Le dernier discours d'un condamné

Grand lecteur de science fiction fantastique et polar devant l éternel j ai ecrit maintenant depuis près de 5 ans une douzaine de nouvelles, exutoire aux etudes et la plongee dans le monde ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne ne connaîtra pas de fin, la faute à un début médiocre.

Je m’appelle Alexandre, j’ai 28 ans, et une longue vie derrière moi. Moquez-vous et souriez, tant que vous le pouvez. J’ai l’habitude qu’on me traite d’adolescent « attardé » et m’accuse de faire dans le « théâtral ». Ce soir, de toutes façons, je me serai tué et rira bien qui rira le dernier.

Si Hugo avait daigné se pencher sur mon sort, il m’aurait sans doute appelé « Alexandre le Petit », par dérision d’un homme qui maîtrisait encore ses classiques. J’aurais chéri ce nom comme un grand honneur, car il aurait été la preuve irréfutable que quelqu'un, un jour, ait fait l’effort de se détourner un bref instant de son chemin pour attarder ses pensées sur moi.

Je sens poindre en vous de la pitié. Je la vomis. Vous qui me lisez n’espérez pas m’arracher un peu de ce bon sentiment dont vous êtes si avide : je ne vous ferai pas la grâce de me laisser aimer ou compatir. Vous n’aurez rien de moi si ce n’est en me lisant de devenir les complices du meurtre que je prépare ainsi.

Moi aussi j’ai beaucoup lu. Je vous ai bien dit que ma vie avait été longue. J’ai lu plus que vous ne pouvez l’imaginer. J’ai lu avec gloutonnerie plus que gourmandise, jusqu’à l’agonie. Et chaque soir, comme celui-ci, je régurgite, mêlés de bile, les mots dont je noircis mes cahiers, après m’en être empiffré toute la journée.

Vous n’avez pas idée de ce qu’est ma vie, car elle n’y ressemble en rien (à la vie !). Plutôt, vous ne le savez que trop bien, car elle est ordinaire, misérable, comme la vôtre, sans doute, si vous en êtes encore à perdre votre temps sur ces lignes... Mais jamais vous ne voudrez l’admettre, car on ne s’aventure pas en ces chemins impunément. J’y aime d'ailleurs ma solitude.

Je ne suis pas un de vos « cas cliniques », n’en déplaise aux psychologues. J’ai eu une enfance heureuse, du moins j’en ai eu tous les signes apparents. Je ne cochais ni la case des parents absents, ni celle du Gavroche de HLM et cités. Je n'ai en commun avec les misères du Tiers Monde que les quelques vacances familiales passées dans des résidences touristiques de luxe ultra sécurisées. Mes parents m’ont aimé, je crois.

Ils m’ont en tout cas accompagné depuis mes premiers pas et je ne me suis jamais senti grandir dans l’ombre d’un frère aîné préféré : il n’y a pas là d’explication.

Il est vrai que leur amour était égal, mais plat. Nos échanges se limitent à peu, ils sont généralement sans chaleur et s’éteignent d’eux-mêmes, sauf parfois quand je leur crie dessus. Je crois pourtant que de tout cela je suis comptable, j’en assume du moins la responsabilité : s’il y a une personne à haïr ici, n’espérez pas que cela soit un autre que moi.

Je vous sens venir, à m’imaginer déjà en une sorte de « Tanguy » sous antidépresseurs. N’y comptez pas. Je ne vis plus chez eux depuis longtemps même si mon incapacité à trouver un travail m’oblige souvent à « revenir » dans cette demeure familiale que j’ai toujours eu du mal à appeler « maison ». Si je vous parle de mes parents, c’est simplement pour vous donner un fil à suivre, en partant du commencement, qui est d’ailleurs bien près de la fin. Mes parents sont les seuls êtres qui ont jamais réellement compté, essentiellement parce que je me disais que je leur importais, à leur manière. Ils ont toujours, du reste, compté peu, comme d’ailleurs la plupart.

Je suis asocial mais j’ai des amis. J’ai cru même un temps pouvoir m’en faire une famille. J’y ai réussi ! Nous avons désormais les mêmes rapports insipides et sporadiques qu’avec mes parents. Je pourrais aussi vous parler de mon frère, je n’en ai pas envie. Certains disent que je n’aime pas les gens, d’autres trouvent que je ne m’aime pas assez et que là réside la racine de tous mes problèmes. Moi je me dis parfois que les autres pourraient eux aussi un peu m’aimer...

La vérité c’est que l’un et l’autre ne m’intéressent pas. Si vous suivez encore, c’est que quelque part, vous aussi, le nuage noir et épais d’une éternelle morosité vous habite. Je n’ai pas besoin de m’expliquer si vous avez déjà connu l’ennui de devoir faire semblant de vous intéresser à autrui. Je ne parle pas de faire semblant comme tous les autres, en ne pensant et parlant au final que de vous : non. Je parle de voir l’être humain, à commencer par vous-même, comme un parasite, dont l’excrétion est la vie. Tout ce qui m’entoure (et il n’y a pas de raison que ce soit pour vous différent) est si vain, si vide : d’un vide envahissant qui vous sort par tous les trous, pardonnez-moi l’expression.

Je ne trouve pas de travail, cela ne veut pas dire que je ne travaille pas. J’enchaîne stages et CDD. J’ai fait de bonnes études. Je suis employable, du moins sur le papier. J’ai dû pourtant toujours écourter mes expériences... Aujourd'hui on ne vire plus: on cesse de renouveler.

Ce n’est pas qu’on ait jamais exigé de moi des compétences, ce n'est plus le cas pour la plupart des emplois, surtout dans ma branche : « le pipeau ». J'ai même rarement entendu parler d'un poste ou carrière nécessitant le moindre effort ou investissement réels ; mais l’intérêt ostentatoire - les plus excités diront l’enthousiasme - est lui toujours vu comme un minimum exigible. Cela ne me convient pas.

Après tout c’est bien moi qui vend mon temps contre un appart’ miteux, des pâtes à la sauce industrielle, un abonnement netflix et quelques week-end à rentrer ivre à 4h du mat’ par-ci, par-là. Il est vrai que je change parfois le décor de cette déprime quand j’arrive à prendre sur moi de me réserver un billet de train ou d’avion, pour aller faire la même chose ailleurs. Pourquoi donc alors continuer à m’en faire, au final ? Mes parents ont de l’argent. Comme je l’ai dit, ils tiennent à moi.

Vous avez peut-être déjà compris que je ne vous parlerai pas d’amour. Cette histoire, l’histoire de ma vie en est vide. Parfois, je me dis qu’il est triste qu’on puisse me résumer en deux pages : je vous garantis pourtant que vous avez droit à la version longue. Quelle en est la trame ? À vous de me le dire.

Tout ce que je sais c’est que j’écris au jour le jour ce récit sans sens et sans fin.
Est-ce que j’en veux à la société ? Vous me connaissez maintenant : est-ce que j’ai réellement l’air de vouloir quoique ce soit ? J’ai plutôt l’impression que c’est la société, elle, qui m’en veut ; me veut. Travail, famille, ennui, tout n’est qu’obligations : obligations de désirer et de vouloir. Moi je voudrais juste qu’on me foute la paix.

C’est peut-être pour cela que je lis autant...

Allons bon! On n’est pas dans « Mme bovary ». Si je lis c’est parce que la vérité c'est que s’échapper comme cela est sacrément plus plaisant que tout ce que ce monde a à offrir, et bien plus facile que de se droguer jusqu’aux yeux, et vous le savez très bien. Le courage n’est pas notre première qualité...

Alors je m’enfuis, mais je ne sais toujours pas de quoi. C’est peut être ça le problème finalement. En tout cas j’en ai les yeux rivés sur la ligne d’arrivée finale, celle où on s’arrête tous, où tout s’arrête. J’ai tous les jours ainsi des envies folles de vous battre au sprint du dernier 100 mètres...

Encore une fois pourtant, alors que je prends mon élan, un léger obstacle se dresse sur ma route, et fait dérailler tous mes plans, je n’ose pas dire mes rêves. C’est toujours le même individu qui me bloque le passage, tout tremblant et grelottant d’espoirs puérils. Plein de lâcheté et vitalité.

Le stylo m’en tombe des mains. La vie en profite pour me ressaisir au collet.

Je crois que ça va mieux. Oui, tout va aller, tout peut aller. Pourquoi ne pas même essayer de sortir, s’aérer la tête, rencontrer des gens, rencontrer des filles, peut être la fille, chercher un travail, vivre...
Est-ce que vous arrivez encore à croire à toutes ces conneries ?
À demain alors.