère...), le premier des imaginaires, débarqua thêta, et sinus et cosinus, déjà passablement pénibles avec leurs foutues formules, mirent encore la barre un peu plus haut. Mais plus rien ne me faisait peur, j'étais excitée comme une puce dans l'attente de la suite. C'est là que par hasard je tombai irrémédiablement amoureuse d'oméga bien qu'on ne m'en ait jamais parlé. La poésie n'y était pas pour rien : « Tu seras de ma vie l'alpha et l'oméga », avait écrit un humain qui, en plus, s'appelait Lhomme. Où était-il ? me demandai-je, tandis qu'alpha reprenait des couleurs. Je levai un œil torve sur les garçons qui m'entouraient. Il y en avait beaucoup plus que de filles, lesdites filles étant parties étudier les langues ou la littérature, comme j'aurais dû le faire. Les garçons étaient intéressés : j'étais une pièce de choix dans un univers vide. Mais pas moi : à tous manquait l'éclair de joie que je ressentais en me baladant sur un ruban de Möbius, en descendant en luge le velours d'une courbe de Gauss ou en prenant le supersonique de l'exponentielle. Les mathématiques, certes ils les aimaient, mais pas comme il aurait fallu. Ils ne s'amusaient pas, ils travaillaient !
Et, enfin, est arrivé le jour de mon oméga. Je l'ai vu venir de loin, tranquille, en retard comme il le serait toujours, avec son pull rayé improbable. Mais : yeux bleus, boucles noires, sourire taquin, charmeur... Il m'a joué du piano, m'a écrit des poèmes. J'ai tout raconté – le velours de Gauss, le ruban de Möbius, le supersonique – en guettant l'éclair dans ses yeux et, bon sang, il y était ! Et, un soir, tandis qu'il mesurait du pouce mon visage pour vérifier s'il respectait la divine proportion, celle de phi, le nombre d'or, il a attiré mon menton vers le sien et j'ai tout oublié des mathématiques.
Les sciences humaines, je crois que j'aurais adoré ! Il m'est arrivé ce qui arrive à beaucoup de "matheux" : l'informatique ! Et ça, c'est du dur de dur et pas vraiment poétique. Vive les sciences "molles" !
Je retiens que l'Amour est plus fort que tout, plus fort que les mathématiques.
En maths, on compte. Mais en amour, on compte aussi. On compte pour l'autre. On compte sur l'autre.
Tout est finalement mathématiques !
Je compte sur vous pour nous faire découvrir, très bientôt, d'aussi beaux contes...