C'est une île blanche et verte dans l'Atlantique.
Je n'aime pas tout, ici, mais j'aime la poste.
J'aime aussi les dunes.
Les plages de sable scintillant coupées de digues et d'écluses
... [+]
Quand nous avons emménagé dans la nouvelle maison, Maman nous a installés dans le garage. Dans la ville d'avant, nous vivions avec elle dans l'appartement et nous allions à l'école, mais Maman nous a expliqué que nous étions « préjudices » pour son travail. Elle était « styliste mode », Maman (ce qui veut dire couturière) et travaillait à domicile. La « naissance gémellaire » (c'est-à-dire nous) l'avait toujours gênée vis-à-vis de ses clients. Deux enfants sans père, c'était trop pour une seule mère. Comme Maman nous aimait beaucoup, mon frère Adam et moi, elle nous avait quand même gardés avec elle le plus longtemps possible. Nous allions avoir sept ans en octobre. Maman nous a dit que pour elle, il était « grand temps ».
Le grand temps a commencé pour nous un peu avant d'arriver dans notre nouvelle ville. Maman a arrêté la voiture dans un chemin de campagne, elle a sorti deux cartons de déménagement du coffre et nous a dit de monter dedans. Pour que les préjudices ne recommencent pas, personne ne devait nous voir arriver dans la nouvelle maison. C'était très amusant.
ꟷ T'es où, Gabrielle ? criait Adam de son carton.
ꟷ T'es où, Adam ? je criais du mien.
ꟷ Dans mon tombeau... Aaahhh... Je suis mort...
ꟷ Taisez-vous, les cartons. Il faut vous habituer à être sages, sinon je vous dépose à la déchetterie.
Maman était drôle. Elle nous faisait rire et en même temps nous avions un peu peur d'étouffer dans les cartons, même si elle avait laissé des espaces non scotchés pour que nous puissions respirer. Dans les virages, les boîtes glissaient sur le siège arrière. J'avalais ma salive pour ne pas vomir, ce qui aurait été un gros préjudice.
Maman a très bien organisé notre vie au garage. Nous avions emporté nos jouets préférés et elle nous en a acheté plein d'autres, nous les avons choisis avec elle sur internet. J'ai eu huit poupées Barbie et une licorne en peluche bleue. Adam a eu des chevaliers de tournoi et une base spatiale Playmobil que je l'ai aidé à construire... que j'ai construite toute seule, en vrai, pendant qu'il jouait à faire combattre ses chevaliers contre ma licorne.
Maman nous a donné son vieil ordinateur. Nous pouvions regarder des dessins animés, avec un casque pour ne pas être entendus de l'extérieur. Elle nous a aussi offert des cahiers de vacances pour remplacer l'école.
Au début, Maman passait beaucoup de temps avec nous dans le garage. C'était en août, elle n'avait pas ses clients et tous les voisins étaient en vacances, personne ne pouvait nous voir, mais nous n'avions quand même pas le droit de sortir. Pour nous habituer.
Nous avions de la chance (comme disait Maman), car le garage avait servi d'atelier à l'ancien propriétaire, un retraité bricoleur qui y passait tout son temps et qui l'avait aménagé (comme disait aussi Maman) « avec tout le confort pour y vivre ». Nous avions une petite fenêtre, un évier où nous pouvions nous servir à boire et nous laver (à l'eau froide) et des toilettes cachées derrière un rideau dans un recoin. La grande porte basculante était bloquée, Maman passait par l'entrée qui communiquait avec la maison. Quand elle s'en allait, elle refermait à clé.
Nous vivions en culotte parce qu'il faisait chaud et que nous n'avions pas le droit d'ouvrir la fenêtre, sauf quand Maman était avec nous. Elle nous apportait à manger à midi et le soir, et nous laissait des gâteaux pour le petit déjeuner. Avant de nous coucher, elle nous racontait une histoire. Nous lui demandions de nous décrire la maison, c'était notre histoire préférée.
Puis Maman est venue moins souvent, car elle avait « d'autres obligations ». Nous entendions souvent la sonnette du portail, et des pas dans le gravier du jardin, et des conversations. Nous n'avions pas le droit de regarder par la fenêtre, mais nous comprenions que c'était les clientes et les clients de Maman. Les clients restaient plus longtemps. Certains passaient la nuit à la maison. Une fois, un client est resté trois jours et Maman ne nous a pas apporté à manger (heureusement, nous avions une réserve de vieilles gaufrettes et de chocolat au riz). Maman nous a ensuite expliqué que c'était un très gros client, elle n'avait pas pu faire autrement. Pour se rattraper, elle nous a préparé un repas de fête avec du poulet rôti aux patates douces, du coca et une glace aux smarties. Elle a mangé avec nous en buvant le reste d'une bouteille de champagne et nous a fait des guilis.
Un matin, nous avons entendu aboyer dans le jardin. Puis gratter à la porte du garage. Puis pleurer à petits coups suppliants. Nous avons parlé gentiment au chien à travers la porte, mais il a pleuré encore plus fort. Adam a dit :
— Je vais le chercher !
C'était grave, comme idée, mais mon frère ne tenait plus en place. Il a ouvert la fenêtre malgré l'interdiction et il a murmuré :
— Viens ! Chut ! Viens !
Le chien est venu sous la fenêtre et s'est mis à sauter en aboyant. Alors Adam est passé par la fenêtre, l'a caressé, soulevé et me l'a tendu. Il était petit, blanc et frisé, j'ai tout de suite pensé que je l'appellerais Flocon. Nous l'avons caché dans le placard quand Maman a apporté le repas, mais elle l'a trouvé parce qu'il a gémi pour sortir. Elle ne voulait pas que nous le gardions, et quand nous avons pleuré elle s'est mise très en colère, elle a crié qu'elle détestait « les derniers arguments » (nos larmes, dans le langage de Maman). Elle a pris Flocon dans ses bras, il lui a léché la main, elle est sortie avec lui et nous avons entendu la voiture démarrer. Quand elle est rentrée, bien plus tard, elle a dit qu'elle ne voulait plus entendre un seul mot sur « ce chien ».
Pendant l'hiver, nous avons gardé jour et nuit nos anoraks et pris l'habitude de nous coucher dès qu'il faisait noir. Nous n'avions pas le droit d'allumer la lumière, car Maman disait que cela aurait pu « laisser soupçonner ». Elle avait maintenant beaucoup de clients. Celui qui venait le plus souvent s'appelait Malo. Nous les entendions parler et rire dans le jardin. S'il restait plusieurs jours, elle nous préparait des provisions à l'avance et chantait en nous les apportant.
Un jour de neige, nous avons entendu Malo demander s'il pouvait rentrer sa voiture au garage. Maman a répondu :
— Non, désolée ! Je n'ai pas encore jeté tout mon fourbi.
Une autre fois, nous l'avons entendu marcher autour du garage. Il a secoué la porte basculante. J'ai soufflé à Adam :
— Cachons-nous.
C'est ce que Maman nous avait dit de faire si quelqu'un venait, et de fermer le verrou qu'elle avait posé à l'intérieur du placard. Mais nous n'avons bougé ni l'un ni l'autre, et les pas se sont éloignés. Puis nous avons vu la poignée de l'autre porte tourner. J'ai répété :
— Cachons-nous.
Mais nous n'avons toujours pas bougé, jusqu'à ce que la tête de Malo apparaisse à la fenêtre. Une bonne tête. Quand il a tapé contre la vitre et crié : « Vous êtes qui, vous deux ? », j'ai senti que les derniers arguments étaient en train de me monter aux yeux. J'ai essayé de me contrôler, mais ils me serraient la gorge et la poitrine. J'ai regardé Adam et j'ai vu que les arguments coulaient déjà sur ses joues. Alors, moi aussi j'ai pleuré. Malo nous regardait, la bouche grande ouverte, ce qui ne lui donnait pas l'air très intelligent.
Malo nous a emmenés chez sa mère, qui tient la crêperie aux volets bleus face à l'océan. Quand il n'est pas sur son « navire » (c'est comme ça que les marins appellent leur bateau), il passe manger des crêpes et faire du vélo avec nous. Nous allons à l'école et au club de voile. Nanou, la mère de Malo, nous dit toujours d'inviter des copines et des copains pour jouer, mais nous préférons rester tous les deux. Nous sommes heureux ici depuis trois ans, sauf que nous n'avons pas de nouvelles de Maman. Elle n'est jamais venue, pourtant ce n'est pas loin, moins d'une heure par le car. Alors, nous économisons en secret sur notre argent de poche pour aller la voir.
Le grand temps a commencé pour nous un peu avant d'arriver dans notre nouvelle ville. Maman a arrêté la voiture dans un chemin de campagne, elle a sorti deux cartons de déménagement du coffre et nous a dit de monter dedans. Pour que les préjudices ne recommencent pas, personne ne devait nous voir arriver dans la nouvelle maison. C'était très amusant.
ꟷ T'es où, Gabrielle ? criait Adam de son carton.
ꟷ T'es où, Adam ? je criais du mien.
ꟷ Dans mon tombeau... Aaahhh... Je suis mort...
ꟷ Taisez-vous, les cartons. Il faut vous habituer à être sages, sinon je vous dépose à la déchetterie.
Maman était drôle. Elle nous faisait rire et en même temps nous avions un peu peur d'étouffer dans les cartons, même si elle avait laissé des espaces non scotchés pour que nous puissions respirer. Dans les virages, les boîtes glissaient sur le siège arrière. J'avalais ma salive pour ne pas vomir, ce qui aurait été un gros préjudice.
Maman a très bien organisé notre vie au garage. Nous avions emporté nos jouets préférés et elle nous en a acheté plein d'autres, nous les avons choisis avec elle sur internet. J'ai eu huit poupées Barbie et une licorne en peluche bleue. Adam a eu des chevaliers de tournoi et une base spatiale Playmobil que je l'ai aidé à construire... que j'ai construite toute seule, en vrai, pendant qu'il jouait à faire combattre ses chevaliers contre ma licorne.
Maman nous a donné son vieil ordinateur. Nous pouvions regarder des dessins animés, avec un casque pour ne pas être entendus de l'extérieur. Elle nous a aussi offert des cahiers de vacances pour remplacer l'école.
Au début, Maman passait beaucoup de temps avec nous dans le garage. C'était en août, elle n'avait pas ses clients et tous les voisins étaient en vacances, personne ne pouvait nous voir, mais nous n'avions quand même pas le droit de sortir. Pour nous habituer.
Nous avions de la chance (comme disait Maman), car le garage avait servi d'atelier à l'ancien propriétaire, un retraité bricoleur qui y passait tout son temps et qui l'avait aménagé (comme disait aussi Maman) « avec tout le confort pour y vivre ». Nous avions une petite fenêtre, un évier où nous pouvions nous servir à boire et nous laver (à l'eau froide) et des toilettes cachées derrière un rideau dans un recoin. La grande porte basculante était bloquée, Maman passait par l'entrée qui communiquait avec la maison. Quand elle s'en allait, elle refermait à clé.
Nous vivions en culotte parce qu'il faisait chaud et que nous n'avions pas le droit d'ouvrir la fenêtre, sauf quand Maman était avec nous. Elle nous apportait à manger à midi et le soir, et nous laissait des gâteaux pour le petit déjeuner. Avant de nous coucher, elle nous racontait une histoire. Nous lui demandions de nous décrire la maison, c'était notre histoire préférée.
Puis Maman est venue moins souvent, car elle avait « d'autres obligations ». Nous entendions souvent la sonnette du portail, et des pas dans le gravier du jardin, et des conversations. Nous n'avions pas le droit de regarder par la fenêtre, mais nous comprenions que c'était les clientes et les clients de Maman. Les clients restaient plus longtemps. Certains passaient la nuit à la maison. Une fois, un client est resté trois jours et Maman ne nous a pas apporté à manger (heureusement, nous avions une réserve de vieilles gaufrettes et de chocolat au riz). Maman nous a ensuite expliqué que c'était un très gros client, elle n'avait pas pu faire autrement. Pour se rattraper, elle nous a préparé un repas de fête avec du poulet rôti aux patates douces, du coca et une glace aux smarties. Elle a mangé avec nous en buvant le reste d'une bouteille de champagne et nous a fait des guilis.
Un matin, nous avons entendu aboyer dans le jardin. Puis gratter à la porte du garage. Puis pleurer à petits coups suppliants. Nous avons parlé gentiment au chien à travers la porte, mais il a pleuré encore plus fort. Adam a dit :
— Je vais le chercher !
C'était grave, comme idée, mais mon frère ne tenait plus en place. Il a ouvert la fenêtre malgré l'interdiction et il a murmuré :
— Viens ! Chut ! Viens !
Le chien est venu sous la fenêtre et s'est mis à sauter en aboyant. Alors Adam est passé par la fenêtre, l'a caressé, soulevé et me l'a tendu. Il était petit, blanc et frisé, j'ai tout de suite pensé que je l'appellerais Flocon. Nous l'avons caché dans le placard quand Maman a apporté le repas, mais elle l'a trouvé parce qu'il a gémi pour sortir. Elle ne voulait pas que nous le gardions, et quand nous avons pleuré elle s'est mise très en colère, elle a crié qu'elle détestait « les derniers arguments » (nos larmes, dans le langage de Maman). Elle a pris Flocon dans ses bras, il lui a léché la main, elle est sortie avec lui et nous avons entendu la voiture démarrer. Quand elle est rentrée, bien plus tard, elle a dit qu'elle ne voulait plus entendre un seul mot sur « ce chien ».
Pendant l'hiver, nous avons gardé jour et nuit nos anoraks et pris l'habitude de nous coucher dès qu'il faisait noir. Nous n'avions pas le droit d'allumer la lumière, car Maman disait que cela aurait pu « laisser soupçonner ». Elle avait maintenant beaucoup de clients. Celui qui venait le plus souvent s'appelait Malo. Nous les entendions parler et rire dans le jardin. S'il restait plusieurs jours, elle nous préparait des provisions à l'avance et chantait en nous les apportant.
Un jour de neige, nous avons entendu Malo demander s'il pouvait rentrer sa voiture au garage. Maman a répondu :
— Non, désolée ! Je n'ai pas encore jeté tout mon fourbi.
Une autre fois, nous l'avons entendu marcher autour du garage. Il a secoué la porte basculante. J'ai soufflé à Adam :
— Cachons-nous.
C'est ce que Maman nous avait dit de faire si quelqu'un venait, et de fermer le verrou qu'elle avait posé à l'intérieur du placard. Mais nous n'avons bougé ni l'un ni l'autre, et les pas se sont éloignés. Puis nous avons vu la poignée de l'autre porte tourner. J'ai répété :
— Cachons-nous.
Mais nous n'avons toujours pas bougé, jusqu'à ce que la tête de Malo apparaisse à la fenêtre. Une bonne tête. Quand il a tapé contre la vitre et crié : « Vous êtes qui, vous deux ? », j'ai senti que les derniers arguments étaient en train de me monter aux yeux. J'ai essayé de me contrôler, mais ils me serraient la gorge et la poitrine. J'ai regardé Adam et j'ai vu que les arguments coulaient déjà sur ses joues. Alors, moi aussi j'ai pleuré. Malo nous regardait, la bouche grande ouverte, ce qui ne lui donnait pas l'air très intelligent.
Malo nous a emmenés chez sa mère, qui tient la crêperie aux volets bleus face à l'océan. Quand il n'est pas sur son « navire » (c'est comme ça que les marins appellent leur bateau), il passe manger des crêpes et faire du vélo avec nous. Nous allons à l'école et au club de voile. Nanou, la mère de Malo, nous dit toujours d'inviter des copines et des copains pour jouer, mais nous préférons rester tous les deux. Nous sommes heureux ici depuis trois ans, sauf que nous n'avons pas de nouvelles de Maman. Elle n'est jamais venue, pourtant ce n'est pas loin, moins d'une heure par le car. Alors, nous économisons en secret sur notre argent de poche pour aller la voir.
Bravo pour cela, cette incroyable façon de "voir à travers les yeux des enfants", même les histoires les pires...
C'est vraiment une très belle histoire, terrible et porteuse d'espoir :)
Cela donne l'impression d'avoir été écrit avec précision et le style fait mouche ...
Merci pour ce moment !
Pour vous c'est une réussite !