Le temps s'étirait. Voilà probablement des heures qu'elle posait pour ce peintre à la réputation tatillonne. Assise en tailleur, la tête légèrement tournée vers la gauche, elle offrait son dos nu à l'homme qui peignait. Le silence n'était troublé que par le tic tac discret d'une horloge et le soyeux glissement des pinceaux sur la toile. L'artiste, probablement absorbé dans sa création, ne pipait mot.
Agathe sentit que son bras gauche, dont la main tenait un bouquet de fleurs sauvages, commençait à s'ankyloser, en même temps que ses jambes. Il lui sembla qu'elle s'étiolait dans le creux d'une éternité silencieuse. Les fleurs elles-mêmes baissaient peu à peu la tête et seul leur éclat, tirant sur le mauve, demeurait vivant.
Elle prit soudain conscience du changement de couleur de sa peau qui se teintait de bleu. Cela débuta au niveau des doigts puis gagna les poignets. L'azur progressait à vue d'œil et bientôt tout son corps en fut couvert. La jeune femme n'osait pas bouger cependant, ni parler. Les consignes étaient strictes. Le moindre mouvement, la moindre parole émise durant la pose, lui vaudraient un renvoi sans rémunération. Telles étaient les clauses du contrat signé avec le représentant du peintre. Agathe ne pouvait renoncer à une rémunération aussi substantielle que celle qu'on lui proposait ici. Son travail de modèle rapportait peu habituellement. Grâce à l'argent de ce contrat elle s'offrirait un peu de tranquillité et l'opportunité d'élever décemment sa petite Azura, à peine âgée de deux ans.
Penser à sa fille dissipa l'inquiétude qui, fleurissant subrepticement dans sa tête, glissait vers son cœur. Il existait certainement une explication logique à ce phénomène ! La jeune femme respira doucement, porta toute l'attention sur son souffle. Elle avait appris, de cette manière, à détendre ses muscles et ses méninges lors des longues poses dont elle était coutumière.
Sa vision devint imprécise, elle ne discerna plus que le mauve des fleurs et le vert du feuillage. C'est alors qu'une douleur violente vrilla la naissance de son dos et elle ne retint qu'à grand-peine un cri qui mourut instantanément dans sa gorge! Un cri mort-né ! Il lui sembla que tout devenait sombre autour d'elle. Mais la douleur s'estompa progressivement, suivie de simples fourmillements, de chatouillis. Puis elle sentit un impact végétal rampant le long de son échine, en quête de sa nuque.
Son cœur palpitait, affolé. Agathe appuya un peu plus fermement la main droite contre sa poitrine. Quelque chose progressait lentement jusques derrière le crâne qu'on avait rasé selon les closes du contrat. Elle fut très surprise de constater du coin de l'œil qu'il s'agissait d'une fougère aux feuilles immaculées.
D'autres chatouillements se mirent à caresser son dos, ses fesses, et bientôt de petites fleurs mauves, oscillant au bout de leurs tiges, glissèrent contre son épaule et sa joue gauches, s'épanouirent le long de ses hanches et de ses cuisses. Elles étaient identiques à celles du bouquet qu'elle portait.
Était-ce un rêve ? Son imagination s'emballait-elle sous l'effet de la fatigue et de la soif ?
Et pourtant ! Agathe constata avec horreur qu'elle ne pouvait plus bouger, comme enracinée au sol dont elle émergeait. Sa colonne vertébrale s'allégeait avec lenteur, devenant imperceptiblement mobile, semblable à une hampe oscillant sous la brise.
Elle voulut hurler mais sa bouche arrondie ne laissa échapper que quelques pétales mauves, des feuilles blanches et vertes. Sa respiration ne sollicitait plus ses côtes, s'effectuant désormais à travers tous les pores de son corps.
Graduellement, sa pensée s'estompa et finit par s'évanouir, remplacée par une sensation de bien être intense, d'immédiateté. Toute notion de temps avait disparu, toute volonté également. Elle n'aspirait désormais qu'à s'expandre, s'étirer, capter le moindre rayon lumineux, quêter la plus minuscule trace d'humidité...
Le peintre poussa un soupir de satisfaction et posa sa signature au bas de la fesse droite de son modèle, avant de s'absorber dans le nettoyage des pinceaux.
Agathe sentit que son bras gauche, dont la main tenait un bouquet de fleurs sauvages, commençait à s'ankyloser, en même temps que ses jambes. Il lui sembla qu'elle s'étiolait dans le creux d'une éternité silencieuse. Les fleurs elles-mêmes baissaient peu à peu la tête et seul leur éclat, tirant sur le mauve, demeurait vivant.
Elle prit soudain conscience du changement de couleur de sa peau qui se teintait de bleu. Cela débuta au niveau des doigts puis gagna les poignets. L'azur progressait à vue d'œil et bientôt tout son corps en fut couvert. La jeune femme n'osait pas bouger cependant, ni parler. Les consignes étaient strictes. Le moindre mouvement, la moindre parole émise durant la pose, lui vaudraient un renvoi sans rémunération. Telles étaient les clauses du contrat signé avec le représentant du peintre. Agathe ne pouvait renoncer à une rémunération aussi substantielle que celle qu'on lui proposait ici. Son travail de modèle rapportait peu habituellement. Grâce à l'argent de ce contrat elle s'offrirait un peu de tranquillité et l'opportunité d'élever décemment sa petite Azura, à peine âgée de deux ans.
Penser à sa fille dissipa l'inquiétude qui, fleurissant subrepticement dans sa tête, glissait vers son cœur. Il existait certainement une explication logique à ce phénomène ! La jeune femme respira doucement, porta toute l'attention sur son souffle. Elle avait appris, de cette manière, à détendre ses muscles et ses méninges lors des longues poses dont elle était coutumière.
Sa vision devint imprécise, elle ne discerna plus que le mauve des fleurs et le vert du feuillage. C'est alors qu'une douleur violente vrilla la naissance de son dos et elle ne retint qu'à grand-peine un cri qui mourut instantanément dans sa gorge! Un cri mort-né ! Il lui sembla que tout devenait sombre autour d'elle. Mais la douleur s'estompa progressivement, suivie de simples fourmillements, de chatouillis. Puis elle sentit un impact végétal rampant le long de son échine, en quête de sa nuque.
Son cœur palpitait, affolé. Agathe appuya un peu plus fermement la main droite contre sa poitrine. Quelque chose progressait lentement jusques derrière le crâne qu'on avait rasé selon les closes du contrat. Elle fut très surprise de constater du coin de l'œil qu'il s'agissait d'une fougère aux feuilles immaculées.
D'autres chatouillements se mirent à caresser son dos, ses fesses, et bientôt de petites fleurs mauves, oscillant au bout de leurs tiges, glissèrent contre son épaule et sa joue gauches, s'épanouirent le long de ses hanches et de ses cuisses. Elles étaient identiques à celles du bouquet qu'elle portait.
Était-ce un rêve ? Son imagination s'emballait-elle sous l'effet de la fatigue et de la soif ?
Et pourtant ! Agathe constata avec horreur qu'elle ne pouvait plus bouger, comme enracinée au sol dont elle émergeait. Sa colonne vertébrale s'allégeait avec lenteur, devenant imperceptiblement mobile, semblable à une hampe oscillant sous la brise.
Elle voulut hurler mais sa bouche arrondie ne laissa échapper que quelques pétales mauves, des feuilles blanches et vertes. Sa respiration ne sollicitait plus ses côtes, s'effectuant désormais à travers tous les pores de son corps.
Graduellement, sa pensée s'estompa et finit par s'évanouir, remplacée par une sensation de bien être intense, d'immédiateté. Toute notion de temps avait disparu, toute volonté également. Elle n'aspirait désormais qu'à s'expandre, s'étirer, capter le moindre rayon lumineux, quêter la plus minuscule trace d'humidité...
Le peintre poussa un soupir de satisfaction et posa sa signature au bas de la fesse droite de son modèle, avant de s'absorber dans le nettoyage des pinceaux.
Dommage que ce beau texte n'ait pas été plus loin dans la course...