Le meilleur est à venir

Toute histoire commence un jour, quelque part... La mienne a commencé un 14 Octobre où sous l’attention de quelques médecins je fus extirpée du cocon maternel qui jusque-là était mon seul abri. Ma pauvre maman, dans l’incapacité d’accoucher normalement suite à une complication, s’est vue subir une intervention chirurgicale, laquelle s’est soldée par la vue de l’adorable petite créature qu’on  me rapporta que je fus. Dès ce jour, ce fut toute une histoire d’amour entre ma famille et moi, d’autant plus que je suis enfant unique. Une merveilleuse histoire qui, malencontreusement allait changer de cap...

17 ans plus tard, après avoir, non sans effort, convaincu mes parents de me laisser prendre part à une fête nocturne organisée par des amis en mon honneur, j’étais loin de penser que ce jour allait définitivement changer mon existence. Je m’étais méticuleusement préparée pour l’occasion : magnifique et décente robe rouge qui fait ressortir juste ce qu’il faut et escarpins assortis, le tout agrémenté d’accessoires noires. J’étais heureuse, je croquais la vie à pleines dents et je ne me souciais pas trop du lendemain ni de ses constantes problèmes. J’étais trop occupée à appliquer le conseil que je donne très souvent à mes proches : « Live your life to the fullest because you only live once » (Vis ta vie pleinement car tu ne vis qu’une fois). Cela dit, tout allait très bien jusque-là. Je me suis rendue à la fête et comme prévu, tout s’est parfaitement déroulé du début à la fin et j’étais d’autant plus heureuse d’avoir été l’objet de toutes ces attentions. Il était aux environs de 10 heures quand  je manifestai le désir de rentrer chez moi et sachant que j’étais venue en taxi, l’une de mes amies qui allait elle aussi se déplacer me proposa de me mettre à mi-chemin, ce que j’accepte volontiers car la distance restante serait moindre. C’est ainsi que nous avions pris le chemin du retour à bord de sa Rav 4, le cœur léger et le visage rayonnant suite à cette merveilleuse soirée.

Arrivée à l’endroit convenu je pris congé de mon amie qui allait encore parcourir des kilomètres dans une direction maintenant opposée à la mienne. J’entrepris alors de continuer à pied les quelques mètres qui me séparent de ma maison. La route était étonnamment déserte et seul le bruit de mes escarpins résonnait sur le trottoir. Un mauvais frisson me parcourra à cet effet et je resserrai autour de moi mon châle que j’avais eu la bonne idée d’apporter, tout en pressant le pas. Soudain, alors que je traverse le parc qui est par endroit bien éclairé par des lampadaires, je sentis peser sur moi un regard et après un léger temps d’arrêt je me retournai pour m’assurer de mes craintes, mais il n’y avait rien à signaler sinon les silhouettes des arbres qui semblaient me narguer. Avec un soupir de soulagement j’ai continué mon chemin et j’avais atteint une zone de pénombre quand j’ai cru entendre des bruits de pas autres que les miens. Me retournant rapidement, j’ai vu qu’il y avait maintenant quelqu’un derrière moi. Prise de panique j’accélérai considérablement le pas, seulement pour me rendre compte que les bruits de pas imitaient mon rythme. Terrorisée par l’idée d’être suivie par un potentiel bandit, je me mis à courir, ce que l’inconnu ne tarda pas à faire également mais après moi. J’ai beau courir comme une forcenée avec toute l’énergie que me permettaient mes talons de 10 centimètres, mais hélas je le ressentais se rapprocher considérablement de moi. L’instant d’après, je ressentis effroyablement deux bras se refermer autour de moi, me stoppant nettement dans ma course. Terrifiée, j’ouvris la bouche pour hurler mais l’inconnu venait de poser durement une main sur celle-ci transformant ce qui aurait dû être des hurlements en des sons indistincts. Je me débattis sous sa poigne pour essayer de lui échapper mais c’était pareil à essayer de remporter un concours de saut à la perche aux Jeux Olympiques sans même avoir une idée de comment en faire un. L’homme me murmura à l’oreille de me taire et d’arrêter de me gigoter et malgré le bourdonnement de mes oreilles et le sang qui me martelait les tempes, je ne pus m’empêcher de remarquer à quel point il empestait l’alcool et ça n’a fait que redoubler ma terreur. Tout à coup, il me traina un peu plus loin dans le parc dans un coin d’ombre et me posa sans ménagement par terre tout en laissant son épaisse main sur ma bouche. Dans son mouvement sa main glissa légèrement sur ma bouche et j’en profitai pour le mordre de toutes mes forces avant de tenter de m’enfuir. Malgré la douleur il fut plus rapide que moi, il m’attrapa, me plaqua au sol et me gifla violemment. Et là, sans préambule, il entreprit de me souiller et me déroba sauvagement de mon bien le plus précieux.

En un jour aussi mémorable que celui-ci, où tout devait être parfait, je viens d’essuyer la plus grande humiliation de toute mon existence, le jour de mes 17 ans... Environ une heure après ce cauchemar, mon assaillant avait vidé les lieux, laissant derrière lui une jeune femme en pleurs, des lambeaux de tissus mais surtout des lambeaux d’un cœur et d’une dignité qui peut-être ne se recolleront jamais.

En entrant à la maison je fus méconnaissable, inconsolable et trouvai mes parents encore éveillés dans le salon car ils guettaient impatiemment mon retour. En me voyant, ils se sont précipités vers moi,  m’ont pris dans leurs bras et n’ont pas tardé à me demander ce qui n’allait pas. Entre mes sanglots, je leur ai fait part de ma récente mésaventure...

Quelques jours plus tard, malgré l’aide de mes parents et de l’hôpital qu’on avait atteint après le drame, rien n’a changé pour moi. Il est vrai que j’ai subi un « lavage » dans le délai des 72 heures mais je sens qu’un lavage de cerveau aurait été plus efficace car je trimballe chaque jour avec moi les souvenirs douloureux de cet acte écœurant  perpétré par un de mes semblables, par un humain ! Bon Dieu ! Comment une personne peut-elle être aussi ignoble, cruelle ? Est-elle donc privée de cœur, d’âme ?

Entre temps, je me sens mourir à petit feu, j’ai envie de rien, j’ai perdu l’appétit. Moi qui frisais le narcissisme autrefois, je ne peux dorénavant même pas me regarder dans la glace. Je pleure souvent dans ma chambre, mes notes à l’école régressent à vue d’œil et je commence à inquiéter mes professeurs et mes camarades qui ne savent absolument rien de ce que je viens de vivre. En fait même mes meilleurs ami(e)s ne sont pas au courant. Comment aurais-je pu le leur dire ? Il y a des passages de sa vie qu’on ne racontera pour rien au monde à son meilleur ami peu importe à quel point on est proches, et justement cette tragique épisode de ma vie en est un. Depuis ce maudit soir, j’ai perdu ma joie de vivre, mon estime de soi et plus encore ; j’ai même, par moment, pensé au suicide. J’ai eu à affronter une panoplie de sentiments les uns aussi dévastateurs que les autres. J’ai passé de la peine à la colère, de la colère à la rage, de la rage à la haine et au mépris, au regret d’avoir pris part à cette fête, à la honte que j’ai essuyée, à l’impuissance que j’ai éprouvée et que j’éprouve encore... Je sais que mes parents font tout leur possible en ne jamais abordant ce sujet délicat et qu’ils redoublent d’attention envers moi mais rien n’y fait et il m’arrive même de leur faire passer un mauvais quart d’heure avec mon tempérament grognon en restant enfermée dans ma chambre refusant d’adresser la parole à qui que ce soit. Comment puis-je être à l’aise avec mes prochains quand moi-même je ne me sens pas bien dans ma peau ? Après tout, ne dit-on pas que les sentiments que nous manifestons à l’égard des autres sont le miroir de ce que nous possédons nous-mêmes à l’intérieur de nous ? Je me suis rendu compte à quel point cela était vrai. Mon histoire avait considérablement changé, elle est passée d’un conte de fée à un cauchemar que je n’aurais pas souhaité même à ma pire ennemie.

A seulement 17 ans où une jeune fille pétille de joie et se sent invincible, c’est sûrement l’une des choses les plus tragiques et déstabilisants qui puissent lui arriver. Ce drame remet en question son fragile équilibre d’adolescent et lui empoisonne l’existence de divers doutes ; elle ne voit plus son avenir comme avant, elle ne se voit pas elle-même comme avant et ça peut lui faire courir à sa perte si elle n’est pas bien encadrée, si elle n’a pas le support de ses proches, particulièrement sa famille. Dans mon cas, j’ai eu le soutien de ma famille jusqu’au bout et j’ai pu vider mon sac à un psy que mes parents m’ont fait consulté. Au début c’était quasiment impossible d’en parler tellement j’avais l’estomac broyé par ces souvenirs indésirables. Ensuite, au fur et à mesure, je progressais et j’ai commencé à avoir de l’emprise sur mes sentiments et émotions. Je recommençais à me retrouver, j’ai commencé à accepter ce qui était mais j’ai aussi appris à laisser aller ce qui ne sera plus. J’ai appris à déposer cet injuste sentiment de culpabilité qui m’assaillait pour être allée à cette fête, j’ai appris à m’aimer à nouveau et j’ai commencé à me remettre, à guérir cette âme blessée et je peux vous dire que ça fait du bien.

Bref, il est vrai que parfois notre histoire ne se déroule pas exactement ou pas du tout comme on l’aurait voulu mais nous avons le pouvoir d’y apporter notre touche et c’est ce qui va nous permettre de reprendre le dessus, de continuer à mener cette lutte incessante qu’est la vie, de donner de l’espoir à ceux qui n’en ont point et surtout de renaitre de ses cendres pour recommencer à vivre ! Car irrévocablement rien ne vaut une vie et on en a qu’une, alors autant la vivre pleinement en écrivant à notre tour les scénarios désirés, et dites-vous toujours que le meilleur est à venir.