Les arbres me semblent à l’égal des personnes.
À écouter le vent dans leur ramure, en les regardant vieillir, témoins des joies et des peines d’une famille, j’ai noué avec certains d’entre eux de vrais liens d’affection.
Le figuier, qui de l’Antiquité à nos jours a enrichi pays et exploitants pourvu que leurs collines soient brûlées l’été et peu exposées au gel l’hiver, est mon favori.
Ah ! bien sûr, je ne vous l’ai pas encore dit, il est réputé comme associé à la magie et cela remonte bien loin.
On raconte qu’Ulysse s’est accroché à l’un d’entre eux pour ne pas être aspiré par un monstre marin ! Bien entendu, cela souligne surtout la force de son enracinement, mais je ne peux m’empêcher d’y voir un effet volontaire et intelligent.
Un arbre, une plante, qu’ils appartiennent à une variété productive ou soient considérés comme parasites, ne s’épanouissent jamais aussi bien que lorsque suivant une sorte d’intuition ils s’installent là où cela leur sera le plus profitable.
Évidemment, certains esprits cartésiens n’y souligneront qu’un simple déterminisme. Pour avoir observé au fil des années et avec tendresse ce représentant méridional, j’ose soutenir cette hypothèse, quoique modeste et culottée.
La graine minuscule, sans doute déposée bien involontairement par un merle devant la porte d’entrée chez ma mère, est tombée au bon endroit. Ces deux-là ont depuis noué une amitié renouvelée à chaque retour du petit migrateur. Cela ne justifie pas un emplacement de plus en plus encombrant, mais se place du point de vue de l’arbre. Tout à côté de son point de chute se trouve le robinet d’arrosage !
Peu gourmand en eau, il a colonisé bien des régions arides, mais grâce à sa proximité il a récupéré à son profit toutes les pertes de la plomberie. Ces quelques gouttes fréquemment distillées en entretenant l’humidité du sol ont eu pour effet de favoriser sa tendance expansive.
Sa ramée, a rafraîchi nos déjeuners familiaux à la saison chaude. Elle a abrité les réunions de sœurs, cousines, nièces, tout un monde féminin et complice gardant au secret les petites peines, les grands projets et quelques utopies dont les femmes, même au XXIe siècle, continuent à exclure les mâles.
Notre ficus s’il n’atteint pas des sommets considérables, développe par contre un périmètre de bractée supérieur à sa hauteur. Il se trouve qu’un facteur concordant a avantagé à la longue sa croissance.
Le jardinier en chef municipal refuse l’élagage des importants platanes qui jouxtent la rue, au nom d’un principe peut-être aussi sentimental qu’écologique. Il interdit que l’on réduise leur faîtage qui capture la majeure partie des rayons solaires. Notre sujet végétal, trouvant la parade, s’est développé vers l’astre dans tous les sens.
Croissant en ampleur dans toutes les zones laissées libres par des branches ascensionnelles, mais rectilignes, le rusé a envoyé les siennes dans les interstices vacants. Au fil des années, cela a donné cette curieuse silhouette, penchée, tordue, noueuse.
Comme il est âgé maintenant, bien des saisons en ajoutant des cercles à sa base ont aussi dessiné des têtes où la figure du rhinocéros domine.
Courbé par les années, le fut à force de s’incliner a fini par former un angle où s’est développé un étrange éperon. Je ne peux m’interdire de distinguer dans les insolites circonvolutions de son tronc des aspects évoquant soit des formes familières, soit de fantastiques masques animaliers.
J’aime flatter de la main ce que j’imagine être sa croupe. Le son qui résonne ressemble à celui que produirait la caresse d’un cuir vivant. D’ailleurs, il me semble percevoir la force de la sève qui l’irrigue de son cœur battant.
Dans les cavités de son écorce quelquefois, des graines minuscules déposées là par des passagers ailés éclosent. Pendant quelque temps, on peut en observer la croissance. Un pétiole s’ouvre et survit une courte période en se nourrissant des quelques gouttes de la rosée matinale.
Sa généreuse quoique un peu envahissante propension à se développer déborde maintenant sur mon propre clos mitoyen. Son ombre dense et bienvenue s’y étend.
Il fait bon de juin à septembre y tirer son fauteuil pour y lire de longs moments, y somnoler ou refaire le monde en compagnie. Le son d’un carillon se propage entre les habitations.
Son timbre fait partie de l’arbre. Suspendu lors d’une fête il est resté accroché à la cabane miniature que nous avons fabriquée pour servir de nichoir aux oiseaux. Ils n’ont jamais daigné s’y installer, mais quand les fruits arrivent à maturité, les moineaux viennent dans le branchage pour picorer dans les bourses violettes gorgées de sucre.
Ah ! ces fameuses figues, nous nous dispenserions volontiers de l’obligation de les ramasser afin de nous éviter l’inconvénient de transporter sous nos semelles ces empreintes qui laissent sur le carrelage de bien disgracieux dessins. Cela fait partie des travers de notre hôte. Nous les supportons sans trop de mauvaise humeur. Car la nature meurt de faim ! Aucune miette aucun débris, en vertu de leur fonction nourricière, ne se perd.
Autour des racines, habite tout un monde minuscule. Dans l’espèce terrestre se pressent les fourmis et même nos tortues qui, quoique choyées, en apprécient le suc délicieux. Plus haut, les moucherons et les guêpes bourdonnent. Il ne s’agirait pas de tenter de les chasser, car elles exercent un rôle essentiel et reproducteur.
Si l’été il produit régulièrement ses fruits, avec une abondance égale à son ample couronne, les automnes voient choir les feuilles caduques.
Une année, nous avons réfléchi à la possibilité d’un peu contenir sa spectaculaire croissance. L’élaguer serait pourtant contraire à son essence. Lorsque la belle saison une fois terminée son action sur la montée de sève, a mis au repos ce spécimen si particulier, nous avons tout de même envisagé de réduire sa voilure. Cette décision a fait l’objet de bien des discussions. J’ai rappelé son rôle pendant un été torride où il a enserré étroitement les issues du premier étage, climatiseur naturel et régulateur. Cela en était au point où il devenait un peu difficile d’ouvrir les fenêtres. Selon la coutume méridionale, par précaution ou tradition, nous les gardons de toute façon fermées en cette saison.
En ce qui me concerne, sa réduction aurait pour effet de supprimer le chapeau rafraîchissant qui saute la clôture pour visiter mon propre lopin. Cette seule justification pratique ne suffirait pas à expliquer mes préventions.
En raison de l’affection dont il jouit, le sujet a suscité bien des conférences familiales. Elles ont eu raison de mon opposition à sa taille. J’ai eu beau m’écrier que je ne les imaginais pas décidant de couper une patte à un de mes chats favoris, devant un vote penchant en majorité pour un toilettage sérieux j’ai fini par me ranger à leurs remarques rationnelles. Le projet de réduction a emporté tous les suffrages.
— Pour son bien, pour le fortifier...
Ai-je entendu avec encore quantité d’arguments.
Nous avons eu l’occasion de bien le regretter à la vue de ses moignons désolés, ce qui a eu pour effet de ramener à la raison toutes les autres femmes de la famille.
Nous ne l’avons plus jamais approché armées des redoutables outils coupants. Pendant toute une saison, nous avons déploré la désertion des habitants à plumes et l’empêchement de dresser à son pied la table des déjeuners d’été.
Un simple pan de mur sépare mon jardin de celui de ma mère, je bénéficie de l’ombre, et de la musique de ce vieil enchanteur.
La question m’est souvent posée : pourquoi ne pas planter moi-même un représentant de cette catégorie dont j’aime tout, du parfum au feuillage, en passant par des formes imprévues ?
Je sais par expérience que lui seul peut décider du moment ou de l’endroit où il choisira de croître.
Comme notre sujet fréquemment visité par les oiseaux dissémine généreusement ses graines, beaucoup d’arbrisseaux ont tenté leur chance de mon côté. J’ai dû les éradiquer, la surface dont je dispose ne me permet pas de courir le risque de cette reproduction. Je n’ai qu’à lever les yeux pour en apercevoir l’original.
Ah ! mais que vois-je ? Oh non, le monstre, il a osé ! Je remarque ce que m’avait dissimulé jusque-là le lierre touffu qui tapisse la barrière de mon lopin. Et puis, c’est l’automne, le géant d’à côté a perdu ses premières feuilles, je repère seulement maintenant sa présence ! Il a choisi, et s’impose, déjà bien enraciné.
Comme une chatte errante venant se blottir avec ses petits dans une cachette secrète et sûre, un arbrisseau s’est installé.
Trop tard pour lui refuser la place.
À écouter le vent dans leur ramure, en les regardant vieillir, témoins des joies et des peines d’une famille, j’ai noué avec certains d’entre eux de vrais liens d’affection.
Le figuier, qui de l’Antiquité à nos jours a enrichi pays et exploitants pourvu que leurs collines soient brûlées l’été et peu exposées au gel l’hiver, est mon favori.
Ah ! bien sûr, je ne vous l’ai pas encore dit, il est réputé comme associé à la magie et cela remonte bien loin.
On raconte qu’Ulysse s’est accroché à l’un d’entre eux pour ne pas être aspiré par un monstre marin ! Bien entendu, cela souligne surtout la force de son enracinement, mais je ne peux m’empêcher d’y voir un effet volontaire et intelligent.
Un arbre, une plante, qu’ils appartiennent à une variété productive ou soient considérés comme parasites, ne s’épanouissent jamais aussi bien que lorsque suivant une sorte d’intuition ils s’installent là où cela leur sera le plus profitable.
Évidemment, certains esprits cartésiens n’y souligneront qu’un simple déterminisme. Pour avoir observé au fil des années et avec tendresse ce représentant méridional, j’ose soutenir cette hypothèse, quoique modeste et culottée.
La graine minuscule, sans doute déposée bien involontairement par un merle devant la porte d’entrée chez ma mère, est tombée au bon endroit. Ces deux-là ont depuis noué une amitié renouvelée à chaque retour du petit migrateur. Cela ne justifie pas un emplacement de plus en plus encombrant, mais se place du point de vue de l’arbre. Tout à côté de son point de chute se trouve le robinet d’arrosage !
Peu gourmand en eau, il a colonisé bien des régions arides, mais grâce à sa proximité il a récupéré à son profit toutes les pertes de la plomberie. Ces quelques gouttes fréquemment distillées en entretenant l’humidité du sol ont eu pour effet de favoriser sa tendance expansive.
Sa ramée, a rafraîchi nos déjeuners familiaux à la saison chaude. Elle a abrité les réunions de sœurs, cousines, nièces, tout un monde féminin et complice gardant au secret les petites peines, les grands projets et quelques utopies dont les femmes, même au XXIe siècle, continuent à exclure les mâles.
Notre ficus s’il n’atteint pas des sommets considérables, développe par contre un périmètre de bractée supérieur à sa hauteur. Il se trouve qu’un facteur concordant a avantagé à la longue sa croissance.
Le jardinier en chef municipal refuse l’élagage des importants platanes qui jouxtent la rue, au nom d’un principe peut-être aussi sentimental qu’écologique. Il interdit que l’on réduise leur faîtage qui capture la majeure partie des rayons solaires. Notre sujet végétal, trouvant la parade, s’est développé vers l’astre dans tous les sens.
Croissant en ampleur dans toutes les zones laissées libres par des branches ascensionnelles, mais rectilignes, le rusé a envoyé les siennes dans les interstices vacants. Au fil des années, cela a donné cette curieuse silhouette, penchée, tordue, noueuse.
Comme il est âgé maintenant, bien des saisons en ajoutant des cercles à sa base ont aussi dessiné des têtes où la figure du rhinocéros domine.
Courbé par les années, le fut à force de s’incliner a fini par former un angle où s’est développé un étrange éperon. Je ne peux m’interdire de distinguer dans les insolites circonvolutions de son tronc des aspects évoquant soit des formes familières, soit de fantastiques masques animaliers.
J’aime flatter de la main ce que j’imagine être sa croupe. Le son qui résonne ressemble à celui que produirait la caresse d’un cuir vivant. D’ailleurs, il me semble percevoir la force de la sève qui l’irrigue de son cœur battant.
Dans les cavités de son écorce quelquefois, des graines minuscules déposées là par des passagers ailés éclosent. Pendant quelque temps, on peut en observer la croissance. Un pétiole s’ouvre et survit une courte période en se nourrissant des quelques gouttes de la rosée matinale.
Sa généreuse quoique un peu envahissante propension à se développer déborde maintenant sur mon propre clos mitoyen. Son ombre dense et bienvenue s’y étend.
Il fait bon de juin à septembre y tirer son fauteuil pour y lire de longs moments, y somnoler ou refaire le monde en compagnie. Le son d’un carillon se propage entre les habitations.
Son timbre fait partie de l’arbre. Suspendu lors d’une fête il est resté accroché à la cabane miniature que nous avons fabriquée pour servir de nichoir aux oiseaux. Ils n’ont jamais daigné s’y installer, mais quand les fruits arrivent à maturité, les moineaux viennent dans le branchage pour picorer dans les bourses violettes gorgées de sucre.
Ah ! ces fameuses figues, nous nous dispenserions volontiers de l’obligation de les ramasser afin de nous éviter l’inconvénient de transporter sous nos semelles ces empreintes qui laissent sur le carrelage de bien disgracieux dessins. Cela fait partie des travers de notre hôte. Nous les supportons sans trop de mauvaise humeur. Car la nature meurt de faim ! Aucune miette aucun débris, en vertu de leur fonction nourricière, ne se perd.
Autour des racines, habite tout un monde minuscule. Dans l’espèce terrestre se pressent les fourmis et même nos tortues qui, quoique choyées, en apprécient le suc délicieux. Plus haut, les moucherons et les guêpes bourdonnent. Il ne s’agirait pas de tenter de les chasser, car elles exercent un rôle essentiel et reproducteur.
Si l’été il produit régulièrement ses fruits, avec une abondance égale à son ample couronne, les automnes voient choir les feuilles caduques.
Une année, nous avons réfléchi à la possibilité d’un peu contenir sa spectaculaire croissance. L’élaguer serait pourtant contraire à son essence. Lorsque la belle saison une fois terminée son action sur la montée de sève, a mis au repos ce spécimen si particulier, nous avons tout de même envisagé de réduire sa voilure. Cette décision a fait l’objet de bien des discussions. J’ai rappelé son rôle pendant un été torride où il a enserré étroitement les issues du premier étage, climatiseur naturel et régulateur. Cela en était au point où il devenait un peu difficile d’ouvrir les fenêtres. Selon la coutume méridionale, par précaution ou tradition, nous les gardons de toute façon fermées en cette saison.
En ce qui me concerne, sa réduction aurait pour effet de supprimer le chapeau rafraîchissant qui saute la clôture pour visiter mon propre lopin. Cette seule justification pratique ne suffirait pas à expliquer mes préventions.
En raison de l’affection dont il jouit, le sujet a suscité bien des conférences familiales. Elles ont eu raison de mon opposition à sa taille. J’ai eu beau m’écrier que je ne les imaginais pas décidant de couper une patte à un de mes chats favoris, devant un vote penchant en majorité pour un toilettage sérieux j’ai fini par me ranger à leurs remarques rationnelles. Le projet de réduction a emporté tous les suffrages.
— Pour son bien, pour le fortifier...
Ai-je entendu avec encore quantité d’arguments.
Nous avons eu l’occasion de bien le regretter à la vue de ses moignons désolés, ce qui a eu pour effet de ramener à la raison toutes les autres femmes de la famille.
Nous ne l’avons plus jamais approché armées des redoutables outils coupants. Pendant toute une saison, nous avons déploré la désertion des habitants à plumes et l’empêchement de dresser à son pied la table des déjeuners d’été.
Un simple pan de mur sépare mon jardin de celui de ma mère, je bénéficie de l’ombre, et de la musique de ce vieil enchanteur.
La question m’est souvent posée : pourquoi ne pas planter moi-même un représentant de cette catégorie dont j’aime tout, du parfum au feuillage, en passant par des formes imprévues ?
Je sais par expérience que lui seul peut décider du moment ou de l’endroit où il choisira de croître.
Comme notre sujet fréquemment visité par les oiseaux dissémine généreusement ses graines, beaucoup d’arbrisseaux ont tenté leur chance de mon côté. J’ai dû les éradiquer, la surface dont je dispose ne me permet pas de courir le risque de cette reproduction. Je n’ai qu’à lever les yeux pour en apercevoir l’original.
Ah ! mais que vois-je ? Oh non, le monstre, il a osé ! Je remarque ce que m’avait dissimulé jusque-là le lierre touffu qui tapisse la barrière de mon lopin. Et puis, c’est l’automne, le géant d’à côté a perdu ses premières feuilles, je repère seulement maintenant sa présence ! Il a choisi, et s’impose, déjà bien enraciné.
Comme une chatte errante venant se blottir avec ses petits dans une cachette secrète et sûre, un arbrisseau s’est installé.
Trop tard pour lui refuser la place.
Les platanes sont bien gênants mais le figuier a trouvé la parade.
Texte instructif et qui se déguste comme des figues gorgées de soleil mais dont vous disiez dans votre autre texte, qu’elles n’étaient pas comestibles ?
Enfin c’est vrai, les arbres s’ingénient à trouver des formes suggestives que nous attribuons à des animaux ou des visages.
Près de chez moi sur une allée, un platane a « enserré » de son écorce un panneau de stationnement interdit, créant une forme surréaliste.
Il me semble que dans votre texte « Dans l’espèce terrestre » serait plutôt « dans l’espace terrestre » ??
Merci Mireille pour ce bon moment de lecture !
Un souci de la nature dont vous observez la vie avec curiosité et bienveillance .
Une écriture rare au service d'une histoire très maîtrisée.
Ce figuier m'a fait penser à la petite chatte perdue qui est arrivée au début d'un été sur ma terrasse.
Timide au début.
Depuis elle s'est imposée à la maison comme une reine 😏
Et on a bien failli avoir des petits !!
Un texte magnifique.
Bonjour à vous!
Je vous invite à découvrir et à soutenir Nilie au concours du Prince oublié. Merci beaucoup
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/nilie-3
"dont j'aime tout du patfum au feuillage",
(Incorigible et peu encline à chercher à plaire, j'ai déjà écrit sur ce figuier ici même "Et au bout aussi il y a l'arbre"