Année du Taureau, 14e année de règne du grand Khan Ogodei.
Legnica, royaume de Pologne.
Orda contemplait la plaine jonchée de cadavres criblés de flèches. La journée avait été
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Les cheveux et sens défaits, elle s’en voulait un peu du plaisir qu’elle sentait monter en elle, débordant. Tout cela était mal. Et elle le savait bien. En théorie!
Leur rencontre, comme toutes celles qui valaient, avait été un hasard provoqué. Il l’avait vue, était venu à elle. Elle ne l’avait pas repoussé. A la douceur de son regard pourtant, elle avait su immédiatement. Quand elle lui avait finalement confessé la réalité de sa situation, acculée, déjà au bord de sombrer, et frottant nerveusement son alliance en espérant le voir ainsi se détourner d’elle, il avait balayé le tout comme un simple détail incommode, avec toute l’insouciance des jeunes hommes emplis de désir.
Cela faisait des mois maintenant qu’ils étaient amants. Elle ne comptait plus les fois où elle avait tenté de mettre un terme à tout cela. Mais les yeux tristes qui répondaient à ses injonctions de sagesse en avaient éteint immédiatement le désir.
La vérité, sa vérité à elle, c’est qu’elle ne voulait arrêter pour rien au monde, et qu’elle chérissait chaque instant de cette jeunesse retrouvée.
Jeune, belle même, comme il se plaisait à lui répéter incessamment, elle l’était encore, assurément. Cela faisait pourtant longtemps qu’on ne l’avait plus traitée comme telle.
Elle avait aimé son mari, pensait-elle. Aimé réellement, et de manière passionnée, même si la pression de leurs parents les avait peut-être poussés trop tôt vers les mornes plaisirs de la vie de famille et de l’existence conjugale. Mais elle se sentait si seule maintenant depuis des mois. De longs mois d’absence, de solitude, dédaignée, et ne prenant qu’une nouvelle tristesse à leurs décevantes retrouvailles. Bien sûr, elle comprenait qu’il n’avait guère le choix. Son devoir. Devoir, même envers sa famille et ce que la Société attendait. Être un homme. Il le lui avait expliqué longuement. C’était incontestable. Elle y voyait pourtant une forme de trahison contre elle. Quelle genre d’homme pouvait donc ainsi délaisser sa femme ?
Il l’avait abandonnée. Oui, abandonnée en lui laissant la charge d‘innombrables responsabilités, qui venaient s’ajouter à celles dont elle le déchargeait déjà en temps normal. Tout cela avait épuisé sa patience d’abord, puis son amour. Elle ne nourrissait plus envers lui qu’un froid détachement, mâtiné de la pensée des enfants. Un sentiment de même nature que celui nourri en regardant un vieux cliché sépia d’êtres autrefois aimés et disparus. Son mari était devenu pour elle une théorie. Au quotidien, elle le vivait comme un embarras. Obligé de faire semblant, obligé de se cacher, et nourrir encore malgré tout le reste un vague sentiment de honte, du fait de l’absence de clarté de la situation.
Ils n’auraient pas dû avoir à se dissimuler ainsi. Son mari avait fait son choix. Pourquoi devrait-elle être jugée pour le sien ? Ce qu’elle vivait désormais méritait mieux. Ce qu’ils vivaient était beau, s’agissant de la chose la plus naturelle du monde. Oui il y avait le devoir, oui il y avait les conventions d’un monde étriqué, mais il y avait aussi l’amour, la vie, des corps pleins de sève et vie, entremêlés de désir. Ils s’aimaient, de toute la puissance de leurs corps. Ils s'aimaient librement. Aucun sentiment si fort ne pouvait avoir une nature fondamentalement mauvaise. Elle s’abandonna encore plus, frémissant de chaque sensation tirée des jeunes bras musclés l’étreignant. Encore une fois ! La dernière ! Éternellement !
La sonnette de la maison les interrompit. C’était le facteur. Il portait un pli, l’air gêné. Il n’eut pas à le lire mais annonça simplement la nouvelle. Son mari était mort, tombé au champ d’honneur : à Verdun.
Leur rencontre, comme toutes celles qui valaient, avait été un hasard provoqué. Il l’avait vue, était venu à elle. Elle ne l’avait pas repoussé. A la douceur de son regard pourtant, elle avait su immédiatement. Quand elle lui avait finalement confessé la réalité de sa situation, acculée, déjà au bord de sombrer, et frottant nerveusement son alliance en espérant le voir ainsi se détourner d’elle, il avait balayé le tout comme un simple détail incommode, avec toute l’insouciance des jeunes hommes emplis de désir.
Cela faisait des mois maintenant qu’ils étaient amants. Elle ne comptait plus les fois où elle avait tenté de mettre un terme à tout cela. Mais les yeux tristes qui répondaient à ses injonctions de sagesse en avaient éteint immédiatement le désir.
La vérité, sa vérité à elle, c’est qu’elle ne voulait arrêter pour rien au monde, et qu’elle chérissait chaque instant de cette jeunesse retrouvée.
Jeune, belle même, comme il se plaisait à lui répéter incessamment, elle l’était encore, assurément. Cela faisait pourtant longtemps qu’on ne l’avait plus traitée comme telle.
Elle avait aimé son mari, pensait-elle. Aimé réellement, et de manière passionnée, même si la pression de leurs parents les avait peut-être poussés trop tôt vers les mornes plaisirs de la vie de famille et de l’existence conjugale. Mais elle se sentait si seule maintenant depuis des mois. De longs mois d’absence, de solitude, dédaignée, et ne prenant qu’une nouvelle tristesse à leurs décevantes retrouvailles. Bien sûr, elle comprenait qu’il n’avait guère le choix. Son devoir. Devoir, même envers sa famille et ce que la Société attendait. Être un homme. Il le lui avait expliqué longuement. C’était incontestable. Elle y voyait pourtant une forme de trahison contre elle. Quelle genre d’homme pouvait donc ainsi délaisser sa femme ?
Il l’avait abandonnée. Oui, abandonnée en lui laissant la charge d‘innombrables responsabilités, qui venaient s’ajouter à celles dont elle le déchargeait déjà en temps normal. Tout cela avait épuisé sa patience d’abord, puis son amour. Elle ne nourrissait plus envers lui qu’un froid détachement, mâtiné de la pensée des enfants. Un sentiment de même nature que celui nourri en regardant un vieux cliché sépia d’êtres autrefois aimés et disparus. Son mari était devenu pour elle une théorie. Au quotidien, elle le vivait comme un embarras. Obligé de faire semblant, obligé de se cacher, et nourrir encore malgré tout le reste un vague sentiment de honte, du fait de l’absence de clarté de la situation.
Ils n’auraient pas dû avoir à se dissimuler ainsi. Son mari avait fait son choix. Pourquoi devrait-elle être jugée pour le sien ? Ce qu’elle vivait désormais méritait mieux. Ce qu’ils vivaient était beau, s’agissant de la chose la plus naturelle du monde. Oui il y avait le devoir, oui il y avait les conventions d’un monde étriqué, mais il y avait aussi l’amour, la vie, des corps pleins de sève et vie, entremêlés de désir. Ils s’aimaient, de toute la puissance de leurs corps. Ils s'aimaient librement. Aucun sentiment si fort ne pouvait avoir une nature fondamentalement mauvaise. Elle s’abandonna encore plus, frémissant de chaque sensation tirée des jeunes bras musclés l’étreignant. Encore une fois ! La dernière ! Éternellement !
La sonnette de la maison les interrompit. C’était le facteur. Il portait un pli, l’air gêné. Il n’eut pas à le lire mais annonça simplement la nouvelle. Son mari était mort, tombé au champ d’honneur : à Verdun.