Le coup du lapin

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— D'abord, c'est qui cet Antoine ? demanda la vieille dame en accrochant un lapin par les pattes arrière à un clou du poteau en bois soutenant le préau. Tu m'en parles tous les jours, mais je ne le connais pas.
— Bah, c'est un copain, répondit Pauline. On se voit souvent.
— De la maison là-bas ? Les citadins qui ne viennent que pour les vacances ? poursuivit la grand-mère.
Elle se tenait face à sa petite-fille, un gourdin dans la main.
— Oui, il est drôlement gentil.
— Hum... fit la vieille dame dubitative. Il a quel âge ?
— 10 ans et demi, répondit fièrement Pauline.
— Et qu'est-ce que vous faites ensemble ?
— On s'amuse quoi. On vise les vaches avec un lance-pierre et des petites pommes, répondit-elle en pouffant.
La vieille dame haussa les épaules :
— Pas malin ça. Ça les stresse. Ce n'est pas bon pour le lait.
— Bah oui, mais les oiseaux, on n'y arrive pas !

Le lapin s'agitait dans tous les sens, la tête en bas, les yeux fous, exorbités. Il savait ce qui allait lui arriver.
Le clapier n'était pas loin. La scène se répétait chaque fois qu'il y avait une commande. La grille qui s'ouvre, un lapin attrapé par les oreilles : « Viens par ici toi ». Le bois du poteau devenait sombre. Le sang. L'odeur.

Moi, j'étais caché à côté du portail de la maison ; je n'osais pas entrer à la vue du spectacle et de la discussion centrée sur moi. Je ne ratais rien de la scène, la tête penchée, un petit papier plié en quatre tenu précieusement dans la main.
— C'est tout ce que vous trouvez à faire ?
— Bah, on se raconte des histoires. On se balade. On fait du vélo. On joue au cerf-volant, quand il y a du vent.
— Il ne te demande rien d'autre ? Tu sais, je suis responsable de toi pendant les vacances. Tes parents me font confiance.
— Non, mamie, répondit Pauline. Il me raconte des histoires drôles aussi.
— Faudrait pas qu'il t'embrasse celui-là. Hein ? Tu m'entends ? Parce qu'il passerait un sale quart d'heure. Crois-moi. Tu n'as que 8 ans.
Sur ce, elle leva son gourdin et en assena un violent coup sur le crâne du lapin. Il eut un soubresaut puis resta inerte. Elle avait la main, la vieille, et moi, j'avais la frousse. Je m'imaginais à la place du pauvre animal, pendu par les pieds, subissant le même sort.
Je commençais à trembler, la boule au ventre.
La grand-mère posa le gourdin sur la petite table de camping attenante et saisit un couteau. Elle approcha la lame luisante, fine et acérée des yeux de l'animal.
— Il ne t'a pas embrassé, dis ?
— Non, mamie !
Ouf ! Elle savait mentir.
— Hum...
Elle énucléa alors prestement le lapin. Du sang coula. Mon estomac se retourna. Le cidre bouché bu en cachette à la fin du déjeuner n'arrangeait pas mes affaires.
— J'ai peur qu'il profite de toi.
— On ne fait rien de mal mamie ! supplia Pauline. Je peux le rejoindre ? En plus, il repart tout à l'heure. C'est la rentrée demain.
La grand-mère effectua une fine entaille dans la peau du lapin à la base des pattes – un geste méticuleux mille fois exécuté –, puis reposa le couteau sur la petite table. Elle tira alors lentement sur la peau et dépeça complètement le lapin encore chaud.
Un orage éclata dans mon ventre ; coups de tonnerre et éclairs le traversèrent. Je courus jusque chez moi et me réfugiai dans les toilettes.
Jamais je ne connus la réponse finale de la grand-mère. Nous prîmes la route dans la Citroën DS chargée à bloc. Le soir, je me couchai sans dîner. Mes parents mirent cela sur le compte de la rentrée scolaire. J'avais glissé le petit papier sous mon oreiller. J'allumai la lampe de chevet un peu plus tard dans la soirée – impossible de trouver le sommeil –, et l'attrapai. De mon écriture maladroite et tremblante, j'avais écrit : « Pauline, je t'aime ».

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Image de Le coup du lapin
Illustration : Mathilde Ernst

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