Le jour de ma mort

Toute histoire commence un jour, quelque part du tréfonds et de l’abîme des ténèbres, je reviens à la vie. Et moi qui ai toujours pensé que notre histoire débutait le jour de notre naissance. Me suis-je trompé ? La mienne, comme un virage inattendu et un paradoxe à la vie, commence aujourd’hui. Bienvenue au dernier jour de ma vie.
Lisez-moi ; croyez-moi ; vibrez ; tremblez telle ma main l’est. J’ai rencontré la mort et elle m’a épargné. Pourquoi moi et pas un autre ? Injustice me diriez-vous. Mais n’est-ce pas ça l’essence de la vie ? L’injustice ? J’en ai été victime ; j’en ai été la proie. Voilà, la vraie raison qui m’a tissé dans les toiles de la mort.
Bas mon cœur ! bas ! tant que la vie te le permet, bas ! pour dire tout haut au monde ce qu’ils t’ont fait tout bas.
Ce sentiment, vous savez ce sentiment qu’un moment, qu’un jour sera un jour marquant un changement dans une vie je l’ai ressenti ce matin-là. J’aurais aimé que ça soit un sentiment de paix mais tel ne fut pas le cas. Au contraire, telle une brise de vent légère venant me chanter l’aurore du matin, elle est venue m’effleurer le cœur m’arrachant de mon cauchemar et me dressant les poils. « Stresse » me dis-je. Je me retournai et me rendormi. Ce n’est nullement sans compter sur mon réveil qui d’un bond me rouvrit les yeux.
« Pourquoi père ? pourquoi » ces trois mots que mon cerveau ruminait depuis une semaine et que mes lèvres toutes sèches sans crier gare avaient décidé de formuler tout haut me remplissant de colère et de tristesse. Une semaine que tu nous as quitté et une semaine que tu me hantes me laissant dans le désarroi. « Pourquoi moi ? » avais-je demandé à mère. « Pourquoi même dans l’au-delà, il veut continuer à me pourrir la vie ? » Avais-je crié ce jour-là devant le notaire et toute la famille. Si l’on peut appeler ça une famille. « Arrête s’il te plait » dit mère dans une voix presque inaudible par les sanglots. Je rétorquais d’une voix plus forte noircie par la rage « pourquoi devrais-je me taire ? et surtout pourquoi me donne-t-il son entreprise ? tout le monde le sait ici. Ce n’est un secret pour personne ; IL NE M’A JAMAIS AIM... ». Et bien avant que je ne termine cette phrase, un coup sur la joue me sonna. « N’gozi, si de son vivant tu ne l’as jamais respecté, ai pitié de son âme ». Ma grand-mère venait de me donner une raclée. Petite mais puissante cette femme. Je me le suis toujours dis. Je venais d’y goûter. « Mère » les seuls mots que pu prononcer ma génitrice et sans même laisser l’atmosphère redescendre, ma sœur d’une voix agaçante renchérit : « s’il ne le veux pas, moi je le veux. J’ai les aptitudes. J’ai travaillé dur pour ça. Qui a été à ses côtés quand mon ingrat de frère que voici parcourait le monde à la recherche d’inspiration ? MOI... Pleins de fois j’ai dirigé les opérations sans faillir. Jamais ! Ce poste me revient... Oncle John dit leurs que je le mérite ». « Au ciel merci ! que cela soit tienne alors. De toutes les façons je n’en veux guère. Je ne l’ai jamais voulu » m’écriais-je oubliant la claque, qui m’avait quelques minutes plutôt, sonné. « Cela ne se peut » finit par dire le notaire à moins que vous M. N’gozi, ne renonciez à tout jamais à Agua. « Quoi ? Comment ça renoncer à Agua ? Comment a-t-il été mis au courant ? ». « L’influence de votre père s’étend du moins s’étendait jusque dans le milieu littéraire ».
Me voilà ainsi condamné à exercer au minimum durant deux ans la fonction de PDG de Saotale-Oils, l’une des plus grandes entreprises pétrolières du Nigeria. Prix d’ébène me diriez-vous ? Mais pour un artiste comme moi, la mort serait une issue beaucoup plus simple. Si je savais...
Je fus repris de mon voyage que mon cerveau avait décidé de faire dans les vestiges de mon passé par cette foutu alarme une seconde fois. Au diable me dis-je avant de me lever.
Le calme du petit matin m’a toujours fasciné et détendu. J’ai toujours aimé profiter de ce moment de silence et de somnolence de l’univers pour interagir avec elle et parler à mon créateur. J’aurais voulu que ce moment comme à son habitude, m’aide à apaiser mon anxiété qui m’avait, quelques minutes plus tôt, tiré du monde de Morphée. Mais tel ne fut pas le cas. Après quelques instants à contempler l’horizon et à parler à DIEU, je décidai de me préparer. Un PDG n’est jamais en retard n’est-ce pas ? Encore moins le premier jour où il prend fonction. Trente minutes plus tard, j’étais enfin prêt et le monde aussi par le soleil qui montrait son bout de nez.
Avant de sortir comme à mon habitude je conversai avec ma mère au téléphone qui me donna sa bénédiction. La route jusqu’au bureau se fit dans le calme le plus absolu. A mon arrivé, en deux trois mouvements, je pris fonction. Après mon installation, je fus traîné de réunion en réunion afin de me mettre au diapason des dossiers en cours et de faire connaissance avec mes différents collaborateurs.
Je passais une bonne partie de ma matinée à faire cette gymnastique et enfin dans mon bureau je ne désirais qu’une chose m’affaisser dans ce fauteuil afin de me reposer de cette matinée aussi bien fatigante que riche en émotions et profiter de la vue panoramique qu’offrait mon bureau. Je n’eus pas le temps de me poser que quelqu’un fit irruption dans mon bureau sans se faire introduire. Et quand je me retournais un frisson parcourra mon corps en me glaçant le sang. « Oh mon DIEU » qu’est-ce-que... ? mon imagination me joue-t-elle un tour ? Mais qu’est ce qui m’arrive ? la folie s’est-elle accaparée de mon esprit ? en moins d’une journée, les dossiers m’avaient-ils rendu fou ? ce n’est pas possible, c’est même inimaginable. Incompréhensible. Devant moi se trouvait mon reflet... ma copie conforme...
-Mais qui êtes-vous ? et pourquoi...
- On se ressemble n’est-ce pas ? c’est certainement parce que je suis ton frère, ton frère jumeau et je suis venu te priver de tout ce que je n’ai pas eu droit durant toutes ces années.
Avant même que je ne réalise ce qui se passait, il se jeta sur moi m’empoigna le bras et m’enfonça une dague en plein cœur. Je venais d’être poignardé...
En m’écroulant c’est mon âme qui se déchirait, mes entrailles qui se liquéfiaient, mon corps qui se crispait. Mais pourquoi ? Sans me jeter un regard, il disparut aussi discrètement qu’il était venu dans cette pénombre qui l’avait emmené. Etalé dans cette mare de sang, je me sens mourir. Comment ont-ils pu me faire cela ? je savais qu’ils étaient prêts à tout mais ça ? un frère jumeau ? oh mon DIEU...même toi mère ? la seule sur qui je croyais pouvoir compter. Dans mon désarroi et ma peur, j’aurais voulu une dernière fois crier ma colère vis-à-vis de cette famille qui m’a à la fois tout donné et tout repris.
Ne me pleurez pas. Je m’en vais par-delà les sentiers, par-delà les chemins, par-delà les cieux. Aujourd’hui, à l’heure où la vie n’est que désillusion, avant que les oiseaux n’arrêtent de chanter et avant même que le soleil ne se couche, je m’en irai. Je m’effacerai. ADIEU mère, toi qui as donné la dague et alimenter la colère de mon bourreau, la chair de ma chair, le sang de mon sang, mon frère. ADIEU... ADIEU monde qui m’as arraché les larmes au matin dans les champs d’épis et qui le soir venu m’a redonné le sourire à travers ces champs de rose, ADIEU.
J’ai si froid, je sens la vie me quitter, mais quelle vie d’ailleurs ? tout ce que j’ai cru être ma vie n’était que pure illusion. On ne choisit pas sa famille sinon j’aurais choisi la mienne.
Je suis né dans une famille nantie mais dépourvue de morale et d’amour. D’aussi loin que je me rappelle hormis ma mère je n’ai jamais eu l’amour des miens et le plus dur a été le manque d’amour de mon père. Rien que je puisse faire, n’était assez bien pour lui. Pour quelle raison ne m’a-t-il pas fait profiter de son affection ? je ne saurai vous le dire. Etais-je si indigne ? j’étais quand même son fils. Je ne demandais pas grand-chose, je voulais juste qu’il soit fier de moi, qu’il me montre de l’intérêt, en un mot qu’il soit mon père. Mais au lieu de ça, je n’ai eu droit qu’à des miettes de sa personne ; son amour et toute son affection, il a préféré les donner à ma sœur. Très vite, j’ai appris à me débrouiller tout seul, à ne compter que sur ma personne. Ma jeunesse a été remplie de douleur qui avec le temps s’est transformée en rage. En grandissant, j’ai découvert l’écriture. Elle a été ma thérapie, une sorte de refuge dans cette tempête. Je déversais sur ces papiers tout ce que je n’arrivais pas à dire tout haut. Ils contenaient mes larmes, mes phrases avortées, mes amours interdits. A la vingtaine, j’ai quitté la maison pour vivre de cette passion et en faire mon métier. J’étais enfin heureux. Jusqu’au jour où ma mère m’apprit que mon père venait de nous quitter d’une crise cardiaque et il a fallu que je revienne dans cette ville où tout a commencé.
Vingt-huit ans et à un pas de la tombe, je me retourne et je vous maudis, je vous maudis tous autant que vous êtes, je maudis le jour où je suis venu dans ce monde, je te maudis père, mère de m’avoir fait naître alors que vous ne me vouliez pas. J’ai tellement peur, je ne suis pas prêt, je ne veux pas mourir. Pas comme ça, pas dans l’injustice et la solitude...
Comment se peut-il que je sois toujours en vie ? J’ai dansé avec la mort. Entre valse et tango, elle m’a épargné. Le seigneur a racheté mon âme du feu sacré. Garde-moi de me venger de mes ennemis mon DIEU, toi qui m’as sauvé des griffes de la mort.