Le départ est donné. Abdé se jette dans la bataille et le monde alentour disparaît : la pure lumière méditerranéenne, le bleu rayonnant et profond de la mer, la clarté crue et aride des ... [+]
Ils étaient venus dans leur grand vaisseau translucide et frémissant, avaient visité notre planète puis étaient repartis vers les étoiles sans daigner s'adresser à nous. Tout ce que les « explorateurs » avaient laissé derrière eux, c'était une boîte. Un cube de métal d'un mètre vingt-et-un de côté posé au cœur du continent Antarctique. Cette boîte nous était-elle adressée ? On pouvait en douter. Les explorateurs, nuées transparentes et protéiformes qui flottaient dans l'air, avaient observé la faune, la flore et la géologie de notre planète, englobant doucement les individus dans une bulle amorphe avant de les laisser, en apparence inchangés. Le couple d'humains « analysé » par les explorateurs avait raconté n'avoir ressenti aucune difficulté respiratoire, avoir eu la sensation d'une légère augmentation de la température ambiante et d'une présence bienveillante. La multitude de tests médicaux auxquels on les avait ensuite soumis durant des semaines n'avaient révélé aucune anomalie. Tous nos efforts pour communiquer, toutes nos tentatives pour capturer un explorateur, avaient échoué. Nous en avions été réduits à observer leurs fluides pérégrinations à la surface du globe. Nous les avions vus se fondre dans les océans, glisser dans l'atmosphère, se répandre à l'intérieur des volcans en retenant notre souffle. Rassurés par leur aspect inoffensif nous attendions désespérément qu'ils nous envoient un message, un signe de reconnaissance entre créatures intelligentes. Une espèce avait retenu l'attention des explorateurs plus que les autres : le dauphin de Guyane. Ils avaient passé une dizaine de jours avec les cétacés dans les eaux côtières du Brésil et les mammifères argentés avaient pépié, cliqueté, émis sons et ultrasons en un colloque allègre dont nous n'avions jamais vraiment réussi à percer la langue secrète.
***
La boîte était-elle un message, un piège, une arme, un cadeau ? Les discussions internationales, au siège de l'ONU, révélaient les dissensions profondes entre nations dans une litanie cacophonique de discours émus. Les uns, considérant qu'il s'agissait d'un présent de Dieu, souhaitaient que la boîte soit prise en charge par les autorités religieuses, d'autres y voyaient plutôt une ruse diabolique, un cheval de Troie dont il fallait à tout prix se garder. Certains militaient pour une analyse scientifique de l'artefact, s'opposant avec véhémence aux états qui proposaient de simplement pulvériser l'objet à coup de missiles. Le conseil de sécurité se réunit, les cinq nations qui le composaient parvinrent à un accord et publièrent un communiqué :
« Les observations par drone ont confirmé ce qu'avaient révélé les images-satellites : l'artefact déposé par les explorateurs est creux et semble contenir plusieurs objets. Le choix d'une zone de la planète où aucune vie ne peut subsister indique peut être que la boîte est destinée à l'espèce humaine, seule capable d'occuper cet espace. Considérant qu'elle pourrait receler d'importantes informations technologiques et scientifiques, nous décidons qu'une mission internationale se chargera dès que possible d'aller récupérer le contenu du cube et qu'aucun brevet ne pourra être réclamé ; les éventuelles découvertes effectuées sont d'ores et déjà déclarées patrimoine universel de la connaissance humaine. »
***
La mission était composée d'une unité de huit militaires de la FORPRONU, de douze scientifiques, ingénieurs, architecte, astrophysicien, exobiologiste, linguiste...et d'un cameraman, tous de nationalités différentes et tous ayant participé à plusieurs missions polaires. La boîte les attendait, posée sur un plateau glacé balayé par un blizzard sifflant, par une température de moins soixante degrés Celsius, à quatre-mille mètre au-dessus du niveau de la mer liquide. Sept milliards de téléspectateurs suivaient la lente progression du groupe à travers cette contrée inhospitalière, mortellement sauvage, impropre à la vie, anxieux de découvrir la surprise que les explorateurs avaient laissée en souvenir de leur passage. Dès que l'architecte eut posé ses mains sur la boîte, un mécanisme d'ouverture silencieux s'activa et le couvercle se rétracta entièrement en un délicat mouvement spiralé. Quatre militaires se précipitèrent, fusils d'assauts tendus, pour inspecter l'intérieur du cube. Celui-ci ne contenait que deux objets : un pavé noir de taille modeste muni de deux boutons et un grand pot en terre cuite dans lequel s'épanouissait un rosier en pleine efflorescence. Protégé des épines acérées par ses gants polaires, l'un des soldats attrapa l'arbuste, tandis qu'un autre tentait vainement de le couvrir d'une housse. Le sublime drapé floral se figea comme du cristal ; pendant un instant, l'on eût pu croire que le rose profond des pétales allait durer pour l'éternité mais les cristaux de glace infiltrés dans les fibres végétales firent éclater toutes les fleurs puis les tiges mêmes du rosier.
***
Le pavé noir contenait une carte holographique en 3D de la galaxie et un message enregistré en anglais. Il était temps d'en révéler la teneur au monde entier. Sur l'immense spirale représentant la voie lactée apparaissaient, dans la myriade d'étoiles scintillantes, quelques points verts, des points orange plus nombreux et des points rouges. Les explorateurs avaient su trouver des symboles adaptés à notre sémantique : un arbre surmontait les points verts, une épée les orange et une tête de mort les rouges. Une voix artificielle, légèrement métallique, débita le message sur un ton d'une langueur monotone :
« La vie est rare dans la galaxie : quatre-vingt milliards de systèmes stellaires, seulement une vingtaine abritant une vie développée. Ces mondes-jardins peuvent durer mais ils sont fragiles. L'idéal est d'avoir un gardien intelligent. La plupart des espèces dites intelligentes ont fabriqué des outils à la puissance démesurée et finissent par s'autodétruire, d'autres espèces leur succèdent à condition que les premières n'aient pas encore anéanti le jardin. Toutes les races intelligentes se racontent des histoires. Vous vous êtes raconté des histoires de tribus, des histoires de peuples et de races, aujourd'hui des histoires de nations. Ce sont là des contes puérils et funestes s'ils vous empêchent d'élever votre conscience au stade où vous assumeriez le rôle du gardien. Toute votre science devrait s'appliquer à comprendre les fragiles équilibres géologiques, atmosphériques et biologiques du jardin. Vous avez préféré vouer vos efforts à la guerre, à une vaine course au confort matériel, échouant même à partager équitablement les dons de la nature avec vos semblables. Vous ne serez probablement jamais les gardiens de la Terre. Les dauphins nous ont alerté et nous sommes venus. Dans quelques dizaines de milliers d'années, votre espèce aura disparu ; eux auront évolué , ils deviendront les gardiens de ce monde. Votre jardin est l'un des plus beaux de la galaxie et nous vous avertissons : nous ne vous laisserons pas le détruire. »
***
La boîte était-elle un message, un piège, une arme, un cadeau ? Les discussions internationales, au siège de l'ONU, révélaient les dissensions profondes entre nations dans une litanie cacophonique de discours émus. Les uns, considérant qu'il s'agissait d'un présent de Dieu, souhaitaient que la boîte soit prise en charge par les autorités religieuses, d'autres y voyaient plutôt une ruse diabolique, un cheval de Troie dont il fallait à tout prix se garder. Certains militaient pour une analyse scientifique de l'artefact, s'opposant avec véhémence aux états qui proposaient de simplement pulvériser l'objet à coup de missiles. Le conseil de sécurité se réunit, les cinq nations qui le composaient parvinrent à un accord et publièrent un communiqué :
« Les observations par drone ont confirmé ce qu'avaient révélé les images-satellites : l'artefact déposé par les explorateurs est creux et semble contenir plusieurs objets. Le choix d'une zone de la planète où aucune vie ne peut subsister indique peut être que la boîte est destinée à l'espèce humaine, seule capable d'occuper cet espace. Considérant qu'elle pourrait receler d'importantes informations technologiques et scientifiques, nous décidons qu'une mission internationale se chargera dès que possible d'aller récupérer le contenu du cube et qu'aucun brevet ne pourra être réclamé ; les éventuelles découvertes effectuées sont d'ores et déjà déclarées patrimoine universel de la connaissance humaine. »
***
La mission était composée d'une unité de huit militaires de la FORPRONU, de douze scientifiques, ingénieurs, architecte, astrophysicien, exobiologiste, linguiste...et d'un cameraman, tous de nationalités différentes et tous ayant participé à plusieurs missions polaires. La boîte les attendait, posée sur un plateau glacé balayé par un blizzard sifflant, par une température de moins soixante degrés Celsius, à quatre-mille mètre au-dessus du niveau de la mer liquide. Sept milliards de téléspectateurs suivaient la lente progression du groupe à travers cette contrée inhospitalière, mortellement sauvage, impropre à la vie, anxieux de découvrir la surprise que les explorateurs avaient laissée en souvenir de leur passage. Dès que l'architecte eut posé ses mains sur la boîte, un mécanisme d'ouverture silencieux s'activa et le couvercle se rétracta entièrement en un délicat mouvement spiralé. Quatre militaires se précipitèrent, fusils d'assauts tendus, pour inspecter l'intérieur du cube. Celui-ci ne contenait que deux objets : un pavé noir de taille modeste muni de deux boutons et un grand pot en terre cuite dans lequel s'épanouissait un rosier en pleine efflorescence. Protégé des épines acérées par ses gants polaires, l'un des soldats attrapa l'arbuste, tandis qu'un autre tentait vainement de le couvrir d'une housse. Le sublime drapé floral se figea comme du cristal ; pendant un instant, l'on eût pu croire que le rose profond des pétales allait durer pour l'éternité mais les cristaux de glace infiltrés dans les fibres végétales firent éclater toutes les fleurs puis les tiges mêmes du rosier.
***
Le pavé noir contenait une carte holographique en 3D de la galaxie et un message enregistré en anglais. Il était temps d'en révéler la teneur au monde entier. Sur l'immense spirale représentant la voie lactée apparaissaient, dans la myriade d'étoiles scintillantes, quelques points verts, des points orange plus nombreux et des points rouges. Les explorateurs avaient su trouver des symboles adaptés à notre sémantique : un arbre surmontait les points verts, une épée les orange et une tête de mort les rouges. Une voix artificielle, légèrement métallique, débita le message sur un ton d'une langueur monotone :
« La vie est rare dans la galaxie : quatre-vingt milliards de systèmes stellaires, seulement une vingtaine abritant une vie développée. Ces mondes-jardins peuvent durer mais ils sont fragiles. L'idéal est d'avoir un gardien intelligent. La plupart des espèces dites intelligentes ont fabriqué des outils à la puissance démesurée et finissent par s'autodétruire, d'autres espèces leur succèdent à condition que les premières n'aient pas encore anéanti le jardin. Toutes les races intelligentes se racontent des histoires. Vous vous êtes raconté des histoires de tribus, des histoires de peuples et de races, aujourd'hui des histoires de nations. Ce sont là des contes puérils et funestes s'ils vous empêchent d'élever votre conscience au stade où vous assumeriez le rôle du gardien. Toute votre science devrait s'appliquer à comprendre les fragiles équilibres géologiques, atmosphériques et biologiques du jardin. Vous avez préféré vouer vos efforts à la guerre, à une vaine course au confort matériel, échouant même à partager équitablement les dons de la nature avec vos semblables. Vous ne serez probablement jamais les gardiens de la Terre. Les dauphins nous ont alerté et nous sommes venus. Dans quelques dizaines de milliers d'années, votre espèce aura disparu ; eux auront évolué , ils deviendront les gardiens de ce monde. Votre jardin est l'un des plus beaux de la galaxie et nous vous avertissons : nous ne vous laisserons pas le détruire. »